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S’ils attaquent, c’est qu’ils m’estiment dangereux. Terriblement dangereux. Non pas parce que je les connais, ce serait insuffisant ; mais parce qu’ils croient que je suis au courant d’un fait très important qui peut les anéantir. Dans leur esprit c’est ma peau ou la leur, et peut-être plus que leurs peaux… Lorsque j’aurai trouvé ce qu’ils redoutent ; en réalité, je serai bien près de toucher au but.

— Ouvrez l’œil.

— N’ayez crainte, et puis vous voyez, j’ai la chance de mon côté ; si je n’avais pas dit à ce pauvre type d’ouvrir le paquet… En somme, c’est à cause de moi qu’il est mortibus…

— L’essentiel est que vous soyez en forme.

Comment qu’il est sensible, le boss ! Un gars qui lui jouerait La porteuse de pain en comptant le faire chialer serait drôlement marron !

Je reviens à mon garçon d’étage qui m’attend. Nous grimpons dans ma chambre. Pendant que je me sape, je l’interroge.

— Qui a apporté le paquet en question ?

— Un gamin. Il a dit que c’était une commission pour le commissaire San-Antonio. Il a ajouté que c’était très urgent et qu’on devait lui remettre cela en main propre.

— Vous le connaissez, ce gamin ?

— Je crois l’avoir déjà vu dans le quartier.

Je noue ma cravate et je me plante devant le larbin.

— Écoutez, vieux, posez votre tablier et suivez-moi. Il faut que nous retrouvions ce gosse coûte que coûte ; ça urge.

— Bien, monsieur.

Un gai soleil illumine Paris. Je respire à pleine poitrine l’air humide. C’est rudement fameux de respirer lorsqu’on a traversé des heures comme celles que je viens de vivre. La rue est très animée. Y a des marchandes des quatre saisons arrêtées le long des trottoirs et qui gueulent qu’elles donnent leur marchandise. Y a des concierges sur le pas de leur porte ; y a ce joyeux populo de la rue de Paris, quoi ! Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les chiares. Nous les biglons sous le nez avec tant d’attention que des gens se retournent, croyant que nous sommes une paire de satyres en vadrouille.

— Où l’avez-vous déjà vu le môme ?

Il hausse les épaules.

— Par là… Je ne peux pas préciser… Vous savez, je ne pensais pas qu’un jour…

Bien sûr, il ne se doutait pas « qu’un jour ». Si les gens se doutaient « qu’un jour »… tout serait terriblement simplifié. Et ça serait moins marrant, faut dire ce qui est !

Je pose ma patte sur le bras du garçon d’étage.

— Quel âge peut-il avoir ?

— Une douzaine d’années à peine.

— À quelle heure est-il passé à l’hôtel ?

— Neuf heures, pas tout à fait.

— Il était habillé comment ?

— Il avait une blouse grise… ça va, j’ai saisi ; il est à l’école, c’est bien cela que vous voulez dire ?

— C’est cela même… Vous savez où elle se trouve, la communale du quartier ?

Il le sait ; c’est à deux pas. Nous nous y rendons et je demande à parler au directeur. C’est un pédago à lunettes, assez freluquet, qui s’est laissé pousser le bouc pour que ça fasse plus sérieux. J’entends d’ici les surnoms dont doivent l’affubler ses élèves : « Barbapoux », « Piège à macaroni », « Quinze-pour-moi », etc. Je lui expose en deux mots le but de notre visite. Il est fiérot à la pensée qu’un de ses élèves a pu jouer un rôle dans une affaire criminelle ; même un rôle de commissionnaire. Il se rengorge. Il rêve déjà de voir sa bobine à barbe dans Détective.

Nous commençons la visite. Les mômes se lèvent lorsque nous entrons. J’ai l’impression qu’on m’a nommé inspecteur d’académie. Le larbin regarde et secoue la tête. Rien… Pas plus de gamin-commissionnaire que de beurre en broche.

Ma veine tournerait-elle ?

