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– A la garde de Dieu!

Derrière le Mas, était un sentier qui, entre deux hauts talus, montait vers la colline. Je m’y engage à tout hasard; et marche, petit Frédéric.

Après avoir monté, descendu tant et plus, j’étais rendu de fatigue… Pensez-vous? A cet âge, avec rien dans le ventre depuis midi. Enfin, je vais découvrir, dans une vigne inculte, une chaumière délabrée. Il devait, autrefois, s’y être mis le feu, car les murs, pleins de lézardes, étaient noircis par la fumée; ni portes ni fenêtres; et les poutres, qui ne tenaient plus que d’un bout, traînaient, de l’autre, sur le sol. Vous eussiez dit la tanière où niche le Cauchemar.

Mais (comme on dit), par force, à Aix, on les pendait. Las, défaillant, mort de sommeil, je grimpai et m’allongeai sur la plus grosse des poutres… Et, dans un clin d’œil, j’étais endormi.

Je ne pourrais pas dire combien de temps je restai ainsi. Toujours est-il qu’au milieu de mon sommeil de plomb, je crus voir tout à coup un brasier qui flambait, avec trois hommes assis autour, qui causaient et riaient.

«Songes-tu? me disais-je en moi-même, dans mon sommeil, songes-tu ou est-ce réel?»

Mais ce pesant bien-être, où l’assoupissement vous plonge, m’enlevait toute peur et je continuais tout doucement à dormir.

Il faut croire qu’à la longue la fumée finit par me suffoquer; je sursaute soudain et je jette un cri d’effroi… Oh! quand je ne suis pas mort, mort d’épouvante, là, je ne mourrai jamais plus!

Figurez-vous trois faces de bohèmes qui, tous les trois à la fois, se retournèrent vers moi, avec des yeux, des yeux terribles…

– Ne me tuez pas! ne me tuez pas! leur criai-je, ne me tuez pas!

Lors, les trois bohémiens, qui avaient eu, bien sûr, autant de peur que moi, se prirent à rire et l’un d’eux me dit:

– C’est égal! tu peux te vanter, mauvais petit moutard, de nous avoir fichu une belle venette!

Mais, quand je les vis rire et parler comme moi, je repris un peu courage, et je sentis, en même temps, extrêmement agréable, une odeur de rôti me monter dans les narines.

Ils me firent descendre de mon perchoir, me demandèrent d’où j’étais, de qui j’étais, comment je me trouvais là, que sais-je encore?

Et rassuré, enfin, complètement, un des voleurs (c’étaient, en effet, trois voleurs):

– Puisque tu as fait un plantié, me dit-il, tu dois avoir faim… Tiens, mords là.

Et il me jeta, comme à un chien, une éclanche d’agneau saignante, à moitié cuite. Alors, je m’aperçus seulement qu’ils venaient de faire rôtir un jeune mouton, – qu’ils devaient avoir dérobé, probablement, à quelque pâtre.

Aussitôt que nous eûmes, de cette façon, tous bien mangé, les trois hommes se levèrent, ramassèrent leurs hardes, se parlèrent à voix basse; puis, l’un d’eux:

– Vois, petit, me fit-il, puisque tu es un luron, nous ne voulons pas te faire de mal… Mais, pourtant, afin que tu ne voies pas où nous passons, nous allons te ficher dans le tonneau qui est là. Quand il sera jour, tu crieras, et le premier passant te sortira, s’il veut.

– Mettez-moi dans le tonneau, répondis-je d’un air soumis.

J’étais encore bien content de m’en tirer à si bon marché.

Et, effectivement, en un coin de la masure, se trouvait par hasard un tonneau défoncé ou, sans doute à la vendange, les maîtres de la vigne devaient faire cuver le moût.

On m’attrape par le derrière et, paf! dans le tonneau. Me voilà donc tout seul en pleine nuit, dans un tonneau, au fond d’une chaumière en ruine!

Je m’y blottis, pauvret! comme un Peloton de fil et, tout en attendant l’aube, je priais à voix basse pour éloigner les mauvais esprits.

Mais figurez-vous que soudain j’entends, dans l’obscurité, quelque chose qui rôdait, qui s’ébrouait, autour de ma tonne!

Je retiens mon haleine comme si j’étais mort, en me recommandant à Dieu et à la grande Sainte Vierge… Et j’entendais tourner et retourner autour de moi, flairer et sabouler, puis s’en aller, puis revenir… Que diable est-ce là encore? Mon cœur battait et bruissait comme une horloge.

Pour en finir, le jour commençait à blanchir et le piétinement qui m’effrayait s’étant éloigné un peu, je veux, tout doucement, épier par la bonde, et que vois-je? Un loup, mes bons amis, comme un petit âne! Un loup énorme avec deux yeux qui brillaient comme deux chandelles!

