Allez, belles dames, marquises ou filles d'opéra, figures gracieuses et folles, la vraie Cythère est à Paris, gouvernée par Monsieur le Régent ou par le roi Louis XV le Bien-Aimé. Le siècle à cinquante années devant lui pour s'amuser et folâtrer, cinquante années pour les jeux et les ris, mais le temps viendra où les
TOILETTE DE COUR LOUIS XV,
larmes enlèveront le rouge et les mouches de vos joues.
La mode invente donc les robes volantes sans corsage ni ceinture du tout, tombant tout droit des épaules sur l'ampleur du panier, ou bien ajustées seulement par devant à la taille et laissées flottantes avec de larges plis par derrière, façon originale qui donne à la démarche un air de douce nonchalance et une grâce amollie, la marque du siècle.
Pour ces robes flottantes, pour draper l'immensité des paniers, on abandonne les lourdes étoff'es de l'époque précédente et l'on adopte les tissus plus légers, linon, basin, mousseline, les fines étoff'es piquées de petits bouquets, semées de fleurettes ou même de petits attributs champêtres.
Sur les promenades, par les beaux jours, on dirait une foule en déshabillé du matin, ce ne sont que manteaux volants, robes flottantes qui semblent des robes de chambre ; les bras sortent des flots de dentelles, les visages sont encadrés de molles collerettes ; les élégantes en corsage lâche qui se promènent ainsi jouant de l'éventail et faisant claquer languissamment leurs mules à hauts talons ont toutes, suivant un contemporain, un air de bonne fortune prochaine.
C'est la régence. Que de soupers, que d'orgies galantes au Palais-Royal et ailleurs et que de folles Parabère un peu partout dans la fièvre de plaisirs qui sévit, dans Paris surexcité encore par une fièvre nouvelle, la spécula-lion, qui du jour au lendemain avec Law, enrichit ou ruine, fait monter les uns jusqu'aux fabuleuses fortunes permettant toutes les jouissances, ou précipite les autres dans des détresses telles qu'il faut bien s'étourdir à tout prix.
Robes flottantes, paniers, coiffures, colifichets que la mode chaque jour invente, les satiristes de la plume et du crayon ont beau jeu. Les comédies et les chansons, le théâtre italien et le théâtre delà foire, les caricatures, les pamphlets, raillent de toutes les façons les extravagants paniers et les paniers triomphants se moquent des moqueurs, s'enflent de plus en plus démesurément.
Tout le monde en rit ou s'en plaint. Comment faire tenir plusieurs dames dans un ca-
Grands paniers
rosse qu'une seule suffit à remplir de ses jupes outrageusement ballonnées ? Tout est trop petit, les maisons sont trop étroites, il faut élargir les portes des salons pour livrer passage aux belles dames trop larges, comme plus tard il faudra les agrandir par en haut pour permettre aux gigantesques coiffures de passer sans anicroche.
Les fauteuils aussi manquent de largeur, comment s'asseoir avec ces immenses cerceaux qui refusent d'entrer entre les bras des sièges ou se relèvent indiscrètement?
Il n'importe, les paniers s'élargiront toujours jusqu'aux premiers temps de Marie-Antoinette et les jupes là-dessus se compliqueront de grands et petits volants, de treillis, déplissés, de lambrequins, de rubans arrangés dans tous les styles, de cent façons des plus gracieuses et des plus compliquées et des plus baroques aussi.
Sous la robe qui reste longtemps volante dans le dos, à la Watteau, le corps ou le corset emprisonne solidement le buste, le corsage de satin est en pointe descendant très bas ; comme il est décolleté, un devant de gorge de dentelles et de rubans, protège la poitrine contre le froid.
