Alors je me chope une expression évasive de repli. S’il s’agit d’une contrebûche, O.K., je la lui ferai sauter. Paris vaut bien une messe, et une troussée un passe-droit. Mais je n’irai pas plus loin.
Pauvre nœud !
Pour aller loin, je suis allé loin ! Si loin que j’ai bien failli ne pas en revenir.
CONSÉQUENCES IMPRÉVUES
D’UN ÉLASTIQUE DE SLIP
Elle ne parvenait pas à jacter. Timidité ? Non émotion, je l’ai compris par la suite. Elle me dit enfin, la voix défoncée :
— Il s’agit de ma sœur qui est beaucoup plus jeune que moi. Ma demi-sœur, en fait…
En un éclair, le Sana phosphorescent échafaude mille hypothèses : la fille est « tombée » pour une histoire de came ; ou bien elle a pioché dans la caisse de ses employeurs, voire encore a eu un grave accident avec tous les torts de son côté. De toute manière, à la gueule de la besicleuse, je reniflais un vilain caca.
— Oui ? l’ai-je encouragée.
Parce que, hein, j’ai du boulot. Tirer une guêtre en passant, mon emploi du temps s’en accommode, mais assurer le service « récupération des épaves », c’est assujettissant.
— Voilà, s’est-elle enfin décidée. Ma sœur s’appelle Rose Déprez.
— Et vous ?
— Annie Versère.
— Merci. Rien de plus désagréable que de faire l’amour à une femme dont on ignore le prénom ; on a l’impression de baiser dans le vide.
— C’est une impression que je n’ai pas partagée, assure l’exquise déculottée.
Choute, va ! Pour la remercier, je passe la main sous sa jupe afin de flatter le renflement de sa chatte qu’elle a dodue comme une moule d’Espagne.
Je raffole des chaglattes appétissantes, triple zéro, quoi. Quand tu leur arpentes l’intérieur de la menteuse, tu crois savourer des mollusques de chez Marius et Jeannette.
— Revenons à votre sœur, merveilleuse Annisette. Que lui est-il arrivé de fâcheux ?
— Elle a disparu.
Allons bon !
— Depuis longtemps ?
— Trois mois.
— Elle était fugueuse ?
— Absolument pas. C’est une femme on ne peut plus sérieuse, qui est préparatrice dans une pharmacie.
— Quel âge ?
— Vingt-huit.
— Mariée ?
— Non. Elle a eu des liaisons sans lendemain. Rosy est très indépendante. Plutôt engagée politiquement.
— Gauche, droite ?
— Gauche, ce qui exaspère mon mari qui est un inconditionnel du R.P.R.
— Dieu reconnaîtra les siens.
— Exactement.
— De quelle manière a-t-elle disparu ?
— L’été dernier, elle a fait la connaissance d’un nouvel ami, à La Baule ; un type très bien qui travaille comme directeur littéraire dans une importante maison d’édition. Cette fois, j’ai bien cru que ma sœur allait sauter le pas et l’épouser. Il le lui demandait de façon pressante car il était terriblement accro.
« Ils se sont mis ensemble et tout semblait parfait. Le grand amour tant espéré, auquel on finit par ne plus trop croire, le temps passant. Alors, voici trois mois, ils ont pris une décision : celle de faire un grand voyage tous les deux. Si celui-ci était positif, ils se marieraient au retour. »
— Le voyage de noces avant les épousailles ?
— Si l’on veut. Ils ont choisi l’Asie : Japon, Hong Kong, Thaïlande, Malaisie. Le grand périple classique. J’ai reçu une carte d’Hiroshima puis, quelques jours plus tard, une seconde, de Macao, et ensuite plus rien, le silence complet. Une quinzaine s’est écoulée avant que je m’inquiète sérieusement. Ils avaient prévu un circuit de trois semaines. J’ai commencé par interroger les collaborateurs d’Yves Trembleur aux Editions du Perron : eux aussi étaient dans le noir complet. J’ai retrouvé l’agence où le couple avait retenu ses billets. Excepté pour leur arrivée à Tokyo, ils n’avaient réservé dans aucun hôtel, étant trop indépendants pour « se mettre des chaînes avant de partir », selon leurs dires.
— On a pu, je pense, suivre leurs traces grâce aux réservations des vols ?
— Exact. L’agence a fait le maximum. Nous savons qu’ils ont honoré leurs billets jusqu’à Bangkok. Ils avaient ménagé ensuite un créneau « à libre disposition » entre Bangkok et Singapour, ne sachant s’ils allaient louer une voiture ou prendre le fameux Orient-Express. Bien entendu, ils n’ont jamais pris le vol Singapour-Paris.
— C’est donc à partir de Bangkok qu’ils ont disparu ?
— Oui ?
— Qu’avez-vous entrepris comme démarches ?
— Je suis allée à la police, naturellement.
— Qu’entendez-vous par là ?
— Au commissariat du quartier de Rosy.
— Où l’on vous a dit que cette disparition survenue en Thaïlande n’était pas de la compétence de la police française et que vous deviez vous adresser aux Affaires étrangères ?
— Ce que j’ai fait. L’on m’y a invitée à remplir des formulaires en me promettant de me tenir au courant du suivi. Effectivement, le mois d’après, j’ai reçu une lettre m’indiquant que les autorités thaïlandaises ignoraient tout des deux touristes recherchés, qu’ils ne figuraient ni sur les listes des étrangers accidentés, ni sur celles des étrangers interpellés par la police.
« On avait retrouvé l’hôtel où ils avaient séjourné trois jours et trois nuits : le Mandarin Oriental, s’il vous plaît, classé par les Américains meilleur hôtel du monde. Le couple l’avait quitté très normalement, après avoir réglé sa note avec une carte de l’American Express. Depuis lors, on ne pouvait mentionner leur trace. »
— Vous avez répété votre requête auprès des Affaires étrangères ?
— Tous les huit jours je les harcèle, pour toujours obtenir la même réponse : rien de nouveau, l’enquête se poursuit sur place…
Son visage a changé depuis le début de son récit. Et moi qui m’attendais à une demande de passe-droit ! On sent que la « femme aux foyers »[3] est en proie à un immense tourment.
— Elle est ma seule famille, murmure-t-elle, si l’on excepte notre vieux père qui a perdu l’esprit et se meurt doucement dans une maison de repos. Il y a une complicité folle entre Rosy et moi ; je l’ai pratiquement élevée, sa mère étant morte en lui donnant le jour.
Un petit refrain « Veillée des Chaumières » ne messied pas pour illustrer sa peine que l’on devine profonde et sincère.
— Vous vous êtes renseignée du côté de son ami, en dehors de la maison d’édition ?
— Il est divorcé d’avec un mannequin tapageur qu’on aperçoit souvent dans les journaux de mode. Ils ont eu une petite fille anormale dont la venue a précipité la dislocation du couple. Je me suis risquée à appeler cette femme : Blondine de la Frange, qui m’a envoyée au bain en m’assurant qu’elle n’en avait rien à foutre de son ex et qu’il pouvait crever en Thaïlande ou ailleurs sans que l’idée lui vienne de faire ne serait-ce qu’un signe de croix ; vous voyez le genre ?
— Je connais. La vie est peuplée de gens charitables, sensibles à la compassion.
— Vous êtes divorcé, vous aussi ? me demande-t-elle, à m’en brûler le pourpoint.
— Je me suis protégé du divorce en ne me mariant pas, mais j’ai beaucoup d’amis qui en sont à leur deux ou troisième foyer.
— Naturellement, reprend-elle, vous ne pouvez rien tenter ?
Soupir profond d’un vainqueur vaincu.
— Notez-moi les coordonnées de votre sœur et de son ami, je vais aviser.
Ce n’est pas un engagement, plutôt une fin de non-recevoir. Elle n’est pas dupe et noircit du papelard sans trop croire à l’efficacité de sa démarche.