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— Vous êtes un tel homme, fait-il, qu’on ne pense pas que vous puissiez avoir besoin de repos. Excusez-moi, San-Antonio.

Du moment qu’il le prend sur ce ton, je suis prêt à toutes les concessions. Parce que, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais avec des flatteries on obtient de bibi tout ce que l’on veut.

Chacun ses faiblesses, non ?

Je passe à l’infirmerie de la grande taule pour faire désinfecter ma blessure. C’est tout ce qu’il y a de superficiel, heureusement. L’infirmière, la mère Robichon, m’assure que dans deux jours ce sera cicatrisé. La mère Robichon, il faut bien le dire, c’est le genre de femelle tout ce qu’il y a d’optimiste lorsque c’est la peau des copains qui est en jeu. Elle en a tellement vu dans la boîte que, pour elle, un chargeur de mitraillette dans la viande est un truc presque bénin. Chose curieuse, cette virago du mercurochrome est une douillette. En vous pansant quarante centimètres de cicatrice, elle vous parle de sa maladie de reins, de son asthme et d’un tas de petites vacheries dont elle prétend souffrir. Avec ça, elle s’exprime avec la suprême distinction d’une marchande de poisson du Vieux-Port.

Au moment où elle me fait couler de l’alcool sur ma plaie, je pousse un léger soupir. Ça suffit pour déclencher cette vieille toupie.

— Poule mouillée ! hurle-t-elle, gonzesse ! Môme ! T’as donc pas plus de sang qu’un navet ?

Une chose met en rogne la mère Robichon, c’est lorsqu’on ne répond pas à ses sarcasmes par d’autres sarcasmes. Pour lui faire plaisir, j’y vais de mon numéro. Je la traite de vieux lavement, de tordue, d’endoffée. Et je conclus en lui affirmant qu’elle se décompose, que ça se voit et que ça se sent et que c’est uniquement par bonté d’âme qu’on la tolère dans la maison.

Alors c’est l’épanouissement. Elle est ravie ; elle se retient de rire ; je la laisse à son extase…

Il y a près de la boîte, un petit hôtel dont le patron est un vieux pote. J’y vais. Il vient de se réveiller et il me demande ce qu’il y a pour mon service. Je lui assure que s’il veut me faire cuire deux œufs sur une tranche de lard, me confier une bouteille de rhum et me préparer un pageot convenable, je serai le plus heureux des hommes.

C’est un mec qui comprend vite. Les deux neufs sont cuits à point ; la tranche de lard est large comme mes deux mains ; le rhum est d’une marque réputée et le lit assez confortable.

Quelques minutes plus tard, sérieusement colmaté, je ronfle à poings fermés.

Je rêve que je suis assis sur un nuage rose, les jambes pendantes dans le ciel. Un beau soleil doré comme une abeille me chauffe et m’emplit d’une tendre allégresse. Je suis peinard comme un pape sur mon nuage. Soudain, des lèvres rouges se mettent à voleter autour de moi comme des papillons. Je voudrais en attraper une paire et l’embrasser, mais c’est coton car je risque de dégringoler de mon nuage si je me remue. Enfin je parviens à en stopper deux jolies. À ce moment, une sonnerie éclate. Est-ce un archange qui fait ce cirque ? J’examine la probabilité de la chose et je finis par décider que je suis, non pas sur un nuage rose mais sur le matelas d’un lit d’hôtel et que ce qui sonne n’est pas la trompette d’un archange, mais la sonnerie du téléphone.

Je me cache la tête sous l’oreiller. Je maudis le gars qui a inventé ces sonneries. Il aurait mieux fait de s’engager dans les bataillons d’Afrique.

Oh ! là là !

La sonnerie persiste. Marre à la fin ! Ils ont donc juré d’avoir ma peau, tous autant qu’ils sont ? Qu’est-ce qu’ils croient ? Que je suis un robot ?

