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Avec ses vanités.

Ou bien:

Les trois Maries,

Parties avant le jour,

S’en vont adorer le Seigneur.

Avec mon oncle, assis sur le brancard de la charrette, qui les accompagnait avec son galoubet, et chatouille-toi et chatouille-moi, en avant les caresses, les rires et les cris tout le long du chemin!

Seulement, dans la tête, il s’était mis une idée assez extraordinaire: c’était, en se mariant, de prendre une fille noble.

– Mais les filles nobles, lui objectait-on, veulent épouser des nobles, et jamais tu n’en trouveras.

– Hé! ripostait Bénoni, ne sommes-nous pas nobles, tous, dans la famille? Croyez-vous que nous sommes des manants comme vous autres? Notre aïeul était émigré; il portait le manteau doublé de velours rouge, les boudes à ses souliers, les bas de soie.

Il fit tant, tourna tant, que, du côté de Carpentras, il entendit dire, un jour, qu’il y avait une famille de noblesse authentique, mais à peu près ruinée, où se trouvaient sept filles, toutes à marier. Le père, un dissipateur, vendait un morceau de terre tous les ans à son fermier, qui finit même par attraper le château. Mon brave oncle Bénoni s’attifa, se présenta, et l’aînée des demoiselles, une fille de marquis et de commandeur de Malte, qui se voyait en passe de coiffer sainte Catherine, se décida à l’épouser. C’est sur la donnée de ces nobles comtadins, tombés dans la roture, qu’un romancier Carpentrassien, Henri de la Madeleine, a fait son joli roman: la Fin du Marquisat d’Aurel. (Paris, Charpentier, 1878.)

J’ai dit que mon oncle était paresseux. Quand, vers milieu du jour, il allait à son jardin, pour bêcher ou reterser, il portait toujours son flûteau. Bientôt, il jetait son outil, allait s’asseoir à l’ombre et essayait un rigaudon. Les filles qui travaillaient dans les champs d’alentour accouraient vite à la musique et, aussitôt, il leur faisait danser la saltarelle.

En hiver, rarement il se levait avant midi.

– Eh! disait-il, bien blotti, bien chaud dans votre lit, où pouvez-vous être mieux?

– Mais, lui disions-nous, mon oncle, ne vous y ennuyez-vous pas?

– Oh! jamais. Quand j’ai sommeil, je dors; quand je n’ai plus sommeil, je dis des psaumes pour les morts.

Et, chose singulière, cet homme guilleret ne manquait pas un enterrement. Après la cérémonie, il demeurait toujours le dernier au cimetière, d’où il s’en revenait seul, en priant pour les siens et pour les autres, ce qui ne l’empêchait pas de répéter, chaque fois, cette bouffonnerie:

– Un de plus, charrié à la Cité du Saint-Repos!

Il dut bien, à son tour, y aller aussi. Il avait quatre-vingt-trois ans, et le docteur, ayant laissé entendre à la famille qu’il n’y avait plus rien à faire:

– Bah! répondit Bénoni, à quoi bon s’effrayer! il n’en mourra que plus malade.

Et, comme il avait son flûteau sur sa table de nuit:

– Que faites-vous de ce fifre-là, mon oncle? lui demandai-je, un jour que je venais le voir.

– Ces nigauds, me dit-il, m’avaient donné une sonnette pour que je la remue quand j’aurais besoin de tisane. Ne vaut-il pas mieux mon fifre? Sitôt que je veux boire, au lieu d’appeler ou de sonner, je prends mon fifre et je joue un air.

Si bien qu’il mourut son flûteau en main, et qu’on le lui mit dans son cercueil, chose qui donna lieu, le lendemain de sa mort, à l’histoire que voici:

A la filature de soie, – où allaient travailler les filles de Maillane, le lendemain du jour où l’oncle fut mis en terre, – une jeune luronne, le matin, en entrant, fit d’un air effaré, aux autres jeunes filles:

– Vous n’avez rien entendu, fillettes, cette nuit?

– Non, le mistral seulement… et le chant de la chouette…

– Oh! écoutez: nous autres, mes belles, qui habitons du cote du cimetière, nous n’avons pas fermé l’œil. Figurez- vous qu’à minuit sonnant, le vieux Bénoni a pris son flûteau (qu’on avait mis dans son cercueil); il est sorti de sa fosse et s’est mis à jouer une farandole endiablée. Tous les morts se sont levés, ont porté leurs cercueils au milieu du Grand Clos, les ont, pour se chauffer, allumés au feu Saint-Elme, et ensuite, au rigaudon que jouait Bénoni, ils ont dansé un branle fou, autour du feu, jusqu’à l’aurore.

