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Sans parler de son esprit qui levait la paille, comme on dit des pierres fines, Daudet était joli garçon, brun, d’une pâleur mate, avec des yeux noirs à longs cils qui battaient, une barbe naissante et une chevelure drue et luxuriante qui lui couvrait la nuque, tellement que le duc, chaque fois que l’auteur de la chanson des Prunes lui rendait visite au Sénat, lui disait, en lui touchant les cheveux de son doigt hautain:

– Eh bien! poète, cette perruque, quand la faisons-nous abattre?

– La semaine prochaine, monseigneur! en s’inclinant répondait le poète.

Et ainsi, tous les mois, le grand duc de Morny faisait au petit Daudet la même observation, et toujours le poète lui répondait la même chose. Et le duc tomba plus tôt que la crinière de Daudet.

A cet age, devons-nous dire, le futur chroniqueur des aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon était déjà un gaillard qui voyait courir le vent: impatient de tout connaître, audacieux en bohème, franc et libre de langue, se lançant à la nage dans tout ce qui était vie, lumière, bruit et joie, et ne demandant qu’aventures. Il avait, comme on dit, du vif-argent dans les veines.

Je me souviens d’un soir où nous soupions au Chêne-Vert, un plaisant cabaret des environs d’ Avignons. Entendant la musique d’un bal qui se trouvait en contrebas de la terrasse où nous étions attablés, Daudet, soudainement, y sauta (je puis dire de neuf ou dix pieds de haut) et tomba, à travers les sarments d’un treille, au beau milieu des danseuses, qui le prirent pour un diable.

Une autre fois, du haut du chemin qui passe au pied du Pont du Gard, il se jeta, sans savoir nager, dans la rivière du Gardon, pour voir, avait-il dit, s’il y avait beaucoup d’eau. Et, ma foi, sans un pêcheur qui l’accrocha avec sa gaffe, mon pauvre Alphonse à coup sûr, buvait bouillon de onze heures.

Une autre fois, au pont qui conduit d’Avignon à l’île de la Barthelasse, il grimpait follement sur le parapet mince et, y courant dessus au risque de culbuter, par là-bas, dans le Rhône, il criait, pour épater quelques bourgeois qui l’entendaient:

– C’est de là, tron de l’air! que nous jetâmes au Rhône le cadavre de Brune, oui, du maréchal Brune! Et que cela serve d’exemple aux Franchimands et Allobroges qui reviendraient nous embêter!

II

Donc, un jour de septembre, je reçus à Maillane une petite lettre du camarade Daudet, une de ces lettres menues comme feuille de persil, bien connues de ses amis, et dans laquelle il me disait:

«Mon Frédéric, demain mercredi, je partirai de Fontvieille pour venir à ta rencontre jusqu’à Saint-Gabriel. Mathieu et Grivolas viendront nous y rejoindre par le chemin de Tarascon. Le rendez-vous est à la buvette, où nous t’attendons vers les neuf heures ou neuf heures et demie. Et là, chez Sarrasine, la belle hôtesse du quartier, ayant ensemble bu un coup, nous partirons à pied pour Arles. Ne manque pas!

Ton

Chaperon Rouge.»

Et, au jour dit, entre huit et neuf heures, nous nous trouvâmes tous à Saint-Gabriel, au pied de la chapelle qui garde la montagne. Chez Sarrasine, nous croquâmes une cerise à l’eau-de-vie, et en avant sur la route blanche.

Nous demandâmes au cantonnier:

– Avons-nous une longue traite, pour arriver d’ici à Arles?

– Quand vous serez, nous répondit-il, droit à la Tombe de Roland, vous en aurez encore pour deux heures.

– Et où est cette tombe?

– Là-bas, où vous voyez un bouquet de cyprès, sur la berge du Vigueirat.

– Et ce Roland?

– C’était, à ce qu’on dit, un fameux capitaine du temps des Sarasins… Les dents, allez, bien sûr, ne doivent pas lui faire mal.

