Tandis que les incroyables si bien nommés, les muscadins de la jeunesse dorée, avec leurs habits à grands collets, leurs immenses cravates et leurs gourdins si nécessaires contre les Jacobins et les sectionnaires terroristes, cherchaient leurs inspirations dans l'imitation des mojjes anglaises, les merveilleuses se vouaient toutes à l'antiquité. Pendant quelques années, plus de Parisiennes, rien que des Grecques et des Romaines.
Robes étroites sans taille, simples fourreaux serrés sur le sein même par une ceinture, courts par devant pour laisser voir le pied, un peu traînants par derrière, tel est le vêtement des merveilleuses. On ne connaît plus que lantiquité. G"est un recommencement.
Dans ce passage sombre de la Terreur on a oublié la pudeur. Ces robes à Tathénienne ne sont que de simples deuxièmes cbemises, — ce qui pourrait passer, n'étaient les bijoux, pour un symbole de la pauvreté de ces temps de ruine oîi le louis d"or valait buit cents livres en assignats, — ce sont des tuniques d'un linon transparent, qui plaquent sur le corps de In femme au moindre mouvement.
De plus les tuniques diapbanes des grandes élégantes ne sont-elles pas fendues sur les cotés à partir des bancbes.
Notre Dame de Thermidor, Thérèse Cabarras devenue la citoyenne Tallien, est la Reine de la Mode, elle se montre à Frascati. ainsi velue
OU plutôt dévêtue, sa robe à l'athénienne fendue latéralement laissant voir ses jambes dans un maillot couleur chair, avec des cercles d'or à la place des jarretières et des cothurnes à l'antique et des bagues à chaque doigt de ses pieds de statue.
Dans les salons, dans les jardins d'été, aux promenades, cène sont plus que robes à l'antique ouvertes en haut comme en bas, portées avec chemises à la carthaginoise ou même sans chemise du tout, sandales et cothurnes attachés par des bandelettes rouges, cercles d'or enrichis de pierres précieuses, arrangements de tuniques et péplums, corsets-ceintures hauts de deux doigts seulement sous le sein et ornés de brillants.
Les robes en voltigeant laissent voir les jambes ou même, quand elles ne sont pas ouvertes sur le côté, se relèvent au-dessus du genou au moyen d'un camée en agrafe et montrent franchement la jambe gauche.
Très peu de manches, un simple bourrelet à l'épaule, ou même pas de manches du tout; des camées rattachent les épaulettes de la robe, des bracelets nombreux habillent le bras. Comme il était impossible d'adapter des
Merveilleuse.
poches à ces tuniques si légères, à ces voiles si minces, les dames avaient adopté l'usage de la balanline ou du réticule^ nom ancien que l'on prononça tout de ?>miQ ridicule — d'un petit sac orné de paillettes ou de broderie, iyniit surtout la forme d'uae petite sabrctache (le hussard, qu'elles portaient à la main pour luellre leur bourse ou leur mouehoir.
Le hihiiophilc Jacob raconte (jue dans un sainn dt' la Mode sous le Directoire, cnniuie on se pâmait dadmiration devant un de ces costumes d'un goût si réellement antique qu'il n'y avait plus rien au delii. sinon les modes du Paradis lei'reslre, la merveilleuse (|ui le {»orlail paria (piil ne })esait pas deux livres. La j)reuve lut faite, la dame passa dans un petit boudoir rt son costume tout entier, pesé avec les bijoux, ne dépassa pas de bcaucouii le jxiids d'une livre.
Cette dame vêtue à l'athénienne pouvait se croire même très habillée, car d'autres tinu-vèrent le mnyen de l'être encore moins et poussèrent l'audace jusqu'à oser s'exhiber, ce qui est le mot. dans le costume dit à la Sauvagesse. (le costume à la sauvagesse était enc(jre j)lus simple }»uis(pril ne se composait que d'une chemise de gaze et d'un pantalon-maillot rose orné de cercles d'or.
Des femmes se pi'omenèi'cnt aux (iliam]js-
Elys(!^cs (laii< des Iburrcaux d'une tmiispareiiee })res({iie absolue, ou même avec les seins eum-plèlement nus, et ces femmes n'étaient nullement d<'s hétaïres quelconques, mais des l'emmes du monde officiel d'alors, des amies de Joséjdiine de Beauharnais î
Inconscience i)lutôt qu'impudeur, accès d*,' fulic. |('(l(''lire des plaisirs après la folie furieuse <'t le délire du sang !