Donc, avec l’oncle Bénoni, que vous connaissez maintenant, avec ma mère et mes trois tantes, nous nous étions mis en route pour la ville d’Avignon. Vous connaissez peut-être la façon des villageois, lorsqu’ils vont quelque part en troupe: tout le long, au trantran de notre véhicule, ce furent qu’exclamations et observations diverses au sujet des plantations, des luzernes, des blés, des fenouils, des semis, que la charrette côtoyait.

Quand nous passâmes dans Graveson, – où l’on voit un beau clocher, tout fleuronné d’artichauts de pierre:

– Vois, petit, cria mon oncle, les nombrils des Gravesonais, les vois-tu cloués au clocher?

Et de rire et de rire, de cette facétie qui égaie les Maillanais depuis sept ou huit cents ans, facétie à laquelle les Gravesonais répliquent par une chanson qui dit:

A Graveson, avons un clocher…

Ceux qui le voient disent qu’il est bien droit!

Mais, à Maillane, leur clocher est rond;

C’est une cage pour moineaux; dit-on.

Et l’on m’égrenait ainsi, les uns après les autres, les racontages coutumiers de la route d’Avignon: le pont de la Folie où les sorciers faisaient le branle, la Croisière où l’on arrêtait parfois à main armée, et la Croix de la Lieue et le Rocher d’Aiguille.

Enfin, nous arrivâmes aux sablières de la Durance; les grandes eaux, un an avant, avaient emporté le pont, et il fallait passer la rivière avec un bac. Nous trouvâmes là, qui attendaient leur tour, une centaine de charrettes. Nous attendîmes comme les autres, une couple d’heures, au marchepied; puis, nous nous embarquâmes, après avoir chassé, en lui criant: «Au Mas» le Juif, notre gros chien, qui nous avait suivis.

Il était plus de midi quand nous fûmes en Avignon. Nous allâmes établer, comme les gens de notre village, à l’Hôtel de Provence, une petite auberge de la place du Corps-Saint; et, le reste du jour, on alla bayer par la ville.

– Voulez-vous, dit mon oncle, que je vous paie la comédie? Ce soir, on joue Maniclo où Lou Groulié bèl esprit avec l’Abbaye de Castro.

– Ho! reprîmes-nous tous, il faut aller voir Maniclo.

C’était la première fois que j’allais au théâtre, et l’étoile voulût qu’on donnât, ce jour-là, une comédie provençale. A l’Abbaye de Castro, qui était un drame sombre, on ne comprit pas grand’chose. Mais mes tantes trouvèrent que Maniclo, à Maillane, était beaucoup mieux joué. Car, en ce temps, dans nos villages, il s’organisait, l’hiver, des représentations comiques et tragiques. J’y ai vu jouer, par nos paysans, la Mort de César, Zaïre et Joseph vendu par ses frères. Ils se faisaient des costumes avec les jupes de leurs femmes et les couvertures de leur lit. Le peuple, qui aime la tragédie, suivait, avec grand plaisir, la déclamation morne de ces pièces en cinq actes. Mais on jouait aussi l’Avocat Pathelin, traduit en provençal, et diverses comédies du répertoire marseillais, telles que Moussu Just, Fresquerio ou la Co de l’Ai, Lou Groulié bèl esprit et Misè Galineto. C’était toujours Bénoni le directeur de ces soirées, où, avec son violon, en dodelinant de la tête, il accompagnait les chants. Vers l’âge de dix-sept ans, il me souvient d’avoir rempli un rôle dans Galineto et dans la Co de l’Ai, et même d’y avoir eu, devant mes compatriotes, assez d’applaudissements.

Mais bref: le lendemain, après avoir embrassé ma mère et le cœur gros comme un pois qui aurait trempé neuf jours, il fallut s’enfermer dans la rue Pétramale, au pensionnat Millet. M. Millet était un gros homme, de haute taille, aux épais sourcils, à figure rougeaude, mal rasé et crasseux, en plus, des yeux de porc, des pieds d’éléphant, et de vilains doigts carrés qui enfournaient sans cesse la prise dans son nez. Sa chambrière, Catherine, montagnarde jaune et grasse, qui nous faisait la cuisine, gouvernait la maison. Je n’ai jamais tant mangé de carottes comme là, des carottes au maigre en une sauce de farine. Dans trois mois, pauvre petit, je devins tout exténué.