Salut, Roland! Nous n’aurions pas soupçonné, dès nous mettre en chemin, de rencontrer vivantes, au milieu des guérets et des chaumes du Trébon, la légende et la gloire du compagnon de Charlemagne. Mais poursuivons. Allégrement nous voilà descendant en Arles, où l’Homme de Bronze frappait midi, quand, tout blancs de poussière, nous entrâmes à la porte de la Cavalerie. Et, comme nous avions le ventre à l’espagnole, nous allâmes aussitôt, déjeuner à l’hôtel Pinus.

III

On ne nous servit pas trop mal… Et, vous savez, quand on est jeune, que l’on est entre amis et heureux d’être en vie, rien de tel que la table pour décliquer le rire et les folâtreries.

Il y avait cependant quelque chose d’ennuyeux. Un garçon en habit noir, la tête pommadée, avec deux favoris hérissés comme des houssoirs, était sans cesse autour de nous, la serviette sous le bras, ne nous quittant pas de l’œil et, sous prétexte de changer nos assiettes, écoutant bonnement toutes nos paroles folles.

– Voulez-vous, dit enfin Daudet impatienté, que nous fassions partir cette espèce de patelin?… Garçon!

– Plaît-il, monsieur?

– Vite, va nous chercher un plateau, un plat d’argent.

– Pour de quoi mettre? demanda le garçon interloqué.

– Pour y mettre un viédase! repliqua Daudet d’une voix tonnante.

Le changeur d’assiettes n’attendit pas son reste et, du coup, nous laissa tranquilles.

– Ce qu’il y a aussi de ridicule dans ces hôtels, fit alors le bon Mathieu, c’est que, remarquez-le, depuis qu’aux tables d’hôte les commis voyageurs ont introduit les goûts du Nord, que ce soit en Avignon, en Angoulême, à Draguignan ou bien à Brive-la-Gaillarde, on vous sert, aujourd’hui, partout les mêmes plats: des brouets de carottes, du veau à l’oseille, du rosbif à moitié cuit, des choux-fleurs au beurre, bref, tant d’autres mangeries qui n’ont ni saveur ni goût.

De telle sorte qu’en Provence, si l’on veut retrouver la cuisine indigène, notre vieille cuisine appétissante et savoureuse, il n’y a que les cabarets où va manger le peuple.

– Si nous y allions ce soir? dit le peintre Grivolas.

– Allons-y, criâmes-nous tous.

IV

On paya, sans plus tarder. Le cigare allumé, on alla prendre sa demi-tasse dans un cafeton populaire. Puis, dans les rues étroites, blanches de chaux et fraîches, et bordées de vieux hôtels, on flâna doucement jusqu’à la nuit tombante, pour regarder sur leurs portes ou derrière le rideau de canevas transparent ces Arlésiennes reines qui étaient pour beaucoup dans le motif latent de notre descente en Arles.

Nous vîmes les Arènes avec leurs grands portails béants, le Théâtre Antique avec son couple de majestueuses colonnes, Saint-Trophime et son cloître, la Tête sans nez, le palais du Lion, celui des Porcelets, celui de Constantin et celui du Grand-Prieur.

Parfois, sur les pavés, nous nous heurtions à l’âne de quelque barralière qui vendait de l’eau du Rhône. Nous rencontrions aussi les tibanières brunes qui rentraient en ville, la tête chargée de leurs faix de glanes, et les cacalausières qui criaient:

– Femmes, qui en veut des colimaçons de chaumes?

Mais, en passant à la Roquette, devers la Poissonnerie, voyant que le jour déclinait, nous demandâmes à une femme en train de tricoter son bas:

– Pourriez-vous nous indiquer quelque petite auberge, ne serait-ce qu’une taverne, où l’on mange proprement et à la bonne apostolique?

La commère, croyant que nous voulions railler, cria aux autres Roquettières, qui, à son éclat de rire, étaient sorties sur leurs seuils, coquettement coiffées de leurs cravates blanches, aux bouts noués en crête: