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– Ah! oui, une jolie fête! lui répondîmes-nous. Nous descendions du Ventoux, de la cime du mont Ventoux, pour voir s’il est réel que le soleil, en se levant, y fait trois sauts, comme on affirme, et voilà que les gendarmes, parce que nous avions oublié nos papiers, nous ont pris pour des voleurs et nous emmènent à Nyons…

– Par exemple! Mais ne voyez-vous pas, à leur façon de s’exprimer, dit aux gendarmes le brave homme, que ces messieurs ne sont pas de loin? qu’ils parlent provençal? qu’ils sentent leur bonne maison? Eh bien! je n’hésite pas, moi, à répondre pour eux et je les invite même, quand nous serons à Montbrun, à venir boire un coup à la maison, et vous aussi, messieurs du gouvernement, si vous voulez, pourtant, me faire cet honneur!

– En ce cas-là, nous dit la maréchaussée dauphinoise, après avoir délibéré, messieurs, vous pouvez aller. Et, mais, voyons, est-ce positif, ce que vous disiez tout à l’heure, que le soleil, là-haut, vu du sommet du Ventoux, fait trois sauts en se levant?

– Ça, répliquâmes-nous, il faut le voir pour le croire… Mais autrement, c’est vrai comme vous êtes de braves gens.

Et, les laissant sur ce goût (nous venions d’entrer à Montbrun), avec l’honnête paysan qui avait répondu pour nous, nous fûmes tout droit à l’auberge nous restaurer quelque peu.

Rien qui fasse plaisir, lorsqu’on cour le pays et qu’on est fatigué, comme une auberge indigène, où l’on arrive un jour de fête patronale. Or, songez qu’à Montbrun, dès notre entrée au cabaret, nos yeux virent par terre un monceau de poulardes, de poulets, de dindons, de lapins, de levrauts et de perdrix, vous dis-je, qui n’annonçaient pas misère! Qui plumait d’ici, qui saignait de là. Une paire de longues broches, toutes chargées de lardoires et de gibier odorant, tournaient et dégouttaient sur le carré des lèchefrites, doucettement, devant le feu. L’hôtelier, l’hôtelière, en mouvement, posaient sur chaque table les bouteilles, les couteaux, les fourchettes qu’il fallait. Et tout cela pour les premiers qui demanderaient à dîner, c’est-à-dire pour nous autres. Oh! coquin de bon sort! Une bénédiction. Et, chose pardessus qui ne coûtait pas davantage, les filles de l’hôtesse avaient si gentille accortise que nous restâmes là tant que dura la fête, rien que pour l’agrément d’être servis par elles.

A Montbrun, disait-on autrefois en Dauphiné, arrivé à deux heures, à trois on est pendu. Cela montre qu’un proverbe n’est pas toujours véridique, mais ça devait se rapporter (je le crois) au renom du terrible Montbrun, le capitaine huguenot qui fut seigneur de ce village. C’est lui, Charles du Puy, dit «le brave Montbrun», qui fit face au roi de France, alléguant pour raison que «les armes et le jeu rendaient les hommes égaux». C’est le même qui, au siège de Mornas, place catholique, lorsqu’il eut pris le château, en précipita la garnison sur la pointe, là-bas, des hallebardes de sa troupe (1562). D’où les gens de Mornas ont gardé jusqu’à nos jours le sobriquet de saute-remparts, et voici ce qu’on raconte:

Un de ces malheureux, dont le tour était venu de faire le plongeon, reculait pour prendre élan, mais arrivé au bord de l’affreux casse-cou, il s’arrêtait épouvanté. Il revenait prendre sa course, et chose facile à comprendre, il lâchait pied de nouveau.

– O poltron, lui cria le farouche Montbrun, en deux fois que tu pris rescousse, tu ne peux pas faire le saut?

– Monseigneur, répliqua le pauvre catholique, s’il vous plaît d’essayer, je vous le donne en trois.

Et pour la repartie, Montbrun, à ce qu’on dit, lui accorda sa grâce.

Nous allâmes visiter le château du baron – que François II fit démolir. – Il y reste quelques fresques, attribuées à André del Sarto. Sur la terrasse, on nous montra l’endroit d’où parfois, pour s’amuser, le seigneur huguenot abattait d’un coup d’arquebuse les moines qui, là-bas, lisaient leur bréviaire, dans le jardin d’un couvent qu’il y avait en dessous.

Enfin, derrière le Ventoux, le long du Toulourenc, rivière qui sépare le Dauphiné de la Provence, ayant repris notre tournée, nous vîmes en passant au pied du Ventouret et en longeant le Gourg des Oules déboucher dans une vallée, la riante vallée de Sault.

