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Au cours de ma vie de séducteur, j’avais eu l’occasion d’enregistrer bien des manifestations sonores de femmes emportées par le plaisir. J’en avais rencontré qui ululaient, d’autres qui cacardaient, des qui jacassaient, des qui feulaient, des qui rugissaient (beaucoup), des qui cacabaient, des qui piaillaient, des qui mugissaient, des qui, comme la sardine, ne disaient rien, des qui couinaient, des qui parlaient une langue courante et d’autres un dialecte obscur, des qui faisaient du trot attelé sur ma virilité exacerbée, des qui s’en dérouillaient trois à la fois par les chemins de la Providence, des qui blatéraient, des qui déblatéraient, des qui s’accrochaient à mes poils comme des chauves-souris, des qui rotaient le foutre comme des chauves souriants, des qui craquetaient, des qui chantaient le grand air de Lakmé en jouissant, des qui se mettaient deux doigts dans la chaglatte pour siffler, et beaucoup beaucoup d’autres tout aussi originales. Mais une qui commence à japper teckel quand tu lui tyroliennes l’escarguinche et qui aboie saint-bernard au moment de la sabrée « Tarass Boulba », c’est une grande première qu’il me plaira de noter dans mes archives afin que, l’âge d’écrire mes souvenirs étant venu, titre envisagé : (San-Antonio, son vit, son nœud), je sache quoi dire.

Cette rencontre était de celles qui agrémentent prodigieusement l’existence, aussi, comme chaque fois qu’il m’arrive une chose heureuse, en remercié-je le Seigneur. Ne crois pas que je m’abîme en dévotion. Il n’en demande pas tant et Se contente du « merci » que je Lui balance du fond de l’âme. Comment je le sais ? De la meilleure source qui soit : je le sens péremptoirement.

L’autre jour, un journaliste que j’aime beaucoup me fait comme ça : « Vous prétendez croire en Dieu, en écrivant ce que vous écrivez ? » J’y ai répondu : « Mais bien sûr, puisque c’est Lui qui me l’inspire. » Pourquoi serait-Il pisse-froid, l’En-hautiste ? Si les croyants pouvaient dissiper ce fâcheux malentendu, comme tout irait mieux entre eux et Lui !

Moi, la notion d’un bon Dieu pincé, châtieur, à l’Esprit adjudange telle que m’ont inculquée mes aînés, je n’ai eu de cesse de m’en défaire, sentant bien qu’ils faisaient fausse route. D’accord pour le bien, la vertu, le droit chemin, oh ! que oui, mille fois d’accord ; mais dans la joie, bordel ! Dans la farandole !

Qu’est-ce qu’Il en a à secouer, des chagrins au cul serré, le Divin ? C’est un père, Dieu, nom de Dieu ! Il veut que ses enfants travaillent, mais soient heureux ! Qu’ils se marrent ! Qu’ils s’enculent si ça leur fait plaisir. Tu crois sérieusement qu’Il s’arrête à ces broutilles, Dieu ? Qu’Il préfère le chrétien raseur de sacristie qui refuse une obole à un dénuementé, au gars qui s’en chope une dans les miches parce qu’il pense que ça fait du bien par où que ça passe ? Quand tu grimperas là-haut, t’en éprouveras des stupeurs, l’aminche ! T’auras pas trop de l’éternité pour remettre tes préjugés en place ! C’est Sana qui te l’annonce. Affaire à suivre !

Tu vois : toujours ma musiquette fervente, au détour d’une page, ma piqûre de mystique vite fait, bien fait, pas vu, pas pris. Mon fugitif « Je croise en Dieu », histoire d’assurer mon territoire spirituel. Marotte, peut-être ? Va-t’en savoir, Charles. Recherche d’un confort, en tout cas. Coussin dans un dos de vieillard. Mais si, mais si : croyez en Dieu, grand-père, vous cannerez plus facilement. Renoncer est moins duraille quand on se sait attendu.