Me voilà complètement réveillé. Peut-être qu’il y a du nouveau après tout ?

Avec un ahanement d’effort j’étends le bras et je décroche.

— Allô ?

— C’est Julien.

— Qui ça, Julien ?

Je me souviens à temps que c’est le prénom du patron de l’hôtel.

— Bon, c’est julien et alors ? C’est une raison pour m’empêcher d’en écraser ?

Ma sortie ne le déroute pas, car il sait que sur la place de Paris il n’existe pas deux types aussi rouscailleurs que mézigue.

— Je m’excuse de vous réveiller, commissaire, mais c’est très important, paraît-il.

Je ricane.

— Vous n’en êtes pas sûr ?

— Mais…

— Mais quoi ? Bon Dieu, je vous paie, oui ou non ! J’ai le droit de dormir. Y a le feu ?

— Non.

— Alors, foutez-moi la paix.

Et je raccroche.

Je me remets la tronche dans les plumes et je ferme les yeux. Si je pouvais récupérer mon fameux petit nuage, ce serait meuh-meuh… Mais va te faire voir ! Je ne peux plus dormir.

Je rambine avec le téléphone.

— Allô, Julien ?

— Oui, monsieur le commissaire.

— Allez-y, qu’est-ce que vous me vouliez ?

— On vient d’apporter un paquet pour vous !

— Un paquet ?

— Oui…

— Qui ?

— Un gamin… Il paraît que c’est urgent, très urgent.

— Qui m’envoie ce paquet ?

— Je ne sais pas…

Je réfléchis. Ce doit être le chef. Il est le seul à savoir que je me suis réfugié dans ce petit hôtel pour récupérer.

— Regarde ce que contient le paquet, Julien.

— Bien, monsieur le commissaire.

Julien pose l’écouteur et je l’entends manipuler du papier. Il coupe une ficelle ; il défait l’emballage. Tout à coup une terrible détonation retentit.

Je saute dans mon pantalon et je me rue dans le couloir de l’hôtel. Du haut de l’escalier j’ai une vue d’ensemble de la scène : la caisse de l’hôtel est pulvérisée littéralement. Les décombres sont aspergés de sang. La mâchoire de julien est posée sur le registre des entrées et sa cervelle décore le mur.

CHAPITRE XVII

L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE

En moins de deux, le hall s’emplit de trèfle. Toute la populace de l’hôtel : clients et larbinoches, rapplique et se met à pousser des hurlements de putois. Personne ne comprend rien à rien, mais le spectacle est si moche que la majorité des bonnes femmes y vont de leur crise de nerfs.

Drôle de pastaga, moi je vous le dis.

Je convoque mon petit doigt pour une conférence secrète et nous tombons d’accord pour décréter que les événements se précipitent et que si je ne me manie pas les os, le gars San-Antonio sera bientôt le prototype du parfait macchabée ; il y a trop de gens qui lui veulent du bien en circulation.

— Police ! je me mets à gueuler.

Aussitôt il se fait un grand silence et, toutes les bouilles se tournent de mon côté, ravagées par la curiosité. Ça leur paraît un peu coton, un flic en manches de chemise, mais la situation est telle que je pourrais leur faire admettre que je suis le shah de perse ou Edgar Faure.

— Il y a un instant, on a apporté un petit paquet. Ce paquet a été remis à la caisse. Quelqu’un se trouvait-il à proximité à ce moment-là ?

— Moi, dit un garçon d’étage.

— Parfait, venez avec moi dans ma chambre afin que nous discutions un brin.

Des agents s’amènent. Je leur dis qui je suis et leur ordonne de calmer tout le monde. Puis je vais dans la cabine du téléphone afin de prévenir le chef.

— C’est inouï, cet acharnement après vous ! s’exclame-t-il.

— En effet.

— Normalement, ces gens-là, après ce qui s’est passé cette nuit, devraient n’avoir qu’un souci : se terrer !

Ils devraient, oui.