(les merveilleuses qui avaient bravé la liuil-lotine Ijravaient la maladie. Pleurésies et tluxions de poitrine frappaient pourtant ces folles élégantes au sortir des bals et des salons, quand après la danse elles partaient à peiiu' couvertes dans le froid de la nuit, par-dessus leur quasi-nudité, d'un mince tichu ou d'un scliall large comme une écharpe.
Ces merveilleuses demi-nues qui prcnaieid leurs modes à Athènes copiaient aussi leurs coiffures sur celles des statues grec(iues et portaient les cheveux frisottés dans un réseau, les tresses et les nattes piquées de bijoux. Mais la vogue fut surtout pour les perru<iues blondcsi M""" Tallicn en avait jusqu'il trente.
de toutes les nuances du blond. Ces perruques blondes, légèrement poudrées, les Jacobins les avaient abhorrées et proscrites ; après thermidor elles triomphaient et devenaient le symbole de sentiments contre-révolutionnaires.
Les coiffures à la victime ou à la sacrifiée eurent aussi leur temps de succès, on relevait les cheveux par derrière et on les ramenait en mèches folles sur le front ; cette coiffure de guillotine, complétée par un terrifiant ruban rouge autour du cou, par un chàle également rouge jeté sur les épaules, était indispensable pour se rendre au fameux et macabre Bal des Victimes, dont l'entrée n'était permise qu'aux danseurs ou aux danseuses pouvant justifier d'un ascendant ou de quelques proches parents morts sur les échafauds de la Terreur.
Paole d'honneu victimée, ces dames sont déliantes! disent les incroyables à chaque nouvelle invention plus délicieuse et plus antique des couturières à la mode, M"^*^ Nancy et M""*^ Raimbaut, qui sont des modistes très éru-dites et très artistes, qui se font aider par les sculpteurs pour trouver des manières de se
PREMIER EMPIRE.
draper toujours plus grecques et des plis encore plus romains.
Les modes romaines un peu moins légères ont été adoptées par les dames que la trop
Coiffure à la Titus.
grande transparence des tuniques à la Flore ou à la Diane effraie un peu.
Les robes à la romaine sont portées par les dames du monde officiel qui se croient tenues à un peu de réserve, mais les deux mondes fusionnent. Athéniennes légères et frivoles, débris de l'ancienne société et parvenus de la nouvelle, fournisseurs des armées ou spéculais.
leurs subitement enrichis, muscadins et mus-cadines, victimes et bourreaux, jeunesse dorée, armée, politique, finances, tout cela forme, après la grande secousse, le plus incroyable des mélanges, et tout cela,]malgré les misères présentes, l'avenir incertain, s'agite dans l'épanouissement du bonheur de vivre après la grande tuerie.
Soudain la mode a décrété la fin des perruques blondes et la coiffure à la Titus obligatoire pour toutes les élégantes ; les belles du Directoire rejettent ces épaisses perruques et sacrifient aussi leur chevelure personnelle. Presque plus de cheveux ou le moins possible!
« La coiffure à la Titus, dit la Mésangère dans « le Bon Genre^ moniteur officiel de la mode, « consiste à se faire couper les cheveux près tt de la racine pour rendre à la tige sa raideur a naturelle qui la fait croître dans une direc-« tion perpendiculaire. » Merveilleuses et muscadins sont tous coiffés à la Titus, tous tondus avec quelques mèches très longues en désordre sur le front.
Il y a encore un autre type de Merveilleuse u Directoire, c'est la Merveilleuse à la Carie Vernet, légèrement vêtue encore, se serrant dans un mince jupon plaquant de couleur fifi pâle effarouché^ mais portant au-dessus d'un corsage si petit qu'il est invisible, au-dessus des seins nus, le cou engoncé dans les plis et replis d'une formidable cravate, tout comme son pendant l'élégant Muscadin, et sous son grand chapeau à plumes, la figure encadrée comme la sienne de longues mèches pendantes en oreilles de chien.