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— En Malaisie, my duke.

— Hum, dangerous ; on dit que la frontière est très surveillée.

— Il faut bien que je la franchisse, cependant. Mon propre salut est à ce prix.

— A votre place, intervient Laura, j’attendrais quelques jours pour que les choses se tassent.

Coquine ! Elle parle avec les lèvres de sa chatte, tu penses. Pas pour me vanter, mais si elle est ma belle aubaine, je suis pareillement la sienne ! Maintenant qu’elle a tâté de ma bonne bitoune, elle n’a pas envie de retrouver son ramadan habituel.

— Je vais voir, éludé-je.

Son regard de femelle en manque me balance de pressants S.O.S.

— Je pense que, pour commencer, je dois me procurer des vêtements féminins, dis-je. Si je parviens à bien me travestir, je pourrai sortir sans trop de danger.

— Well ! well ! well ! well ! fait par quatre fois Sa Seigneurie. Que voilà donc une excellente idée. Vous permettez ?

M’ayant saisi le coude, il m’entraîne jusqu’au dressinge et contemple notre double image dans la glace en pied.

— Exactement la même taille ! jubile le cher homme. Par contre vous êtes plus fort que moi. L’âge m’a desséché.

— Pourquoi dites-vous cela, monseigneur ?

— Parce que c’est moi qui irai acheter les vêtements féminins, en tenant compte de notre différence de corpulence. Pour ne pas donner l’éveil, je dirai aux marchands que je vais assister à un bal travesti organisé par l’hôtel ; et d’ailleurs, ces gens s’en moquent. Pour eux, l’essentiel est de vendre.

— C’est trop de bonté, monseigneur !

— Appelez-moi Adrian !

— Je ne me permettrais pas.

Il hausse les épaules, l’air de signifier qu’une telle réserve est passée de mode.

— Et attendez, mon garçon ! s’exclame-t-il, rayonnant comme une roue de vélo au soleil. Attendez. Il me vient une idée qui justifie la vôtre. Pour voyager, vous prendrez le passeport de ma douce Laura.

— Grand Dieu, et que fera-t-elle ?

— Vous le lui renverrez, une fois la frontière franchie !

— Et si je me fais prendre ?

— Elle ne sera pas la première touriste à qui l’on a dérobé ses papiers. Nous porterons plainte. Mon plus jeune frère dirige le Foreign Office, c’est un coup de téléphone à lui passer !

— Mais je ne ressemble pas à Mme la dussèche !

— Vous essaierez ! Dans les émissions satiriques de la télévision, on imite la tête de n’importe qui !

— Je suis plus âgé qu’elle.

— Vous vous rajeunirez ; d’ailleurs les douaniers sont niais sous toutes les latitudes !

— C’est vous qui le dites ; j’en connais de très avisés.

— Parce que vous et moi ne fréquentons pas les mêmes. Maintenant, cessez vos objections, my sonny, nous avons mieux à faire !

ÇA SE COMPLIQUE

Une fois revêtu des fringues achetées par le duc, je suis une femme très bien. Rasé de près, avec un bon fond de teint très épais, les lèvres carmines, les sourcils épilés de façon désopilante, les seins rebondis, je peux te jurer, sans forfanter, qu’entre Mme Simone Veil et moi, un Bédouin n’hésiterait pas : c’est ma pomme qu’il embarquerait sous sa tente.

Laura a les larmes aux yeux, de mon départ. Dans le courant de la nuit, presque au petit matin, elle m’a rejoint au salon pour me turluter le pistolandier ; mais les sentiments l’emportaient sur le désir et cette suave manigance avait un côté mélanco, du genre : « Voulez-vous la revoir une dernière fois ? » Rien de plus triste que le sentiment amoureux quand une séparation, probablement définitive, s’impose. Pour lui laisser un souvenir plus durable, je lui achève les délices d’un bon coup de rapière dans le fignard, ce qui la fera renoncer à sa leçon d’équitation de demain.

