Le Gai Paris devrait s’écrire Gay Paris, vu qu’il y a autant de grandes folles dans cette boîte que chez un grand coiffeur parisien pour dames.
Dans une immensité obscure, faiblement éclairée par de fausses chandelles électriques, quatre « fresques » célèbrent notre immortelle capitale. Elles représentent la tour Eiffel (ça, tu peux y compter), l’Arc de Triomphe (incontournable), le Sacré-Cceur (Montmartre oblige), et un ballet french cancan (dont les protagonistes offrent la particularité de sortir d’une maison de retraite pour danseuses terrassées par la maladie de Parkinson). La salle est meublée de tables basses posées devant des accumulations de poufs ventrus. En son centre, une piste de danse qui tiendrait mal dans ta salle de bains et, au bas des degrés noirs, aux nez de marches lumineux, un bar d’au moins vingt-cinq mètres de long derrière lequel s’affairent des éphèbes jaunes sobrement vêtus de dessous féminins très seyants. Note que pour des mecs qui pourraient utiliser des capuchons de stylos Bic comme préservatifs, c’est pas trop grave.
Renonçant à aller nous vautrer dans l’obscurité, sur les poufs hébergeurs de pafs, nous élisons le comptoir comme centre d’accueil. Nous demandons deux vodkas-citron et nous nous mettons à attendre des événements qui ne peuvent manquer de se produire sinon le présent ouvrage serait sans intérêt. Or, moi, tu me connais ? Je ne suis pas le genre d’auteur à laisser s’anémier l’action, non plus que les personnages. Personnellement, tout bouquin qui ne m’a pas « happé » dès les dix premières lignes n’a pas besoin d’être lu.
Un être confus, de sexe d’autant plus indéterminé qu’il est d’une fragilité de verre filé, le cheveu noir, long et lisse, coiffé à la garçonne, habillé d’une sorte de chasuble de soie blanche rehaussée d’or aux manches et au col, vient se blottir (pratiquement) contre le Dirlo.
— Accepteriez-vous de m’offrir une coupe de champagne, monseigneur ? demande la créature d’un ton craintif, bien que s’exprimant en anglais.
— Avec le plus grand plaisir, assure le réformé de la membrane, gagné par le « monseigneur » et l’extrême politesse de la créature.
Je me dis qu’il s’agit probablement d’une entrée en matière visant à autre chose qu’à une opération putassière.
Le serveur mi-nu apporte la coupe sollicitée. Je constate illico qu’il s’agit d’un champagne anémié qui a perdu du ressort. L’entraîneuse ne le déguste pas moins avec des mines de chatte heureuse.
— Vous êtes européens ? nous demande-t-elle de sa petite voix de souris aphone.
— Mieux que cela : français, répond le Vénérable qui a toujours estimé sa qualité de Français comme un signe de la bienveillance divine.
Notre compagne paraît d’ailleurs éblouie par cette annonce et marque la considération attendue par Chilou.
— Vous portez un parfum délicat, dit-elle au Vieux.
— Merci.
— Je pourrais passer la nuit à vous respirer, ajoute-t-elle.
Du coup, le Daron ne se sent plus et grimpe en mayonnaise.
— Ces Jaunes sont d’une délicatesse !… me chuchote-t-il.
— Ah ! ça change d’avec les dockers irlandais, admets-je très volontièrement.
Je consulte ma Pasha. Zéro heure vingt-deux. Sur le message ne parlait-on pas de minuit ? Alors quoi ? Lapin, ou bien le contact auquel je m’attendais est-il celui en train de flirter avec l’Etincelant du gyrophare ?
Il ne me répond pas mais, dans l’obscurité, je devine des mouvements feutrés.
Le Dirluche pose brusquement sa dextre sur mon bras gauche (très gauche).
— Ça y est ! dit-il dans un souffle.
— Qu’est-ce qui y est, Achille ?
— J’entre en érection, mon petit.
— Les attouchements subreptices de cette créature ?
— Joints à la poudre magique. L’effet est certain ! Oh ! Seigneur, quelle merveille ! Il me semble rentrer d’un long voyage en enfer.
A voix basse, il se met à réciter, sans fioritures ni trémolos, un ardent Notre Père.