– Faisons la méridienne? dîmes-nous… Et tous trois, à l’orée d’une prairie limitrophe avec la route, nous nous couchâmes pour dormir et laisser passer la chaleur.

– Adieu, Ventoux! s’écria Aubanel, tu nous fis, ô gueusard, assez suer et essouffler!

Grivolas regardait les ombres et les clairs que remuaient entre eux les noyers et les chênes, et moi, épiant l’heure qu’il était au soleil, je tétais à la gourde une gorgée d’eau-de vie.

A ce moment, dans le grand hâle, nous vîmes sur la route blanche s’acheminer avec sa blouse, ses gros souliers à clous, son chapeau à larges bords, un vieillard qui tenait une houssine à la main. Quelque chose d’imposant et de particulier dans sa figure ouverte, rôtie par le soleil, attira, comme il passait, notre attention vers lui et nous lui dîmes bonjour.

– Bonjour, toute la compagnie, nous fit-il d’une voix douce, vous faites un peu halte?

– Eh oui! brave homme; à vous d’en faire autant, si vous voulez.

– Eh bien! je ne dis pas non… Je viens de la ville de Sault, où j’avais quelques affaires et je commençais d’être las. Ce n’est plus, mes amis, comme quand j’avais votre âge! Berthe filait alors, et maintenant Marthe dévide.

Et il s’assit en causant à côté de nous sur l’herbe.

– Je suis bien curieux peut-être, poursuivit-il, mais par hasard ne seriez-vous pas herboristes?

Ah! parbleu, si nous connaissions la vertu des simples que nos pieds foulent, nous n’aurions jamais besoin d’apothicaires ni de médecins.

– Non, répondîmes-nous, nous venons du mont Ventoux.

– Sage qui n’y retourne pas, mais fou celui qui y retourne! dit le vieillard sentencieusement…»Allons, je vois, je vois, vous êtes peut-être bien des triacleurs de Venise.

– Triacleurs? Qu’est-ce que c’est?

– Vous n’ignorez pas, messieurs, qu’un remède souverain est ce qu’on nomme la thériaque, qui se fait à ce qu’on dit, avec de la graisse de vipère… Et, ici, dans nos montagnes, au Ventoux, au Ventouret, et, dans cette vallée même, les vipères ne manquent pas. Si c’est elles que vous cherchiez…

– Ah! les cherche qui voudra! nous écriâmes-nous.

– Veuillez m’excuser, reprit le bonhomme, si je vous ai offensés, mais il n’est pas de sot métier:

Comme dit le renard

Chacun joue de son art.

Le bon Dieu, que je salue, a répandu sa lumière, voyez-vous un peu à tous. Pris à part, l’homme ne sait rien; entre tous, nous savons tout… Et, sans aller plus loin, moi, je suis devineur d’eau.

– Ah! tonnerre de nom de nom!

– Oui, tel que vous me voyez, par la vertu de la baguette que je tiens entre mes mains, je déniche les veines d’eau.

– Par exemple, et à notre tour, s’il n’y a pas d’indiscrétion, comment faites-vous donc pour découvrir les sources qu’il y a dans la terre?

– Comment je fais? De vous le dire, répondit l’hydroscope, ce serait malaisé peut-être… C’est affaire de bonne foi. Il m’arrive, tenez, quand le soleil est ardent, de voir fumer les eaux, de les voir s’évaporer, à sept lieues de distance… je les vois, oui, je les vois (mon Dieu! je vous rends grâces!) aspirées, colorées par l’ardeur du soleil. Ensuite la baguette, qui tourne d’elle-même et se tord entre mes doigts, achève le restant… Mais il faut, comme je vous le dis, sentir cela pour le comprendre: c’est à la bonne foi. Vous pouvez d’ailleurs parler de moi à Sault, à Villes, à Verdolier, dans tous les villages qui avoisinent: je suis d’Aurel (que vous voyez là), mon nom est Fortuné Aubert. On vous montrera partout les sources que j’ai mises en vue.

Nous lui dîmes en plaisantant:

– Compère Fortuné, si vous pouviez, avec la baguette, trouver un jour la Chèvre d’Or?

– Et pourquoi non? Si Dieu voulait, je n’aurais pas plus de peine à cela, voyez-vous, que d’être assis sur ce talus… Mais Celui de là-haut a plus de sens que nous tous. Une fontaine d’eau, quand on a soif, ne vaut-elle pas mieux qu’une fontaine d’or? Et ce pré! Ne croyez-vous pas que la moindre rosée fasse plus de bien à son herbe, – que si la traversait le carrosse d’un roi, chargé d’or et d’argent? Rendre service, quand on peut, à notre frère prochain, comme il nous est recommandé, mes amis, voilà, voilà où le bon Dieu vient en aide! Et pour preuve, permettez que je vous conte encore ceci: