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C'est vainement que les prédicateurs s'attaquent à toutes les parties du costume, qua-liliant de portas d'enfer, les crevés, parfois bien inconvenants du surcot, traitant les souliers à la poulaine iVotitrages cm créateur, et faisant surtout aux coiffures, hennins, cornes ou escoffions, une guerre acharnée ; les femmes laissent dire et gardent imperlurbablement les modes attaquées.

En fail de mode, elles ne relèvent que d'elles-mêmes et nient toute autorité, royale ou ecclé-

CHATELAINE, MIEIEU DU XV^ SIECLE.

siastique, et même la suzeraineté maritale.

Les dames de ce temps-là portent aussi quelque peu les souliers à poulaines. les fameux

Le Hennin à grand voile.

souliers à bec relevés, dont les élégants de Taulre sexe s'étaient épris et qu'ils aiiTémen-taienf souveni d'un grelot tintinnabulant au bout.

Elles ne connaissaient pas encore les hauts talons, mais elles se grandissaient par des espèces de mules, ou par des quantités de semelles mises l'une sur l'autre.

Les coiffures des dames sont de proportions extravagantes. Le hennin triomphe entre toutes. Il y a Vescoffion qui affecte différentes formes, en tur])an, en croissant; il y a le bonnet en cœiu\ énorme coiffure d'étoffe brodée, treil-lissée de ganses, ornée de perles, avec un gros bourrelet relevé de joaillerie retombant en cœur sur le front. Mais c'est le grand escoffion à cornes qui, sur tous les autres, scandalise les prédicateurs, l'escoffion qui est une large carcasse ornée de pierreries emboîtant les oreilles et laissant tomber de chaque corne sur les épaules une fine mousseline flottante.

Ces escoffîons venaient, dit-on, d'Angleterre, ainsi qu'à toutes les époques maintes excentricités de costumes; l'Anglomanie qui sévit de temps en temps, date de loin, on le voit. Viollet-le-Diic, dans son Dictionnaire du Mobilier, donne un exemple de grand escoffion pris sur une statue tombale d'une comtesse d'Arundel du commencement du xv siècle.

Comparant les femmes ainsi coiffées à des figures sataniques, à des bêtes cornues, prédicateurs et moralistes déclarent que la femme douze fois infidèle va au Purgatoire, mais ils jettent directement et sans rémission à l'Enfer celles qui portent ces escoffions à cornes !

Le grand hennin est un immense cornet plaqué sur le front, emprisonnant complètement les cheveux, un tube conique en étoffe ramagée ornée de perles, avec une voilette plus ou moins longue sur le front, et tout en haut, à la pointe de l'édifice, un flot de légère mousseline retombante. Edifice extravagant, soit, incommode, mais non ridicule, monumental mais charmant, et que les femmes s'obstinèrent à porter pendant près d'un siècle, parce qu'il était en réalité très seyant et donnait à la physionomie, à l'ensemble d'une figure, de pied en cape un caractère très imposant. Et enfin, raison principale dont on ne se rendait pas compte peut-être, mais qu'on reconnaissait inconsciemment : parce que ces grands hennins cadraient avec les architectures d'alors.

Magnifique époque d'expansion et de montée! Fines et dardées haut, les flèches des églises escaladent le ciel, entraînant les âmes avec elles, toutes les lignes des architectures montent, s'épanouissent et fleurissent. Quand on songe que c'est le temps des merveilleuses façades de maisons ou de palais, des orfèvreries de pierre sculptée, des fines tourelles, des crêtes festonnées, le temps des villes hérissant mille clochers et mille pointes, l'ascension des hennins se comprend très bien. Comme toutes les ascensions, c'est encore une montée vers l'idéal, puisque ces grands hennins aux longs voiles flottants donnent forcément une réelle noblesse à l'attitude et à la démarche.

Guerre aux hennins! Tel fut cependant partout le cri des moines et des prédicateurs. Le plus violent de tous et celui qui fut le plus entendu, sinon écouté, c'était un carme de Rennes, nommé frère Thomas Connecte.

