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Or, émerveillé de tous ces récits, de toutes ces croyances, de toutes ces visions, moi donc, l’âme enivrée par la vue de l’endroit, par la senteur des plantes, – encore embaumées, semblait-il, de l’empreinte des pieds du saint, avec la belle foi de ma douzième année, je m’abreuvai au jet d’eau; et (dites ce qu’il vous plaira), à partir de là, je n’eus plus de fièvre. Ne vous étonnez pas si la fille du félibre, si la pauvret Mireille, perdue dans la Crau, mourante de soif, se recommande au bon saint Gent.

O bel et jeune laboureur

qui attelâtes à votre charrue

le loup de la montagne, etc.

(Mireille, chant VIII.)

Souvenir de jeunesse qu’il m’est doux encore de me remémorer.

A mon retour en Avignon eut lieu, pour nous faire poursuivre nos classes, une combinaison nouvelle. Tout en restant pensionnaires chez le gros M. Millet, on nous menait, deux fois par jour, au Collège Royal, pour y suivre comme externes les cours universitaires, et c’est dans ce lycée et de cette façon que, dans cinq ans (de 1843 à 1847), je terminai mes études.

Nos maîtres du collège n’étaient pas, comme aujourd’hui, de jeunes normaliens stylés et élégants. Nous avions encore, dans leurs chaires, les vieux barbons sévères de l’ancienne Université: en quatrième, par exemple, le brave M. Blanc, ancien sergent-major de l’époque impériale, qui, lorsque nos réponses étaient insuffisantes, ex abrupto nous lançait par la tête les bouquins qu’il avait en main; en troisième, M. Monbet, au parler nasillard (il conservait, sur sa cheminée dans un bocal d’eau-de-vie, un fœtus de sa femme); en seconde, M. Lamy, un classique rageur, qui avait en horreur le renouveau de Victor Hugo; enfin, en rhétorique, un rude patriote appelé M. Chanlaire, qui détestait les Anglais, et qui, ému, nous déclamait, en frappant sur son pupitre, les chants guerriers de Béranger.

Je me vois encore, un an, à la distribution des prix dans l’église du collège, avec tout le beau monde d’Avignon qui l’emplissait. J’avais, cette année-là, et je ne sais comment, remporté tous les prix, même celui d’excellence. Chaque fois qu’on me nommait, j’allais chercher, timide, aux mains du proviseur, le beau livre de prix et la couronne de laurier puis, traversant la foule et ses applaudissements, je venais jeter ma gloire dans le tablier de ma mère; et tous considéraient d’un regard curieux, d’un regard étonné, cette belle Provençale qui, dans son cabas de jonc, entassait avec bonheur, mais digne et calme, les lauriers de son fils; puis au Mas, pour les conserver, sic transit gloria mundi, nous mettions lesdits lauriers sur la cheminée, derrière les chaudrons.

Quoi qu’il se fît, pourtant, pour me détourner de mon naturel, comme on ne fait que trop, aujourd’hui plus que jamais, aux enfants du Midi, je ne pouvais me sevrer des souvenances de ma langue, et tout m’y ramenait. Une fois, ayant lu, dans je ne sais plus quel journal, ces vers de Jasmin à Loïsa Puget:

Quand dins l’aire

Pèr nous plaire

Sones l’aire -

De tas nouvellos causous,

Sus la terro tout s’amaiso,

Tout se taiso,

Al refrin que fas souna:

Mai d’un cop se derebelho

E fremis coumo la felho

Qu’un vent fres lai frissouna.

Et voyant que ma langue avait encore des poètes qui la mettaient en gloire, pris d’un bel enthousiasme, je fis aussitôt, pour le célèbre perruquier, une piécette admirative qui commençait ainsi:

Pouèto, ounour de ta maire Gascougno.

Mais, petit criquet, je n’eus pas de réponse. Je sais bien que mes vers, pauvres vers d’apprenti, n’en méritaient guère; cependant, – pourquoi le nier? – ce dédain me fut sensible; et plus tard, à mon tour, quand j’ai reçu des lettres de tout pauvre venant, me rappelant ma déconvenue, je me suis fait un devoir de les bien accueillir toujours.

Vers l’âge de quatorze ans, ce regret de mes champs et de ma langue provençale, qui ne m’avait jamais quitté, finit par me jeter dans une nostalgie profonde.

