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– Vas-y toi-même, à l’école. J’en sais assez pour moi.

Une mante religieuse, agenouillée, vous regarde-t-elle? Vous l’interrogez ainsi:

Mante, toi qui sais tout,

Où est le loup?

L’insecte étend la patte et vous montre la montagne.

Vous découvrez un lézard qui se chauffe au soleil? Vous lui adressez ces paroles:

Lézard, lézard,

Défends-moi des serpents:

Quand tu passeras vers ma maison

Je te donnerai un grain de sel.

– A ta maison, que n’y retournes-tu? a l’air de dire le finaud.

Et psitt, il s’enfuit dans son trou.

Enfin, si vous voyez un limaçon, voici la formule:

Colimaçon borgne,

Montre-moi tes cornes,

Ou j’appelle le forgeron

Pour qu’il te brise ta maison.

Et encore la maison, et toujours la maison, où l’esprit revient sans cesse, tellement qu’à la fin, quand vous avez gâté assez de nids, – et de culottes, – quand vous avez avec de l’orge, fait assez de chalumeaux et assez décortiqué de brindilles de saule pour fabriquer des sifflets, et qu’avec des pommes vertes ou tout autre fruit suret vous avez agacé vos dents, aïe! la nostalgie vous prend, le cœur vous devient gros – et vous rentrez, la tête basse.

Moi, comme les copains, en provençal de race que j’étais ou devais être (ne vous en étonnez pas), au bout de trois mois à peine que j’étais à l’école, je fis aussi mon plantié. Et en voici le motif:

Trois ou quatre galopins (de ceux qui, sous prétexte d’aller couper de l’herbe ou ramasser du crottin, vagabondaient tout le jour) venaient m’attendre à mon départ pour l’école de Maillane et me disaient:

– Eh, nigaud! que veux-tu aller faire à l’école, pour rester tout le jour entre quatre murs! pour être mis en pénitence! pour avoir sur les doigts, puis, des coups de férule! Viens jouer avec nous…

Hélas I l’eau claire riait dans les ruisseaux; là-haut, chantaient les alouettes; les bleuets, les glaïeuls, les coquelicots, les nielles, fleurissaient au soleil dans les blés verdoyants…

Et je disais:

– L’école, eh bien! tu iras demain.

Et, alors, dans les cours d’eau, avec culottes retroussées, houp! on allait «guéer». Nous barbotions, nous pataugions, nous pêchions des têtards, nous faisions des pâtés, pif! paf! avec la vase; puis, on se barbouillait de limon noir jusqu’à mi-jambes (pour se faire des bottes). Et après, dans la poussière de quelque chemin creux, vite! à bride abattue:

Les soldats s’en vont!

A la guerre ils vont,

Et ra-pa-ta-plan,

Garez-vous devant!

Quel bonheur, mon Dieu! Oh! les enfants du roi n’étaient pas nos cousins! Sans compter qu’avec le pain et la pitance de mon bissac, on faisait sur l’herbe, ensuite, un beau petit goûter… Mais il faut que tout finisse!

Voici qu’un jour mon père, que le maître d’école avait dû prévenir, me dit:

– Écoute, Frédéric, s’il t’arrive encore une fois de manquer l’école pour aller patauger dans les fossés, vois, rappelle-toi ceci: je te brise une verge de saule sur le dos…

Trois jours après, par étourderie, je manquai encore la classe et je retournai «guéer».

M’avait-il épié, ou est-ce le hasard qui l’amena? Voilà que, sans culotte, pendant qu’avec les autres polissons habituels nous gambadions encore dans l’eau, soudain, à trente pas de moi, je vois apparaître mon père. Mon sang ne fit qu’un tour.

Mon père s’arrêta et me cria:

– Cela va bien… Tu sais ce que je t’ai promis? Va, je t’attends ce soir.

Rien de plus, et il s’en alla.

Mon seigneur père, bon comme le pain bénit, ne m’avait jamais donné une chiquenaude; mais il avait la voix haute, le verbe rude, et je le craignais comme le feu.

«Ah! me dis-je, cette fois, cette fois, ton père te tue… Sûrement, il doit être allé préparer la verge.»

