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— Je le crois.

— Ça ne serait pas un piège ?

— Dites, San-Antonio, vous en avez vu souvent des pièges à flics ? Vous savez bien que lorsqu’il y a de la casse dans vos rangs, c’est toujours dans des échauffourées ou du fait de l’amateurisme…

— Vous êtes le fantôme de Cagliostro, bien entendu ?

— Mettons simplement que je sois un ami…

— Qui me veut du bien ?

— C’est ça : qui vous veut du bien.

Il se marre et raccroche.

J’en fais autant.

En réglant mes consos, je pose au barman une question qui me titille la menteuse.

— Le type qui vient de me demander vous a fait mon portrait ?

— Oui.

— Il vous a dit que je me tenais au bar ?

Oui.

Je bondis dehors sans attendre ma mornifle. Si mon mystérieux correspondant a pu fournir ce dernier détail, c’est qu’il m’a vu juché sur mon tabouret. Donc, il n’a pas dû téléphoner de bien loin.

Il n’y a pas beaucoup de monde dans la rue. La pluie remet ça… Les pavés, les trottoirs luisent et les enseignes au néon tremblotent dans tout ce mouillé comme de la gelée de fraise…

Je cherche autour de moi un bar ; il y en a toute une flopée. C’est trop poire de se mettre tout de suite en quête du téléphoniste.

Quelque chose me dit de filer plein jus en direction de Louveciennes. Et ce quelque chose c’est le bon vieux pifomètre de San-Antonio.

En route !

Je roule à nouveau vers l’Étoile, des touristes qui ne doivent pas avoir le gaz chez eux examinent encore la Flamme de l’Inconnu. Je tourne dans l’avenue de la Grande-Armée. Une grosse DeSoto, énervée par mon allure, veut m’en flanquer plein les carreaux. Alors, pour inverser les rôles je mets le pied au plancher et tout rentre dans l’ordre…

Il ne me faut pas un quart d’heure pour atteindre Louveciennes. On semble ronfler dans le secteur. Je stoppe devant la plaque annonçant le blaze de la localité. Cette bon Dieu de flotte qui fait tant de bien aux petites graines continue de dégringoler…

Je relève le col de mon imper et je palpe sous mon aisselle gauche afin de vérifier si Prosper s’y trouve à ma main.

Prosper, c’est l’appareil de 9 qui me permet de distribuer des tickets de Paradis autour de moi.

Je me munis d’une torche électrique et me voilà parti à la recherche des « Ormeaux ». Je n’ai pas à tâtonner beaucoup. Tout de suite je tombe en arrêt devant une grille rouillée à quoi est fixée une plaque de marbre. « Les Ormeaux ». L’inscription est presque effacée, mais je la lis néanmoins. Je renouche le coin avant d’y porter mes nougats. Je constate qu’il s’agit d’une vieille demeure inhabitée. C’est une construction de l’autre siècle avec un tarabiscotage en plâtre sur la façade. Le bout de parc est envahi par l’herbe. Un vrai décor pour film de fantômes…

J’entre, une allée subsiste encore au milieu de ce fouillis inextricable de végétation livrée à elle-même.

Je la remonte jusqu’au perron. Une main de bronze sert de heurtoir, je la soulève et la laisse retomber.

En agissant de la sorte, j’ai la certitude d’accomplir un geste aussi inefficace que celui consistant à tendre la main sous l’orage pour voir s’il pleut. Il n’y a personne dans cette masure, la chose ne fait pas l’ombre d’un doute.

Elle sent le vide, le désolé…

Le heurtoir a fait un bruit de cloche aux vibrations infinies. J’attends que le silence se referme sur la maison morte, puis j’empoigne le loquet et je le tourne. La porte s’ouvre en grinçant. On est toujours dans le style fantôme écossais.

Je gueule :

— Quelqu’un !

Ma voix se répercute comme si je hurlais dans une contrebasse.

— Y a quelqu’un ?

Des clous.

Je prends la notion des lieux. Je me trouve dans un hall glacial qui fouette la moisissure. Ce hall comporte deux portes de chaque côté et une montée d’escalier au fond.