«Combien sont plus heureux, me disais-je à part moi, comme l’Enfant Prodigue, les valets et les bergers de notre Mas, là-bas, qui mangent le bon pain que ma mère leur apprête, et mes amis d’enfance, les camarades de Maillane, qui vivent libres à la campagne et labourent, et moissonnent, et vendangent, et olivent, sous le saint soleil de Dieu, tandis que je me chême, moi, entre quatre murs, sur des versions et sur des thèmes!»

Et mon chagrin se mélangeait d’un violent dégoût pour ce monde factice où j’étais claquemuré et d’une attraction vers un vague idéal que je voyais bleuir dans le lointain, à l’horizon. Or, voici qu’un jour, en lisant, je crois, le Magasin des Familles, je vais tomber sur une page où était la description de la chartreuse de Valbonne et de la vie contemplative et silencieuse des Chartreux.

N’est-il pas vrai, lecteur, que je me monte la tête, et, m’échappant du pensionnat, par une belle après-midi, je pars, tout seul, éperdument, prenant, le long du Rhône la route du Pont-Saint-Esprit, car je savais que Vaibonne n’en était pas éloigné.

«Tu iras, me dis-je, frapper à la porte du couvent; tu prieras, tu pleureras, jusqu’à ce qu’on veuille te recevoir; puis, une fois reçu, tu vas, comme un bienheureux, te promener tout le jour sous les arbres de la forêt, et, te plongeant dans l’amour de Dieu, tu te sanctifieras comme fit le bon saint Gent.»

Ce ressouvenir de saint Gent, dont la légende me hantait, sur le coup m’arrêta.

«Et ta mère, me dis-je, à laquelle, misérable, tu n’as pas dit adieu, et qui, en apprenant que tu as disparu, va être au désespoir et, par monts et par vaux, te cherchera, la pauvre femme, en criant, désolée comme la mère de saint Gent.!»

Et alors, tournant bride, le cœur gros, hésitant, je gagnai vers Maillane, autant dire pour embrasser, avant de fuir le monde, mes parents encore une fois; mais, à mesure que j’avançais vers la maison paternelle, voilà, pauvre petit, que mes projets de cénobite et mes fières résolutions fondaient dans l’émotion de mon amour filial comme un peloton de neige à un feu de cheminée; et lorsque, au seuil du Mas, j’arrivai sur le tard et que ma mère, étonnée de me voir tomber là, me dit:

– Mais pourquoi donc as-tu quitté le pensionnat avant d’être aux vacances?

– Je languissais, fis-je en pleurant, tout honteux de ma fugue, et je ne veux plus y aller, chez ce gros monsieur Millet.

– où l’on ne mange que des carottes!

Le lendemain, on me fit reconduire, par notre berger Rouquet, dans ma geôle abhorrée, en me promettant, cependant, de m’en libérer bientôt, après les vacances.

CHAPITRE VII: CHEZ M. DUPUY

Joseph Roumanille. – Notre liaison. – Les poètes du «Boui-Abaisso». – L’épuration de notre langue. – Anselme Matbieu. – L’amour sur les toits. – Les processions avignonnaises. – Celle des Pénitents Blancs. – Le sergent Monnier. – L’achèvement des études.

Comme les chattes qui, souvent, changent leurs petits de place, ma mère, à la rentrée de cette année scolaire, m’amena chez M. Dupuy, Carpentrassien portant besicles, qui tenait, lui aussi, un pensionnat à Avignon, au quartier du Pont-Troué. Mais, ici, pour mes goûts de provençaliste en herbe, j’eus, comme on dit, le museau dans le sac.

M. Dupuy était le frère de ce Charles Dupuy, mort député de la Drôme, auteur du Petit Papillon, un des morceaux délicats de notre anthologie provençale moderne. Lui, le cadet Dupuy, rimait aussi en provençal, mais ne s’en vantait pas, et il avait raison.

Voici que, quelque temps après, il nous arriva de Nyons un jeune professeur à fine barbe noire, qui était de Saint-Remy. On l’appelait Joseph Roumanille. Comme nous étions pays, – Mailane et Saint-Remy sont du même canton, – et que nos parents, tous cultivateurs, se connaissaient de, longue date, nous fûmes bientôt liés. Néanmoins, j’ignorais que le Saint-Remyen s’occupait, lui aussi, de poésie provençale.