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Depuis quelques jours, les belles fleurs de glais commençaient à s’épanouir et les mains me démangeaient d’aller cueillir quelques-uns de ces beaux bouquets d’or.

J’arrive au fossé; doucement, je descends au bord de l’eau; j’envoie la main pour attraper les fleurs… Mais, comme elles étaient trop éloignées, je me courbe, je m’allonge, et patatras dedans: je tombe dans l’eau jusqu’au cou.

Je crie. Ma mère accourt; elle me tire de l’eau, me donne quelques claques, et, devant elle, trempé comme un caneton, me faisant filer vers le Mas:

– Que je t’y voie encore, vaurien, vers le fossé!

– J’allais cueillir des fleurs de glais.

– Oui, va, retournes-y, cueillir tes glais, et encore tes glais. Tu ne sais donc pas qu’il y a un serpent dans les herbes cachés, un gros serpent qui hume les oiseaux et les enfants, vaurien?

Et elle me déshabilla, me quitta mes petits souliers, mes chaussettes, ma chemisette, et pour faire sécher ma robe trempée et ma chaussure, elle me chaussa mes sabots et me mit ma robe du dimanche, en me disant:

– Au moins, fais attention de ne pas te salir.

Et me voilà dans l’aire; je fais sur la paille fraîche quelques jolies cabrioles; j’aperçois un papillon blanc qui voltige dans un chaume. Je cours, je cours après, avec mes cheveux blonds flottant au vent hors de mon béguin… et paf! me voilà encore vers le fossé du Puits à roue…

Oh! mes belles fleurs jaunes! Elles étaient toujours là, fières au milieu de l’eau, me faisant montre d’elles, au point qu’il ne me fut plus possible d’y tenir. Je descends bien doucement, bien doucement sur le talus; je place mes petons biens ras, bien ras de l’eau; j’envoie la main, je m’allonge’, je m’étire tant que je puis… et patatras! je me fiche jusqu’au derrière dans la vase.

Aïe! aïe! aïe! Autour de moi, pendant que je regardais les bulles gargouiller et qu’à travers les herbes je croyais entrevoir le gros serpent, j’entendais crier dans l’aire:

– Maîtresse! courez vite, je crois que le petit est encore tombé à l’eau!

Ma mère accourt, elle me saisit, elle m’arrache tout noir de la boue puante, et la première chose, troussant ma petite robe, vlan! vlan! elle m’applique une fessée retentissante.

– Y retourneras-tu, entêté, aux fleurs de glais? Y retourneras-tu pour te noyer?… Une robe toute neuve que voilà perdue, fripe-tout, petit monstre! qui me feras mourir de transes!

Et, crotté et pleurant, je m’en revins donc au Mas la tête basse, et de nouveau on me dévêtit et on me mit, cette fois, ma robe des jours de fête… Oh! la galante robe! Je l’ai encore devant les yeux, avec ses raies de velours noir, pointillée d’or sur fond bleuâtre.

Mais bref, quand j’eus ma belle robe de velours:

– Et maintenant, dis-je à ma mère, que vais-je faire?

– Va garder les gelines, me dit-elle; qu’elles n’aillent pas dans l’aire… Et toi, tiens-toi à l’ombre.

Plein de zèle, je vole vers les poules qui rôdaient par les chaumes, becquetant les épis que le râteau avait laissés. Tout en gardant, voici qu’une poulette huppée – n’est-ce pas drôle? – se met à pourchasser, savez-vous quoi? une sauterelle, de celles qui ont les ailes rouges et bleues… Et toutes deux, avec moi après, qui voulais voir la sauterelle, de sauter à travers champs, si bien que nous arrivâmes au fossé du Puits à roue!

Et voilà encore les fleurs d’or qui se miraient dans le ruisseau et qui réveillaient mon envie, mais une envie passionnée, délirante, excessive, à me faire oublier mes deux plongeons dans le fossé:

«Oh! mais, cette fois, me dis-je, va, tu ne tomberas pas!»

Et, descendant le talus, j’entortille à ma main un jonc qui croissait là; et me penchant sur l’eau avec prudence, j’essaie encore d’atteindre de l’autre main les fleurs de glais… Ah! malheur, le jonc se casse et va te faire teindre! Au milieu du fossé, je plonge la tête première.