Suivant la saison ou la température, on porte desmantelets, des coqueluchons, c'est-à-dire de coquets petits mantelets recouvrant les épaules, avec capuchon léger de soie ou de satin, ornés de festons et de plissés, coiffures et mantelets tout à la fois, ou bien des manteaux recouvrant toute la personne jusqu'aux talons, espèces de dominos avec le coqueluchon arrondi par un cerceau de fil de laiton autour de la tète.
En somme, la mode pour les robes conserve longtemps les mêmes formes, modifiées seulement par les accessoires. De 172o à 1770 ou 75, ce sont, à peu de différences près, les mêmes dispositions et les mêmes lignes , le même ballonnement des jupes, toujours les flots de dentelles tombant des manches, toujours les floches de rubans.
La belle époque pour la mode xvm« siècle, celle qui fournit le plus joli type de costume Louis XV, c'est l'espace compris entre 1750 et 1770, époque de juste milieu entre les ampleurs exagérées de la Régence et celles non moins exagérées du temps de Louis XVL
C'est le règne de Sa très belle, très liiie, très artiste et très envahissante Majesté madame de Pompadour.
Pour évoquer cette épo({ue heureuse de vivre, pour en deviner tout le charme, il suffit de citer les noms de Boucher, Baudoin, La Tour,
Petite Modiste.
Lancret, Pater, Eisen, Gravelot, Saint-Aubin et de toute la pléiade des petits-maîtres si légers, si musqués, mais d'une grâce si délicieuse.
Certes il y a sous le parfum des roses une odeur de corruption, et il ne faut pas trop gratter le brillant de cette société au vernis Martin. Il y a partout un tel laisser-aller, un tel laisser-faire, une si remarquable difficulté Il se scandaliser de quoi que ce soit.
Louis XV, après Pompadour tombe à Du-barry et il a sou sérail, comme le grand Turc, au Parc-aux-Cerfs, mesdames ses filles Loque, Chiffe et Graille, fontmonter du corps de garde des pipes et de l'eau-de-vie. Grands seigneurs et financiers ont leurs « folies », où défilent grandes dames ou filles d'opéra, les marquises s'attablent à côté des gardes-franeaises chez Ramponneau...
Mais que ce xviif siècle a soigné son décor et qu'il s'est arrangé pour se faire une vie douce et charmante, sans se soucier et sans se douter de ce qui l'attendait au cinquième acte de sa féerie ! Sa personnification la plus exquise est dans le grand pastel de Latour, dans le portrait de M'"^ de Pompadour, en négligé d'intérieur, un petit poème de satin, de rubans et de dentelles.
La femme règne et domine, le sceptre de cette souveraine, c'est l'éventail. Depuis longtemps l'éventail était en usage, le moyen âge l'appelait Esmouchoir; il y avait eu l'éventail carré en drapeau ou en girouette, l'éventail de plumes qu'une chaîne de bijouterie attachait a la ceinture des dames nobles du x\f siècle,
Toikttc de sortie.
Téventail plissé apporté d'Italie par Catherine de Médicis et adopté par Henri III.
Dès le temps de Louis XIV, l'éventail est le complément indispensable de la toilette des
dames, mais sa grande époque, celle qui créa les plus jolis modèles, c'est le xviii^ siècle.
D'après G. de Saint-Aubin.
Montures de nacre et d'ivoire miraculeusement découpées et ciselées, peintures exquises de Watteau, Lancret et des autres, les éventails Louis XV, sceptres galants d'une société musquée, poudrée et féminisée, sont dignes de mener, par les mains des favorites, monarque ministres et généraux, les arts, les lettres, la politique et le monde.
L'estampe de Gabriel de Saint-Aubin, intitulée le Bal Paré, nous montre les élégantes de ce temps en grandes toilettes; encore les plis Watteau, les robes volantes ouvertes sur le corsage et sur la robe de dessous, rattachées à la ceinture par des rubans et relevées bien de côté sur le ballonnement des paniers; puis des garnitures voltigeantes, bordures de fourrures ou bandes plissées, des volants de satin ou de dentelle.