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Vers 1832, quelques frères quêteurs étaient venus s’y établir. Ils avaient remis une cloche dans le vieux clocher roman, et, le dimanche, ils la sonnaient. Mais ils sonnaient en vain, nul ne montait à leurs offices, car on n’avait pas foi en eux. Et comme, à cette époque, la duchesse de Berry avait débarqué en Provence, pour y soulever les Carlistes contre le roi Louis-Philippe, il me souvient qu’on murmurait que ces frères marrons, sous leurs souquenilles noires n’étaient que des miquelets, qui devaient cabaler pour quelque intrigue louche.

C’est à la suite de ces frères qu’un brave Cavaillonnais, appelé M. Donnat, était venu fonder, au couvent de Saint-Michel, par lui acheté à crédit, un pensionnat de garçons.

C’était un vieux célibataire, au teint jaune et bistré, avec cheveux plats, nez épaté, bouche grande et grosses dents, longue lévite noire et les souliers bronzés. Très dévot, pauvre comme un rat d’église, il avait trouvé un biais pour monter son école et ramasser des pensionnaires sans un sou en bourse.

Il allait, par exemple, à Graveson, à Tarascon, à Barbentane ou à Saint-Pierre, trouver un fermier qui avait des fils.

– Je vous apprends, lui disait-il, que j’ai ouvert un pensionnat à Saint-Michel-de-Frigolet. Vous avez là, à votre portée, une excellente institution pour enseigner vos enfants et leur faire passer leurs classes.

– Ho! monsieur, répondait le père de famille, cela est bon pour les gens riches; nous ne sommes pas faits, nous autres, pour donner tant de lecture à nos gars… Ils en sauront toujours assez pour labourer la terre.

– Voyez, faisait M. Donnat, rien n’est plus beau que l’instruction. N’ayez souci pour le paiement. Vous me donnerez, par an, tant de charges de blé, tant de barraux de vin ou tant de cannes d’huile…; puis, après, nous réglerons tout.

Et le bon ménager envoyait ses petits à Saint-Michel-de-Frigolet.

Ensuite, M. Donnat allait trouver, je suppose, un boutiquier, et il lui tenait ce propos:

– Le joli gars que vous avez là! Et comme il a l’air éveillé! Vous ne voudriez pas, peut-être, en faire un pileur de poivre?

– Ah! monsieur, si nous pouvions, nous lui donnerions tout de même un peu d’éducation; mais les collèges sont coûteux, et, quand on n’est pas riche…

– Est-ce besoin de collèges? faisait M. Donnat. Amenez-le à ma pension, là-haut, à Saint-Micheclass="underline" nous lui apprendrons le latin et nous en ferons un homme… Puis, pour le paiement, nous prendrons taille à la boutique… Vous aurez en moi un chaland de plus, un bon chaland, je vous assure.

Et, du coup, le boutiquier lui confiait son fils.

Un autre jour, il passait devant la maison d’un menuisier, et admettons qu’il aperçût un enfant tout pâlot, qui jouait près de sa mère, dans la rigole de l’évier.

– Mais ce beau mignon, qu’a-t-il? demandait M. Donnat à la maman. Il est bien blême? A-t-il les fièvres, ou mangerait-il de la cendres par malacie?

– Eh non! répliquait la femme, c’est la passion du jeu qui le fait se chêmer. Le jeu, monsieur, lui ôte le manger et le boire.

– Eh bien! pourquoi ne pas le mettre, reprenait M. Donnat, dans mon institution, à Saint-Michel-de-Frigolet? Rien que le bon air, dans une quinzaine de jours, lui aura rendu ses couleurs… Et puis l’enfant sera surveillé et fera ses études; et, ses études faites il aura une place et n’aura jamais tant de peine comme en poussant le rabot.

– Ah! monsieur, quand on est pauvre!

– Ne vous inquiétez pas de ça. Nous avons, par là-haut, je ne sais combien de fenêtres et de portes à réparer… A votre mari, qui est menuisier, je promets, moi, plus d’ouvrage que ce qu’il en pourra faire…, et, bonne femme, nous rognerons sur la pension.

Et voilà! Le mignon allait aussi à Saint-Michel; et ainsi du bouclier, et du tailleur, et d’autres. Par ce moyen, M. Donnat avait recueilli, dans son pensionnat, près de quarante enfants du voisinage, et j’étais du nombre. Sur le tas, quelques-uns, tels que moi, s’acquittaient en argent; mais les trois quarts payaient en nature, en provisions, ou en denrées, ou en travail de leurs parents. En un mot, M. Donnat, avant la République démocratique et sociale, avait tout bonnement, et sans tant de vacarme, résolu le problème de la Banque d’Échange, – qu’après lui, le fameux Proudhon, en 1848, essaya vainement de faire prendre dans Paris.

Un de ces écoliers me reste dans le souvenir. Je crois qu’il était de Nîmes, et on l’appelait Agnel; doux, joli de visage, un air de jeune fille et quelque chose de triste dans la physionomie. Nos gens, à nous, venaient fréquemment nous voir, et, pour nos goûters, nous apportaient des friandises. Mais, Agnel, on eût dit qu’il n’avait pas de parents, car il n’en parlait jamais, personne ne venait le voir, et nul ne lui apportait rien. Une fois, cependant, mais une seule fois arriva un gros monsieur qui lui parla en tête à tête, mystérieux, hautain, pendant une demi-heure à peine. Puis, il s’en alla et ne revint plus. Cela nous laissa croire qu’Agnel était un enfant d’une extraction supérieure, mais né du côté gauche et qu’on faisait élever en cachette à Saint-Michel. Je ne l’ai jamais revu.

Notre personnel enseignant se composait, d’abord, du maître, le bon M. Donnat, lequel, lorsqu’il était présent, faisait les basses classes (mais, la moitié du temps, il était en voyage, pour grappiller des élèves); puis, de deux ou trois pauvres hères, anciens séminaristes, qui avaient jeté le froc aux orties et qui étaient bien contents d’être nourris, blanchis, et de tirer quelques écus; ensuite, d’un prestolet, qu’on appelait M. Talon, pour nous dire la messe; enfin, d’un petit bossu, nommé M. Lavagne, pour professeur de musique. De plus, nous avions un nègre qui nous faisait la cuisine et une Tarasconaise, d’une trentaine d’années, pour nous servir à table et faire la lessive. Enfin, les parents de M. Donnat: le père, un pauvre vieux coiffé d’un bonnet roux, qui allait avec son âne, chercher les provisions, et la mère, une pauvre vieille, en coiffe blanche de piqué, qui nous peignait quelquefois, lorsque c’était nécessaire.

Saint-Michel, en ce temps-là, était beaucoup moins important que ce que, de nos jours, on l’a vu devenir. Il y avait simplement le cloître des anciens moines Augustins, avec son petit préau, au milieu du carré; au midi, le réfectoire, avec la salle du chapitre; puis, l’église de Saint-Michel, toute délabrée, avec des fresques sur les murs, représentant l’enfer, ses flammes rouges, ses damnés et ses démons, armés de fourches, et le combat du diable contre le grand archange, puis, la cuisine et les étables.

Mais en dehors, à part ce corps de bâtisse, il y avait, au midi, une chapelle à contreforts, dédiée à Notre-Dame-du-Remède, avec un porche à la façade. De grosses touffes de lierre en recouvraient les murs et, à l’intérieur, elle était toute revêtue de boiseries dorées qui encadraient des tableaux, de Mignard, disait-on, où était représentée la vie de la Vierge Marie. La reine Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, l’avait fait décorer ainsi, en reconnaissance d’un vœu qu’elle avait, dans le temps, fait à la Sainte Vierge, pour devenir mère d’un fils.

Cette chapelle, vrai bijou perdu dans la montagne, à la Révolution, de braves gens l’avaient sauvée en empilant sous le porche un grand tas de fagots qui en cachaient la porte. C’est là que, le matin, – et tous les matins de l’an, – a cinq heures l’été, à six heures l’hiver, on nous menait à la messe; c’est là qu’avec une foi, une foi vraiment angélique, il me souvient que je priais et que nous priions tous. C’est là que, le dimanche, nous chantions messe et vêpres, en tenant à la main nos livres d’Heures et nos Vespéraux, et c’est là que les campagnards, aux jours de grandes fêtes, admiraient la voix du petit Frédéric: car j’avais, à cet âge, une jolie voix claire comme une voix de jeune fille, et, à l’Élévation, lorsqu’on chantait des motets, c’est moi qui faisais le solo; et je me souviens d’un où je me distinguais, paraît-il, spécialement, et où se trouvaient ces mots: