L’autre, que je croyais attentif, pousse un cri de cormoran auquel on a bouché le trou du cul avec de la cire à cacheter.
Lico, je dérouille un choc dans les endosses.
Mon souffle se bloque, je titube du cervelet. S’agit-il du coup de surin annoncé par le prophète ?
Ne sais. Ça se brouille. Faiblesse des cannes. Ployez genoux, résonnez musettes ! A dame ! Des pieds, des pantalons, des mégots !
Ma respiration se rétablit-elle ?
Que tchi !
Ça se coince dans toute ma partie supérieure. On est peu de chose.
SORTEZ VOS MOUCHOIRS
Comme il avait mentionné un poignard pour m’impressionner, le Bronson du pauvre, j’ai pensé que je venais d’effacer un méchant coup de saccagne ; en réalité, il s’agissait d’une tout autre arme. Les passionnés du B.H.V. connaissent cet instrument fort simple servant à enfoncer des clous dans le marbre ou le béton. Il ressemble à une espèce de pompe à vélo. On place le tube autour du clou et on pistonne à petits coups répétés. La force d’inertie fait que la plus dure des parois devient beurre.
C’est avec un truc comme ça qu’il m’a détérioré le tempérament, l’acolyte du Magot. M’a appuyé l’orifice de l’engin entre les côtelettes et s’est mis à pomper à toute vibure. Ça m’a fait comme si je morflais un épieu dans la viandasse. Mon seul souci : retrouver suffisamment d’oxygène comestible pour poursuivre mon destin. Des chiées de gens, chaque morninge, se demandent s’ils vont trouver de quoi bouffer. Et puis d’autres, plus mal nantis encore, s’acharnent à trouver de quoi gonfler leurs poumons ; la vie est difficile.
Ce qui venait de se passer, je te le détaille, pas que tu meures idiot. C’était cacateux express ! Quand j’ai perdu connaissance, on m’a glissé deux paquets de blanche dans les fouillasses. La police a établi que j’en avais cent vingt grammes à l’intérieur de mes harnais. Or, dans un pays comme la Thaïlande, le trafic de la drogue est puni de mort. Voilà un patelin pourri à l’os, où se commettent les pires dépravations, mais qui joue la grosse rigueur répressive concernant une chose qui se répand hélas de plus en plus et que tu trouves en vente libre dans les grandes surfaces (ou à leurs alentours).
Autre chose, du temps que j’aborde la question : la seringue ne contenait pas du curare, mais de la morphine.
Les perdreaux thaïs l’ont récupérée et leur laboratoire a trouvé mes empreintes dessus puisque je l’avais prise au Bronson. Sous toutes les latitudes, et sous toutes les longitudes, ces genres de détails s’appellent des preuves. J’ai été bon pour la marmite, directeur, pas directeur des polices parisiennes… Les titres, les grades, les pedigrees dorés à la feuille, ce qu’ils s’en tamponnent, les Niacs ! Vertigineux ! Chez eux, y a qu’eux ! Les incidents diplomatiques les font marrer comme tu peux pas savoir.
A signaler que le Dabe n’a pas été inquiété dix secondes. Lorsque l’accroc s’est produit, il était occupé à charger une nouvelle entraîneuse du Gai Paris ; pas une Jaune, une grise (sang mêlé avec prépondérance africaine) qui, devais-je apprendre par la suite, lui procurait un effet irrésistible, au ressuscité de la membrane médiane.
Et donc, en trois temps deux mouvements (à moins que ce ne soit l’inverse), j’ai subi cette cruelle agression à la pompe à clous, dont je conserverai toujours des séquelles, d’après ce que m’a avoué le professeur Durdeloigne que j’ai consulté plus tard à Paris. La police m’a fouillé, m’a trouvé porteur de came et m’a embastillé. Tout ça parce qu’une petite friponne d’opticienne faisait sa vitrine sans porter de culotte, si tu y réfléchis !
J’ai toujours été frappé par les perfidies du destin. Il semble se présenter à la bonne franquette, sans intentions tordues, et puis il se met à déconner en douce, et très vite tu mesures le rôle essentiel qu’il joue dans nos existences cahotantes.
Au début, le choc cruel qui m’a été porté dans le dos retire de la sagacité à mes réflexions car la douleur altère les fonctions cérébrales ; n’empêche que la gravité de mon sort m’apparaît dans toute son horreur. J’ai vu des reportages sur les geôles thaïes et sur les exécutions qui s’y perpètrent. Certes, le président de la République française interviendra en ma faveur, mais tout cela va prendre du temps, et il suffit d’une tension diplomatique entre mon pays et celui-ci pour que les dirigeants de ce dernier s’amusent à « faire un exemple ».
L’on m’a jeté dans un fondement de basse-fosse horrible et pestilentiel, en compagnie d’hommes sortis d’une cour des miracles moyenâgeuse. Tu y trouves même un borgne, un unijambiste, deux scrofuleux et un malheureux gars qui charrie un mètre cinquante d’hémorroïdes incontrôlables en guise de robe à traîne.
Je ne te mentionne l’odeur que pour mémoire, faire mon travail de romancier scrupuleux. Elle est dantesque : merde et pourriture confondues, urine et sanie, crasse et pets accumulés ! Je découvre des gueules d’ombre dévorées par la barbe, des yeux brillants de folie. Les tableaux de Jérôme Bosch ? D’aimables Corot, en comparaison !
J’adresse un salut de la main à cette pitoyable coterie et cherche cinquante centimètres carrés de sol dégagé pour m’y asseoir en tailleur. Dur à trouver. Mes compagnons de cellule — j’en dénombre une dizaine —, occupent tout l’espace. Le garçon qui perd ses légumes consent spontanément à me faire un peu de place. Je lui souris. Ça le rend joyce. Il voudrait me parler, mais il ne jacte qu’un langage incourant. S’il ne disposait que de ce bagage pour placer des aspirateurs dans le seizième, il ne boufferait pas chez Lasserre tous les jours !
Acagnardé dos à des barreaux rouillés, je gamberge. Pourquoi m’a-t-on feinté de la sorte ? Dans quel but ?
J’essaie de peigner un peu cet écheveau. Le conseil d’Achille était very good, qui nous posait en payeurs de primes. Dare-dare la chose a rendu avec l’intervention de l’élégant Chinois vêtu de blanc qui ne souhaitait qu’affurer de la braise. Savoir si sa collaboration aurait été juteuse est une autre histoire. Ce qui me sidère, c’est ce piège tendu par le Bronson des chaumières. Là, il n’était question que de me faire tomber. Dans quel but ? En quoi mon arrestation peut-elle servir les intérêts de ces gens ? La seule explication que j’entrevois, c’est celle-ci : le gars Bronson bis est bel et bien mouillé dans l’enlèvement de Rosy et de son pote l’éditeur. Apprenant que des mecs se pointent, non pas pour retrouver le couple vivant, mais pour obtenir la preuve de sa mort, il décide de me neutraliser « légalement », si j’ose dire, en me faisant arrêter, puis condamner à mort.
L’homme aux hémorroïdes en traîne de majesté me touche le genou et imite l’action de fumer une sèche. Il veut du perlot. Moi, excepté un Davidoff (priez pour lui), de temps à autre, l’herbe à Nicot, c’est pas mon fief. Je palpe mes vagues en haussant les épaules pour lui signifier que je n’en possède pas. Ce mouvement me permet de sentir un cylindre dur dans un revers de mon veston. L’objet a échappé à la fouille.
Je me remémore ce dont il s’agit : une invention du Rouquin dont je me suis muni avant de partir. Cela se présente sous la forme d’un stylo chromé. En réalité, il ne sert pas à écrire, mais à éclairer. A la place de la plume se trouve un minuscule projecteur dont le diamètre est à peu près celui d’une pièce de cinquante centimes, alimenté par une batterie spéciale dont l’intensité est si forte que son action équivaut à celle d’un rayon laser. Le Rouque et son assistante-maîtresse-nièce ont travaillé deux mois sur cette invention dont j’ai la primeur. Tu flanques le faisceau de la lampe-stylo dans les mirettes d’un gnace et, instantanément, il perd le contrôle avec la réalité ; c’est un méga-chose-visar équivalent à seize mille ampères-chroumff, c’est te dire ! Je l’ai essayé sur Bérurier qui, instantanément est devenu doux comme un agnelet et soumis à t’en essuyer le trou de balle avec la langue, ce qui, même chez un vieux dégueulasse de son style, n’est pas courant.