L’ayant achevé il exulte :
— Oui, oui, ouiiii ! je bande, Antoine ! Je bande ! Oh ! la divine, la fabuleuse surprise. Une queue d’airain, mon lapin ! Je pourrais casser des noix avec, enfiler Anne d’Autriche, disloquer la vulve d’une lavandière, soulever un sac de patates, percer un galandage, jouer de la grosse caisse, du tam-tam, faire la courte échelle à Bérurier, assommer un veau, me transformer en toton, piler du manioc, mettre une barrique en perce, faire du stop en conservant les mains aux poches !
« Fabuleux, miraculeux ! Jamais je n’ai eu la même ! Ecoutez, je sais que ça ne se fait pas, mais touchez, par curiosité ! Quel volume ! Vous ne voulez pas toucher ? En camarade, pour vérifier le prodige ! Non ? Soit ! Je vais devoir vous abandonner, Antoine. Cette exquise personne doit m’éteindre avant que je n’explose. Pourvu qu’elle soit suffisamment large pour héberger un tel pénis ! On doit pouvoir se procurer de la vaseline dans ce pays, non ? A défaut de l’huile ? On fabrique bien de l’huile en Thaïlande, non ? »
— Achille, lui dis-je, réalisez-vous que nous nous trouvons dans une boîte d’homos et que le réanimateur de votre virilité en sommeil en est très probablement un ?
Mais autant cracher dans le Pacifique.
— ET ALORS ? gronde Chilou. Que voulez-vous que ça me foute, dans l’état où je suis ? Mais, mon garçon, à cet instant, j’enfilerais un âne ! Un sac de farine troué ! La reine d’Angleterre ! M. le chancelier Kohl ! Il est impératif que je découille, moi, monsieur le directeur. Que je vérifie illico si cette folle érection est une infirmité momentanée ou un véritable retour à la vie sexuelle ! Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Et quand on dispose, après des mois de chasteté, d’un sexe parvenu à ce point de dilatation, on doit l’enfourner, vite, n’importe où, dans n’importe quoi ! Vous ne comprenez donc pas, pauvre con, que cet état est critique ? Que ma queue est intenable ?
Je m’emporte, comme j’aurais jamais cru, avec « môssieur le directeur ».
— Ecoute, vieux zob, fais-je en tirant sur sa cravate, nous nous trouvons en Thaïlande ! Cinq cent mille cas de Sida au dernier recensement. Et tu veux te faire une petite lope contaminée jusqu’à la moelle !
— Un suicide comme un autre, môssieur ! se rebiffe Chilou. Cette érection est le suprême présent du destin, je ne la laisserai pas retomber sans l’avoir utilisée, ce serait criminel ! Une injure à Dieu !
Puis, à son compagnon ( ?) :
— Venez, chère petite créature du salut, venez détruire, hélas, ce que vous avez construit avec tant d’aisance.
Je balance un bifton au loufiat et sors sur leurs talons, renonçant à attendre davantage l’arrivée problématique d’un mystérieux correspondant.
Il existe une assez grande distance entre le Gai Paris et notre hôtel. Heureusement, quelques taxis poireautent devant la boîte de nuit.
J’en affrète un et nous montons. Je voudrais m’installer au côté du chauffeur, par discrétion, afin de laisser le « couple » s’ébattre dans des prémices de feu, mais le driver me répond qu’il ne veut pas de contact direct avec la clientèle.
Son bahut est une caisse rutilante par rapport à la plupart des sapins thaïs et une vitre « britannique » sépare le transporteur des transportés. Vieille tire garnie de cuir noir, si vieux qu’il en est vert. Voiture de maître rouillée sous le harnois et convertie en taxi dans un pays où les objets ne parviennent pas à mourir. Une pièce de musée, pratiquement.
Avant d’y prendre place, j’actionne la poignée de l’intérieur, craignant un piège. J’ai déjà donné en la matière. Un jour l’on m’a chargé dans une bagnole dont l’avant était isolé de l’arrière par un verre Securit et dont les portes ne pouvaient être ouvertes du dedans. Y a longtemps, mais les coups d’arnaque sont toujours à l’ordre du jour lorsqu’on les réussit. Et puis le petit mecton qui rebranche Pépère sur le courant lumière ne me botte pas. Je me dis que je ne peux pas laisser mon vieux gâteux courir à une pareille dépravation. Son ramadan prolongé lui a chanstiqué la boussole et, devant sa raideur reparue, il est prêt à sombrer à pic dans le stupre et la turpitude, ce croulant chéri !