Je me dresse comme je puis, je crie comme un perdu, tous les gens de l’aire accourent:

– C’est encore ce petit diable qui est tombé dans le fossé. Ta mère, cette fois, enragé polisson, va te fouailler d’importance!

Eh bien! non; dans le chemin, je la vis venir, pauvrette, tout en larmes et qui disait:

– Mon Dieu! je ne veux pas le frapper, car il aurait peut-être un «accident». Mais ce gars, sainte Vierge, n’est pas comme les autres: il ne fait que courir pour ramasser des fleurs; il perd tous ses jouets en allant dans les blés chercher des bouquets sauvages… Maintenant, pour comble, il va se jeter trois fois, depuis peut-être une heure, dans le fossé du Puits à roue… Ah! tiens-toi, pauvre mère, morfonds-toi pour l’approprier. Qui lui en tiendrait, des robes? Et bienheureuse encore – mon Dieu, je vous rends grâce – qu’il ne soit pas noyé!

Et ainsi, tous les deux, nous pleurions le long du fossé. Puis, une fois dans le Mas, m’ayant quitté mon vêtement, la sainte femme m’essuya, nu, de son tablier; et, de peur d’un effroi, m’ayant fait boire une cuillerée de vermifuge elle me coucha dans ma berce, où, lassé de pleurer, au bout d’un peu je m’endormis.

Et savez-vous ce que je songeai: pardi! mes fleurs de glais… Dans un beau courant d’eau, qui serpentait autour du Mas, limpide, transparent, azuré comme les eaux de la Fontaine de Vaucluse, je voyais de belles touffes de grands et verts glaïeuls, qui étalaient dans l’air une féerie de fleurs d’or!

Des demoiselles d’eau venaient se poser sur elles avec leurs ailes de soie bleue, et moi je nageais nu dans l’eau riante; et je cueillais à pleines mains, à jointées, à brassées, les fleurs de lis blondines. Plus j’en cueillais, plus il en surgissait.

Tout à coup, j’entends une voix qui me crie: «Frédéric!»

Je m’éveille et que vois-je! Une grosse poignée de fleurs de glais couleur d’or qui bondissaient sur ma couchette.

Lui-même, le patriarche, le Maître, mon seigneur père, était allé cueillir les fleurs qui me faisaient envie; et la Maîtresse, ma mère belle, les avait mises sur mon lit.

CHAPITRE II: MON PÈRE.

L’enfant de ferme. – La vie rurale. – Mon père à la Révolution. – La bûche bénite. – Les récits de la Noël. – Le capitaine Perrin. – Le maire de Maillane en 1793 – Le jour de l’an.

Mon enfance première se passa donc au Mas, en compagnie des laboureurs, des faucheurs et des pâtres, et quand, parfois, passait au Mas quelque bourgeois, de ceux-là qui affectent de ne parler que français, moi, tout interloqué et même humilié de voir que mes parents devenaient soudain révérencieux pour lui, comme s’il était plus qu’eux:

– D’où vient, leur demandais-je, que cet homme ne parle pas comme nous?

– Parce que c’est un monsieur, me répondait-on.

– Eh bien! faisais-je alors d’un petit air farouche, moi, je ne veux pas être monsieur.

J’avais remarqué aussi que, quand nous avions des visites, comme celle, par exemple du marquis de Barbentane (un de nos voisins de terres), mon père qui, à l’ordinaire lorsqu’il parlait de ma mère, devant les serviteurs, l’appelait «la maîtresse», là, en cérémonie, il la dénommait ma mouié (mon épouse). Le beau marquis et la marquise, qui se trouvait être la sœur du général de Galliffet, chaque fois qu’ils venaient, m’apportaient des pralines et autres gâteries; mais moi, sitôt que je les voyais descendre de voiture, comme un sauvageon que j’étais, je courais tout de suite me cacher dans le fenil… Et la pauvre Délaïde de crier:

– Frédéric!

Mais en vain: dans le foin, blotti et ne soufflant mot, j’attendais, moi, d’entendre les roues de la voiture emporter le marquis, pendant que ma mère clamait, là-bas, devant la ferme:

– M. de Barbentane, Mme de Barbentane, qui venaient pour le voir, cet insupportable, et il va se cacher!

Et au lieu de dragées, quand je sortais ensuite, craintif, de ma tanière, vlan! j’avais ma fessée.