Donc elle me joue le grand air de la meute dans les halliers en allant au fade, dame Besicles. Tant que je pique des deux en force. On écrase six montures de lunettes qui se trouvaient sur la table, dont l’une en écaille de tortue véritable, que j’ose pas t’en révéler le prix ! Y a des gens qui se refusent rien, je te jure ! Des milliers de francs pour lire son journal, merde ! Alors que l’abbé Pierre use ses ultimes forces à faire la manche, le gone[2].

Ma partenaire impromptue se dresse sur les coudes. Elle murmure en me couvrant d’un regard lourd d’une indicible reconnaissance :

— Si je m’attendais à une chose pareille…

— Très chère, réponds-je, c’est le genre d’aventure qui arrive lorsqu’on s’installe sans culotte dans une vitrine.

Elle rougit.

— J’ai été obligée de l’enlever pour pouvoir m’accroupir, car l’élastique me blessait. Mais je ne me doutais pas que… que cela se voyait.

— Cela ne se voyait pas mais se devinait, rectifié-je. Des yeux moins exercés que les miens sont passés devant vous sans rien apercevoir.

— En tout cas, vous avez de l’autorité !

— J’aime l’amour.

— J’ai vu. Quel amant exceptionnel !

— Vous me flattez.

— Je vous rends justice. Peut-être ne me croirez-vous pas, pourtant je vous jure que je n’ai jamais ressenti un plaisir aussi intense avec un autre homme. J’avais l’impression que votre sexe était en feu et qu’il me transperçait. Vous habitez le quartier ?

— Non, mais j’ai une voiture rapide. Vous tenez seule ce magasin ?

— Mon mari en a un autre à la République.

— Si bien que je peux, à l’occasion, venir faire contrôler ma vue ?

— J’ai une petite assistante.

— Ignorez-vous que ces jeunes filles peuvent être amenées à faire des courses urgentes ?

Elle rit.

— Quelle aventure ! Vous me plaisez infiniment, vous savez ?

— J’en ai autant à votre service.

Elle me défrime avec gravité.

— Il me semble vous connaître. Seriez-vous comédien ?

— A Dieu ne plaise, je ne le deviens qu’en cas de nécessité absolue. Je suis codirecteur de la P. J. Elle rayonne.

— Mais naturellement : San-Antonio, n’est-ce pas ?

— Gagné !

Elle soupire :

— Je vous trouve encore plus beau qu’en photo !

— Parce que sur les photos on ne voit pas ma queue, hypothésé-je. Un homme confortablement membré est entouré d’un halo prestigieux aux yeux d’une femme qui le connaît complètement.

Elle répète, mezza voce, et à plusieurs reprises :

— San-Antonio, San-Antonio.

Une litanie aphrodisiaque. J’ai idée que si je peux l’avoir deux heures en tête-à-tête dans une chambre, l’aboyeuse, j’en tirerai des sonorités en comparaison desquelles celles d’une viole ne seraient que grincements de portes non huilées.

— Eh bien, j’ai été comblé par notre rencontre inattendue, madame. Si vous voulez bien me donner votre carte, je m’engage à en faire bon usage.

Elle prend un bristol blanc dans un tiroir et me le tend entre médius et index.

— Si j’osais…, fait-elle, songeuse.

Ça y est : elle va me solliciter quelque chose. Toujours la même histoire : elle s’est pas encore briqué les miches qu’elle essaie de me tirer profit. Une contredanse à faire sauter, tu paries ? Plusieurs, peut-être ? Ou alors une recommandation auprès d’un magistrat à propos d’un procès boutiquier ? Faut toujours être prêt au tapage, dans notre chienne d’existence où l’on te pompe tout : ton nœud, ton fric, ton temps, tes relations. Un monde piranhesque, on vit. T’es dépecé en moins de jouge. Si tu ne te défends bec et ongles, t’es ruiné, déloqué, sodomisé, et qu’encore ensuite on te passe au scanner, voir si t’aurais pas un rognon ou un soufflet à te laisser ponctionner pour le greffer à un pote ! Tu rigoles ? T’as tort, ça existe. TOUT existe.

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N’oublie pas qu’il est lyonnais.