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J’espère que les draupers couleur safran ne nous ont pas distingués, de loin, affairés qu’ils sont à vérifier les voitures.

Au centre d’un boqueteau poussent de hautes plantes aux gigantesques feuilles en forme de palettes.

— On va se cacher là en attendant que le barrage soit levé ! commandé-je à mon guide.

— Il y a des serpents ! avertit ce dernier.

— Comment le sais-tu ?

Il me montre les végétaux aux immenses palmes.

— On appelle ça la plante à tok tok kiéla ; c’est un petit serpent très venimeux. On ne survit pas une heure à sa morsure.

— Tu parles d’un pays de cons ! grondé-je.

Je sens la peau de mes siamoises se mettre en accordéon. Je n’ose plus exécuter le moindre pas en direction du bosquet. Franchement, j’aurais dû rester devant mon Dubonnet. Tout ce bigntz parce que j’ai culbuté une petite commerçante qui avait beaucoup de lunettes mais pas de culotte !

Y a de quoi se faire tailler une pipe par une anthropophage, t’es bien d’accord ?

* * *

On reste assis, face à face, sur nos talons, comme deux « père Lacolique ». C’était le fin du fin de l’humour dans mon pays natal, le « père Lacolique ». Une figurine de plâtre représentant un petit vieillard au nez crochu et au menton en galoche, avec un bonnet de coton tombant bas. Il se tenait accroupi, déculotté, et on lui enfonçait une minuscule cartouche noire dans le trou du cul, cartouche à laquelle on mettait le feu. La chose, grosse comme une pierre à briquet, se développait en volutes noires censées représenter des excréments. On se marrait tous, petits et grands. C’est ainsi que s’est développé mon humour de réputation mondiale.

Comme quoi de petits faits anodins peuvent générer de grandes choses !

Un truc que je trouve impressionnant, c’est le fatalisme, pour ne pas dire la résignation des Jaunes. Plongés dans les pires béchamels, ils conservent leur imperturbabilité.

Par instants il me désigne un reptile à peine plus gros qu’un crayon, d’une vilaine couleur vert-de-gris.

— Snake ! fait-il placidement.

Il se soulève légèrement et écrase la bestiole d’un coup de talon magistralement ajusté.

Autant te dire, Casimir, que je suis rien moins que rassuré, comme l’écrirait « la gonzesse de Sévigné » (Béru dixit). Je regarde sans relâche autour de moi avec, constamment, la sensation qu’une de ces bestioles m’escalade les montants pour aller rendre visite à mon serpent de mer.

On attend de la sorte quatre heures à l’ombre du bosquet, changeant de position quand l’ankylose nous biche.

Au moment où je commence à désespérer de voir les perdreaux lever le siège, les nains jaunes brouhahatent. C’est, pour commencer, les motards qui larguent le barrage. Les bourdilles qui se déplacent à bord d’un grand véhicule grillagé ne tardent pas à se ramasser et les voici qui s’en vont, rendant la route à une relative fluidité.

— On dirait que ça recommence à carburer ? fais-je à mon pote.

Il ne répond rien. Paraît dubitatif comme un fauve flairant un piège.

— Attendre encore ! dit-il.

— Attendre quoi, tête d’haineux ?

Il ôte ses lunettes teintées. Dans ces cas-là, il redevient franchement monstrueux, avec sa gueule de gorille pris à partie par un bulldozer.

— Je sais les manières de la police : souvent, elle fait semblant de s’en aller.

— Tu crois qu’il s’agit d’un piège ?

— Possible.

Je décide de lui faire confiance et de poireauter encore un peu. Bien m’en prend : une demi-heure plus tard, quatre autres motards déferlent sur la route.

— Toujours ainsi quand ils recherchent quelqu’un en fuite, m’apprend l’homme à la gueule défoncée. Après un barrage, d’autres policiers surviennent à toute vitesse.