Il est dix plombes quand on avertit Sa Seigneurie que la limousine est avancée. Le sir a décidé de m’accompagner à la frontière et il est tout guilleret, le vieux, joyce en plein de participer à une action d’éclat.

Nous sortons le plus subrepticement possible, moi avec un foulard d’Hermès noué sur la tête.

— Prenez le volant, my dear.

Et il m’avoue être miraud à quatre-vingts pour cent. D’où je conclus que, pour jouer au tennis, il utilise des ballons de foot en guise de balles, ou alors que le tamis de sa raquette est grand comme une parabole collective d’antenne T.V.

Je m’installe à la place du conducteur. La tire est une robuste Mercedes de dix ans qui n’a que six cent mille kilomètres au compteur, mais on a peut-être bricolé ce dernier pour la rajeunir, beaucoup sont rétifs à l’âge !

Sa Grâce a fait l’emplette d’une carte routière que j’ai soigneusement potassée. Nous empruntons, au sortir de Phuket, la route Râma IV. (Monarque couronné en 1851 et qui eut 82 enfants, bien qu’ayant vécu 27 ans dans un monastère. Par contre, Râma VII, son descendant, institua la monogamie et n’eut pas d’enfant, ce con, comme quoi il devait bander comme un bol de mayonnaise et voter ce décret pour cacher la merde au chat. C’est bonnard d’être king. Quand tu es Louis XIV et que tu as une loupe grosse comme un neuf d’autruche sur la tronche, tu institues le port de la perruque, et quand t’es piqué du calbute, tu optes pour l’épouse unique qui portera seule la responsabilité de la stérilité.)

On remonte un tantisoit pour rallier Phang Nga, que n’ensuite on redescend sur Krabi d’où l’on domine la mer d’Andaman. Des plantations d’hévéas composent un clair-obscur végétal. Elles succèdent à des espaces complantés de cocotiers. Il fait doux. Le duc est disert. Il me raconte sa vie de diplomate, les réceptions à Buckingham, ses aventures avec de jolies diablesses. C’est le vieil Achille, sauce anglaise (ketchup) que j’ai l’impression d’entendre.

Deux heures plus tard, nous atteignons Songkhla, sur la côte du golfe de Thaïlande. Le duc a les crocs et veut qu’on s’arrête pour tortorer. On dégauchit un restaurant sympa, en bordure de la mer. Menu : poisson cuit à la vapeur, dans un panier tapissé de feuilles de bananier, curries de bœuf et de poulet au lait de coco, sournoisement pimentés. Il va fumer des émeraudes, mon pote Adrian !

C’est la fête du pays et un concours de cerfs-volants est organisé le long de la plage. Des dragons hideux, des perroquets aux couleurs criardes, des divinités aux grands yeux verts en amande s’élèvent haut dans le vent du large. Une musique thaïe, aux fortes percussions, fait résonner la ville.

— Il doit y avoir des combats de poissons, me déclare le duc. Ça vous amuserait ?

— Cette attraction est sûrement d’un grand intérêt, merveilleux ami, mais je ne vous cache pas que j’ai hâte de passer la frontière. De m’en sentir si proche me flanque des palpitations.

— Dommage, déplore Sa Seigneurerie croulante ; la lutte de deux plaa kat est fascinante. Ces poissons combattent jusqu’à la mort de l’un d’eux ; duel d’un rare raffinement puisqu’il consiste à noyer l’adversaire en bloquant son système respiratoire !

C’est marrant, on ne pense jamais à la noyade comme mode d’exécution pour un poisson, mais dans cette Asie mystérieuse, les coups les plus surprenants sont permis.

Pépère me demande encore de lui laisser le temps d’écluser son scotch privé. Après chaque repas, la potion magique lui assure une digestion de rêve. Il se lève pour l’aller quérir dans la tire, je lui propose de m’y rendre à sa place, mais le bon vioque se récrie :

— Depuis quand sont-ce les ladies qui vont chercher le whisky de leur époux, noble dame ?