Une fois que nous avons exploré tout le groupe scolaire, je sens une pointe d’amertume me titiller la gorge. Je pensais que c’était une bonne idée, cette visite à l’école. Maintenant il va falloir mettre des bignolons en campagne pour essayer de me dégauchir ce polisson !

— Je regrette, soupire le directeur.

— Pas tant que moi.

Il me tend une main tachée d’encre rouge. Je la regarde sans la serrer, comme s’il s’agissait d’un poisson mort. Le pauvre pédago ne sait pas quelle attitude adopter. Il paraît hésiter entre introduire sa pogne inemployée dans sa poche ou aller l’enfermer dans un frigo.

Si je ne la lui serre pas, ça n’est pas du tout pour l’humilier. Je ne vexe jamais les braves mecs qui me font leur turf. Non, je le laisse en rade, because je pense. Je pense, donc je suis. Et je suis sur un raisonnement qui se défend comme un poilu de Verdun. Je pense brusquement qu’il existe deux catégories d’écoliers dans une classe : les présents et les absents. Notre porteur de bombe n’était pas dans la première ; il peut fort bien appartenir à la seconde…

Hein ? C’est pas pensé à la Pascal ?

Je fais claquer mes doigts et j’attrape le directeur par la cravate.

— Les absents ! m’écrié-je.

— Je… je vous demande pardon, bégaie-t-il.

— Les absents ! Il y en a, non ?

Je lui expose mon point de vue. Il pige, son visage s’illumine comme la façade du Palais de Chaillot un soir de quatorze juillet.

— Un enfant d’une douzaine d’années ?

Alors ce serait le cours supérieur…

Nous réapparaissons dans la classe en question. Cette fois, l’instituteur qui montre une mappemonde à ses loupiots se flanque en renaud.

Il me dit que la France a besoin de s’instruire ; qu’il fait son métier sans emmouscailler les flics et qu’il aimerait, en retour, que les flics fassent le leur sans l’emmouscailler, lui.

Comme il a l’air d’un vieux pion blanchi sous la manche de lustrine, je lui laisse cracher sa bile, ensuite de quoi je lui explique calmement que je ne suis pas habitué à m’entendre traiter de la sorte et que s’il avait vingt ans de moins je lui ferais manger sa mappemonde.

Les gosses rigolent comme au théâtre guignol ; le directeur tire sur les poils de sa barbouze en roulant les yeux blancs du petit nègre d’Havas publicité ; quant à mon garçon d’étage, il émet des gloussements très rigolos. Le drame tourne au burlesque. Je reprends ma dignité, m’empare du carnet de classe et le consulte. À la rubrique : ABSENT je ne lis qu’un nom : Gérard Lopino.

Je frappe le pupitre du poing pour faire renaître le silence.

Je demande à l’instituteur :

— À quoi ressemble Gérard Lopino ?

En ronchonnant, il m’explique que c’est un môme grand comme ça, qui a des taches de rousseur plein le museau et un nez en trompette.

— C’est lui ! s’écrie le larbin.

Cette fois, c’est une pointe d’allégresse qui me ramone la gorge.

— Où habite-t-il ?

L’instituteur ne sait pas. Le directeur annonce qu’il va aller consulter son registre mais un des moutards se lève :

— Je sais où qu’il habite, m’sieur !

— Bravo, où ça ?

— À côté de chez moi !

— Et toi, où habites-tu ?

Il me cloque son adresse.

— Tu ne l’as pas vu, ce matin ?

— Si.

— Il ne devait pas venir en classe ?

— Si, mais avant il avait une commission à faire à un hôtel. Un monsieur y a refilé dix balles pour qu’il porte un paquet.

Cette fois, je tiens du solide.

— Il t’a parlé du monsieur en question ?

— Non. Y m’a dit comme ça, en me faisant voir le billet : vise ce qu’un bonhomme m’a donné pour que j’y porte un petit colis…

Le gamin fronce ses sourcils.

— Un bonhomme dans une auto… paraît.