Et mes gredins de compagnons, en faisant claquer leurs doigts, me chantaient par-dessus:

– Aïe! aïe! aïe! la raclée; aïe! aïe! aïe! sur ta peau!

«Ma foi! me dis-je alors, perdu pour perdu, il faut déguerpir et faire un plantié.»

Et je partis. Je pris, autant qu’il me souvient, un chemin qui conduisait, là-haut, vers la Crau d’Eyragues. Mais, en ce temps, pauvre petit, savais-je bien où j’allais? Et aussi, lorsque j’eus cheminé peut-être une heure ou une heure et demie, il me parut, à dire vrai, que j’étais dans l’Amérique.

Le soleil commençait à baisser vers son couchant; j’étais las, j’avais peur…

«Il se fait tard, pensai-je, et, maintenant, où vas-tu souper? Il faut aller demander l’hospitalité dans quelque ferme.»

Et, m’écartant de la route, doucement je me dirigeai vers un petit Mas blanc, qui m’avait l’air tout avenant, avec son toit à porcs, sa fosse à fumier, son puits, sa treille, le tout abrité du mistral par une haie de cyprès.

Timide, je m’avançais sur le pas de la porte et je vis une vieille qui allait tremper la soupe, gaupe sordide et mal peignée. Pour manger ce qu’elle touchait, il eût fallu avoir bien faim. La vieille avait décroché la marmite de la crémaillère, l’avait posée par terre au milieu de la cuisine et, tout en remuant la langue et se grattant, avec une grande louche elle tirait le bouillon, que, lentement, elle épandait sur les lèches de pain moisi.

– Eh bien! mère-grand, vous trempez la soupe?

– Oui, me répondit-elle… Et d’où sors-tu, petit?

– Je suis de Maillane, lui dis-je; j’ai fait une escapade et je viens vous demander… l’hospitalité.

– En ce cas, me répliqua la vilaine vieille d’un ton grognon, assieds-toi sur l’escalier pour ne pas user mes chaises.

Et je me pelotonnai sur la première marche.

– Ma grand, comment s’appelle ce pays?

– Papeligosse.

– Papeligosse!

Vous savez que, lorsqu’on parle aux enfants d’un pays lointain, les gens, pour badiner, disent, parfois: Papeligosse. Jugez donc, à cet âge-là, moi je croyais à Papeligosse, à Zibe-Zoube, à Gafe-l’Ase et autres pays fantastiques, comme à mon saint pater. Et aussi, à peine la vieille eut-elle dit ce nom que, de me voir si loin de chez moi, la sueur froide me vint dans le dos.

– Ah çà! me fit la vieille, quand elle eut fini sa besogne, à présent ce n’est pas le tout, petit: en ce pays-ci, les paresseux ne mangent rien…, et, si tu veux ta part de soupe, tu entends, il faut la gagner.

– Bien volontiers… Et que faut-il faire?

– Nous allons nous mettre tous deux, vois-tu, au pied de l’escalier et nous jouerons au saut; celui qui sautera le plus loin, mon ami, aura sa part du bon potage… et l’autre mangera des yeux.

– Je veux bien.

Sans compter que j’étais fier, ma foi, de gagner mon souper, surtout en m’amusant. Je pensais:

«Ça ira bien mal, si la vieille éclopée saute plus loin que toi.»

Et les pieds joints, aussitôt dit, nous nous plaçons au pied de l’escalier – qui, dans les Mas, comme vous savez, se trouve en face de la porte, tout près du seuil.

– Et je dis: un, cria la vieille en balançant les bras pour prendre élan.

– Et je dis: deux.

– Et je dis: trois!

Moi, je m’élance de toutes mes forces et je franchis le seuil. Mais la vieille coquine, qui n’avait fait que le semblant, ferme aussitôt la porte, pousse vite le verrou et me crie:

– Polisson! retourne chez tes parents, qui doivent être en peine, va!

Je restai sot, pauvret, comme un panier percé… Et, maintenant, où faut-il aller? A la maison? Je n’y serais pas retourné pour un empire, car je voyais, me semblait-il, à la main de mon père, la verge menaçante. Et puis, il était presque nuit et je ne me rappelais plus le chemin qu’il fallait prendre.