Il était, parait-il, venu à l’odeur de l’agneau, et, n’ayant trouvé que les os, ma tendre chair d’enfant et de chrétien lui faisait envie.

Et, chose singulière, une fois que je vis ce dont il s’agissait, n’est-il pas vrai que mon sang se calma légèrement! J’avais tellement craint quelque apparition nocturne que la vue du loup lui-même me rendit du courage.

– Ah çà! dis-je, ce n’est pas tout: si cette bête vient a s’apercevoir que la tonne est défoncée, elle va sauter dedans et, d’un coup de dent, elle t’étrangle… Si tu pouvais trouver quelque stratagème…

A un mouvement que je fis, le loup, qui l’entendit, revint d’un bond vers le tonneau, et le voilà qui tourne autour et qui fouette les douves avec sa longue queue. Je passe ma menotte, doucement, par la bonde, je saisis la queue, je la tire en dedans et je l’empoigne des deux mains.

Le loup, comme s’il eût eu les cinq cents diables à ses trousses, part, traînant le tonneau, à travers cultures, à travers cailloux, à travers vignobles. Nous dûmes rouler ensemble toutes les montées et descentes d’Eyragues, de Lagoy et de Bourbourel.

– Aïe! mon Dieu! Jésus! Marie! Jésus, Marie, Joseph! pleurais-je ainsi, qui sait où le loup t’emportera! Et, si le tonneau s’effondre, il te saignera, il te mangera…

Mais, tout à coup, patatras! le tonneau se crève, la queue m’échappe… Je vis au loin, bien loin, mon loup qui galopait, et, regardez les choses, je me retrouvai au Pont-Neuf, sur la route qui va de Maillane à Saint-Remy, à un quart d’heure de notre Mas. La barrique, sans doute, avait frappé du ventre au parapet du pont et s’y était rompue.

Pas nécessaire de vous dire qu’avec de telles émotions la verge paternelle ne me faisait plus guère peur. En courant comme si j’avais encore le loup à ma poursuite, je m’en revins à la maison.

Derrière le Mas, le long du chemin, mon père émottait un labour. Il se redressa en riant sur le manche de sa massue et me dit:

– Ah! mon gaillard, cours vite auprès de ta mère qui pas dormi de la nuit.

Auprès de ma mère, je courus…

Point par point, à mes parents, je racontai tout chaud mes belles aventures. Mais, arrivé à l’histoire des voleurs, du tonneau ainsi que du gros loup:

– Eh! badaud, me dirent-ils, ne vois-tu pas que c’est la peur qui t’a fait rêver tout cela!

Et j’eus beau dire et affirmer et soutenir obstinément que rien n’était plus vrai. Ce fut en vain Personne ne voulut y ajouter foi.

CHAPITRE V: A SAINT-MICHEL-DE-FRIGOLET

L’Abbaye en ruines. – M. Donnat. – La chapelle dorée. – La Montagnette. – Frère Philippe. – La procession des bouteilles. – Saint Antoine de Graveson. – Le pensionnat en débandade. – Le couvent des Prémontrés.

Quand mes parents eurent vu que la passion du jeu me dévoyait par trop et que je manquais l’école sans discontinuité pour aller tout le jour polissonner dans les champs, avec les petits paysans, ils dirent:

– Faut l’enfermer.

Et, un matin, sur la charrette du Mas, les serviteurs chargèrent un petit lit de sangles, une caisse de sapin pour serrer mes papiers, et, enfin, pour enfermer mes habits et mes hardes, une malle recouverte de peau de porc avec son poil. Et je partis, le cœur gros, accompagné de ma mère qui me consolait en route et du gros chien de garde qu’on appelait le «Juif» pour un endroit nommé Saint-Michel-de-Frigolet.

C’était un ancien monastère, situé dans la Montagnette, à. deux heures de notre Mas, entre Graveson, Tarascon et Barbentane. Les terres de Saint-Michel, à la Révolution, s’étaient vendues au détail pour quelques assignats, et l’abbaye à l’abandon, dépouillée de ses biens, inhabitée et solitaire, restait veuve, là-haut, au milieu d’un désert, ouverte aux quatre vents et aux bêtes sauvages. Certains contrebandiers, parfois, y faisaient de la poudre. Les bergers, lorsqu’il pleuvait, y logeaient leurs brebis dans l’église. Les joueurs des pays voisins: le Pante de Graveson, le Cap de Maillane, le Gelé de Barbentane, le Dangereux de Château-Renard, pour se garer des gendarmes, y venaient en cachette, l’hiver, à minuit, tailler le vendôme, et là, à la clarté de quelques chandelles pâles, pendant que l’or roulait au mouvement des cartes, les jurons, les blasphèmes, retentissaient sous les voûtes, à la place des psaumes qu’on y entendait jadis. Puis, la partie achevée, les bambocheurs buvaient, mangeaient et ribotaient, faisant bombance jusqu’à l’aube.