Je regarde les quatre guirlandes de gaz bleu qui tire-bouchonnent au fion de leurs péteuses. Ensuite, plus rien que la circulation normale.

Nous repartons. L’ankylose m’a saccagé les cannes.

La vie est dure pour l’homme courageux.

MALAISE EN MALAISIE

La chose, simplement, d’elle-même arriva.

Nous arpentions la route de la forêt, sur le côté gauche pour voir les voitures arriver, ainsi qu’il est recommandé dans les manuels : « Comment vivre en se déplaçant pédestrement ». La circulation restait fluide. A un moment donné (tout se passe à un « moment donné », bien évidemment ; si on supprimait de notre langage toutes les locutions superflues, que de temps et de papier on gagnerait !) une Mercedes jaune nous a dépassés, roulant à une allure modérée. Elle a parcouru environ deux cents mètres puis a stoppé et s’est mise à reculer.

Dans ma poitrine, c’est devenu glacé comme le regard d’une directrice d’internat religieux quand elle apprend que la meilleure élève du pensionnat s’est fait foutre en cloque par le gars de la pompe à merde venu vider les gogues. J’ai illico ressenti dans ma viande que je l’avais in the babe (comme disent les gars du Foreign Office) et que ma destinée risquait fort de reprendre sa liberté sur cette route thaïe. Le conducteur semblait capable de conduire aussi vite en marche arrière qu’en marche avant. Ils étaient deux, pas très beaux ni très joyeux, à bord du carrosse. Des franchement vilains, tu peux m’en croire ; j’ai du reste remarqué, au cours de ma tumultueuse existence, que les méchants sont rarement beaux. Leur âme noire les défigure.

Mais je n’ai pas le temps de te faire une disserte sur le sujet.

Voilà donc ces deux vilains branques qui nous apostrophent. En thaï, naturellement ; tu penses qu’ils vont se gêner ! N’entravant que pouic à leur discours. non seulement je continue de chiquer les infirmes, mais en outre les crétins (rôle où j’excelle).

Le gazier qui se tient au côté du conducteur descend de la tire et nous rejoint. Il m’examine, sort un mouchoir cradoche de sa fouille et me frotte les lotos après l’avoir humecté de sa salive, pouah ! Il sourit sinistrement en découvrant le barbouillage qui en résulte. Il se retourne pour apprendre la bonne nouvelle (en anglais : the good new) à son coéquipier. Fatal réflexe ! Il déguste un formid coup de béquille sur l’os-qui-pue, Béru dixit). Le voilà tout mollasson. Avec une présence d’esprit foudroyante, je le soutiens devant moi pour m’en servir de bouclier.

— Prends mon revolver dans le pansement ! enjoins-je à mon guide.

C’est risqué, mais je compte qu’il restera dans mon camp par crainte des deux gonziers.

Il prend mon feu comme indiqué.

— Donne !

Je tends la main dans mon dos tout en continuant de soutenir mon estourbi.

Au lieu de me remettre l’arme, mon guide vient à ma hauteur. Il allonge le bras et praline le conducteur de la Mercedes presque à bout portant. La tronche du mec explose, aspergeant tout le pare-brise.

— Oh ! le con ! mugis-je. Qu’est-ce qui t’arrive, gueule de rat ?

Putain cette béchamel ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au Seigneur pour toucher un branque pareil ! Il se prend pour Al Capone ou quoi, ce nœud ?

Mais attends, c’est pas fini. Voilà-t-il pas qu’il appuie le canon de l’arme sur la nuque du mec que je soutiens et presse la détente. Le gus meurt sans avoir repris conscience. J’ai la gueule pleine de raisiné, au point d’en être aveuglé. Il m’en est entré dans la bouche, pour te dire toute l’horreur, bien comme il faut, sans rien omettre ! De quoi perdre la raison. J’ai tout de même le temps de penser que si je ne récupère pas l’arme illico presto je vais avoir droit à mon infusion de plomb.