Il entreprit dans sa ville une véritable campagne contre le débordement du luxe, en particulier contre les pauvres hennins. De la Bretagne, il passa dans l'Anjou, en Normandie, en Ile-de-France, en Flandre, en Champagne, prêchant partout soleiiiiellemeiit et dans chaque ville du haut d'une estrade dressée en plein air

sur une place publique, accablant d'invectives celles qui se complaisaient aux raffinements de la toilette et les menaçant de la colère du ciel.

Tous les malheurs qui fondaient sur le monde, tous les vices du temps, toutes les hontes, tous les péchés, toutes les turpitudes de l'humanité, provenaient suivant lui de l'extravagance coupable des hennins et des escof-lions démonia({ues.

Et dans la chaleur de sa conviction, frère Thomas ne s'en tenait pas à la parole; à la lin de son sermon, le digne homme, enflammé d'une sainte ardeur, saisissait un bâton et passant à travers les rangs effarés des dames, nobles ou bourgeoises, venues pour l'entendre, il faisait sans pitié, malgré les cris et la bousculade, un grand massacre de hennins.

— Au hennin! au hennin! A ce cri, les polissons ameutés par le frère poursuivaient par les rues toute femme dont le couvre-chef dépassait les modestes proportions d'une coiffe ordinaire.

Néanmoins, malgré sermons et voies de fait, les hennins ne s'en portaient pas plus mal et se relevaient après le passage du moine. De ville en ville, celui-ci continuant sa croisade contre le luxe, s'en fut à Rome, et là, le spectacle moins qu'édifiant offert alors par la capitale de la chrétienté, le surexcita tellement qu'il oublia toute mesure, et que, laissant les hennins tranquilles, il s'attaqua aux cardinaux et princes de l'Eglise. Ceci était jeu plus dangereux. Le pauvre homme, accusé d'hérésie, fut appréhendé et tout simplement brûlé en place publique.

Dans l'histoire de la mode, il y a le roman de la mode ! Dans les annales de la coquetterie féminine, que d'épisodes curieux et aussi que de figures romanesques qui traversent la grande histoire, charmantes, attirantes, parfois étrangement poétiques, fleurs délicates parmi toute la ferraille remuée parle siècle—et parfois aussi, dangereuses sirènes qui donnent bien raison au frère Thomas Connecte !

L'histoire de la mode pourrait s'écrire avec une douzaine de portraits de femmes espacés de siècle en siècle, portraits de reines de la main droite et de reines de la main gauche. — plus souvent de la main gauche, — de grandes dames et de grandes courtisanes.

c'est une page qui se tourne, un chapitre nouveau qui commence : Agnès Sorel, Diane de Poitiers, la reine Margot etGabrielled'Estrées,

Les Manches tailladées et déchiquetées.

la reniière femme et la dernière mie du rui Henri, Marion Delorme, la Grande Mademoiselle, Montespan, première partie du règne du roi Soleil, Maintenon, seconde partie du règne du monarque renfrogné, Madame de Pompa-

DAME SOUS CHARLES VIII.

dour, triomphe du pimpant xvm'^ siècle, Marie-Antoinette, dernier et mélancolique éclat d'un

La Houppehiiule.

monde qui finit. Madame Tallien, Joséphine..., etc.

Après Isabeau de Bavière, reine de France et reine de la mode, la gracieuse et magnifique épouse de Charles VI, d'abord reine des bals et des fêtes, mais qui devint bientôt la reine des guerres civiles, sans cesser, dans un temps de sombres horreurs, de rêver somptueux costumes et recherches d'élégance, — après les modes d'Isabeau, c'est le temps et ce sont les modes d'Agnès Sorel. la dame de Beauté de Charles VIL

Charles VII s'endorl à Bourges et ne songe guère à reconquérir son royaume : ses maîtresses et ses plaisirs sont tout l'univers pour lui. La grande et sainte Jehanne a endossé le harnais des hommes de guerre pour combattre l'Anglais, elle a déjà reconquis au roi une forte partie de son royaume; une autre femme, ni grande ni sainte, va continuer son œuvre, Agnès Soreau de Saint-Géraud, la belle Agnès Sorel, blonde aux yeux bleus, par la puissance et l'ascendant de la beauté, enflamme le roi Charles, elle le lance contre l'Anglais, lui fait reprendre, ville à ville, le reste du domaine des fleurs de lys et mériter dans Thishiire le surnom de Victorieux.