Une à une, je pousse les portes. Toutes ouvrent sur des pièces vides, inhabitées depuis longtemps. Le papier pend des murs en longs copeaux frisés ; les plafonds sont écaillés ; les parquets gondolés…

Je commence à me dire que le type qui m’a fait venir dans ce château de la Belle au Bois dormant est le plus foutu bluffeur que cette triste planète a enfanté…

À mon avis, on a voulu se débarrasser de moi pour une heure et on m’a envoyé sur une piste de pure fantaisie. Ils doivent un peu se cintrer, les mecs, de voir San-Antonio foncer clans le brouillard comme un amateur sur un simple coup de tube anonyme.

Ah ! Il est frais, le superman, l’as des as ! Gâteux, oui, bon pour le fauteuil à roulettes ! Je ne sais pas ce qui se passe mais mon pifomètre est en perte de vitesse ; ou alors y a de la friture sur la ligne.

Et pourtant ! Pourtant j’avais senti que c’était sérieux… Que…

Tout en rouscaillant après le monde entier, bibi inclus, je m’engage dans l’escalier.

Le premier étage est la réplique du rez-de-chaussée.

En vitesse, j’ouvre ces nouvelles lourdes.

Toujours des pièces vides. Du moins on ne petit compter comme des présences les nombreuses araignées qui boulonnent à plein rendement.

En refermant la dernière porte, je manque me flanquer par terre parce que mon pied a glissé dans quelque chose de visqueux. J’abaisse le faisceau de la lampe : du sang ! Je regarde au fond du vestibule, c’est-à-dire au-delà de la dernière porte et je découvre un tas sombre. Ce tas sombre est un corps humain ; ce corps humain est un corps de femme ; il est séparé en deux, le tronc d’une part, de l’autre la tête ; la tête, exsangue, mais belle malgré tout, de la môme Héléna.

CHAPITRE VI

QUI VA À LA CHASSE…

Je ne dis rien. Il y a des cas où le silence est la seule réaction dont on puisse accoucher. Je reste accroupi devant le cadavre décapité. J’ai vaguement l’impression de devenir gâteux. Ma tronche doit se déshydrater à toute pompe !

On est en plein cinéma ! Les lumières vont revenir et on va pouvoir s’offrir des chocolats glacés ; bonbons, caramels au lait !

J’ai vécu déjà de drôles de patacaisses, mais j’avoue que cette fois, je suis fadé en émotions…

Je pousse un soupir qui ferait traverser l’Atlantique à une goélette ; je me redresse et j’allume une cigarette.

Il y a une heure environ, je quitte Héléna dans un petit meublé clandestin. Elle est en costume d’Ève avec un don juan qui, lui, est en costume d’Adam. Ils s’apprêtent à jouer à la bête à deux dos… Moi, je vais torcher quelques centilitres de rye en regardant trois souris à poil derrière une plume… Un coup de fil mystérieux. Je fonce à Louveciennes et je trouve le cadavre d’Héléna…

Voilà de quoi rendre dingue un fauteuil à roulettes ! Je me rends enfin compte d’une chose : c’est que, jusque-là, j’ai été le jouet d’une bande de loquedus qui m’ont manœuvré comme un appareil à sous. J’aime assez jouer au ping-pong mais à condition de ne pas faire la balle.

Je me trouve avec un drôle d’écheveau à débrouiller et il va falloir que je le débrouille si je tiens à sauvegarder ma réputation. J’ai idée que l’exercice auquel je vais me livrer est des plus trapus, j’aimerais presque mieux chercher un grain de réglisse dans un tonneau de goudron !

Au fond du couloir, il y a une fenêtre aux carreaux brisés. Je vais y respirer l’air mouille de cette sacrée nuit d’automne. La fraîcheur me fait un bien immense. Si je tenais une bouteille de rhum, je crois que je redeviendrais l’homme des grandes circonstances.

En attendant qu’il s’en trouve une dans ma vie, je décide de faire le point.

Les choses se présentent ainsi : il y a un vieux prof anglais qui, au lieu de jouer aux échecs, invente, en collaboration avec nos savants, une nouvelle fusée pour amuser les troufions de l’avenir.