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Il est impénétrable.

— En ce moment ça ne serait pas prudent, dit-il. Cette carrée est censée être vide… Si un pégreleux te voyait il pourrait trouver ça louche et crier aux petits pois.

— Bon, bon, ça va, mais qu’est-ce qu’on fout ? On attend du peuple ?

— C’est ça…

Il me sourit.

— Tiens, mec, fais la popote puisque notre cuistaud est clamsé. Ça t’amusera… Y a des conserves dans la cuisine, de l’huile, du beurre !

— O.K…

Pantaroli est assis dans le vestibule. Il se balance dans un fauteuil en lisant un vieux numéro de Paris-Match.

Comme je passe devant lui il me sourit aimablement.

— Ça va, Bernard ?

— Au poil !

Tu parles, mon chéri ! J’ai une drôle de mouillette. D’un seul coup d’un seul, je réalise que ces deux enfoirés jouent avec moi comme le chat avec la souris. Ça doit être délectable quand on est truand de s’amuser avec un flic… Ils en prennent pour leur fric, ces salingues !

Histoire de ne pas jouer le chiasseux, je demande :

— Et le vieux schnock, il ronfle ?

— On ne sait pas, fait le Rital…

— Qui c’est, ce mec, un prof ?

— Paraît…

— Un prof de quoi ?

Il hausse les épaules.

Paul intervient.

— Qu’est-ce que ça peut bien te foutre, Bernard ?

— C’est vrai, renchérit Pantaroli, qu’est-ce que ça peut bien te foutre ?

V’là messieurs les hommes qui viennent au renaud.

— Oh ! bon ! bon ! dis-je en m’esbignant.

Je passe en revue les conserves dont a parlé le Pourri et je jette mon dévolu sur une boîte de cannellonis, charmante attention pour le Rital ! J’ouvre aussi une boîte de bœuf en gelée. Avec ça on va casser une graine plantureuse !

Quand c’est prêt je mets le couvert. Puis j’appelle mes coéquipiers.

— Madame est servie, fais-je.

Ils s’annoncent. Paul débouche une rouille de pommard et on travaille de la mandibule dans un silence de sanctuaire.

Comme Panta a un splendide coup de fourchette et s’annonce au rab de rab pour la troisième fois, je dis timidement :

— Faudrait peut-être en garder pour le vieux, non ?

— T’occupe pas de lui…

— Il fait ceinture ?

— Ouais…

— C’est le fakir Birman pour jeûner ainsi ?

Paul laisse tomber sur la table son poing massif, hérissé de poils roux.

— Encore une fois, Bernard, mêle-toi de ce qui te regarde. Le vieux c’est mes oignons, pas les tiens. T’as été engagé pour obéir, tu piges ?

— D’accord, je murmure, mais quand on engage quelqu’un on convient de ses émoluments… Or rien n’a été convenu. Vous m’embarquez dans un coup fourré où on kidnappe des mecs et où on en bute d’autres et je ne sais toujours pas ce que je gagne…

Pantaroli a un petit rire qui me fait froid dans le dos.

— Té tourmente pas commé ça, Bernard murmure-t-il…

— Non, fait Paul, te tourmente pas, t’auras ton dû, crois-moi.

Il me regarde de ses yeux enfoncés, sanguinolents.

— Dans notre équipe, chacun touche ce qui lui revient. Si je te le dis, tu peux me croire…

— D’accord…

À quoi bon insister ? Tout ça n’est qu’un jeu, un jeu vilain, un jeu de mort. Ma paie, je sais ce que ce sera : une praline dans le bocal… Bonne notche, mes frères ! Le grand plongeon sans parachute dans l’éternité.

— Je vais voir un peu ma bagnole, déclare Paul. Tu restes ici, Panta…

— Ben !

Maintenant je comprends ces phrases innocentes. « Tu restes ici » signifie : « Tu surveilles le flic… »

Je m’étire.

— Puisqu’on n’a rien à branler, je vais en écraser un peu. Tu me prêtes ton Match, Panta ?

— Si

J’empoigne la feuille et je quitte la cuisine. J’ouvre la porte de ma chambre, tout à côté, puis je la referme sans entrer… À pas de loup, tandis que les deux hommes conversent, je pénètre dans la pièce proche de la salle de bains, celle où se trouve le téléphone.

Je m’assieds à une table, le Paris-Match étalé devant moi afin de me donner une contenance en cas de malheur, et j’attends…

Paul sort et, par la fenêtre de la pièce où je suis, je le vois se diriger vers la remise de derrière. Pantaroli se met à chanter Retour à Sorrente dans le vestibule où il a repris sa faction…

Doucement, doucement je décroche l’appareil téléphonique du mur.

Je ne perçois qu’une espèce de sifflement continu. Je me demande si la ligne est débranchée, puis je me souviens que ces archaïques appareils fonctionnent à la manivelle. Seulement quand on actionne cette p… de manivelle ça fait un boucan du diable.

Heureusement que le Macar chante sa canzonetta. J’attends qu’il attaque une note haute, puis je tourne à trois reprises la manivelle noire. Le palpitant désordonné, j’écoute. Panta n’a rien esgourdé. À plein chapeau, il brame qu’il veut revoir Sorrente…

Sorrente ! Je l’ai vue, là-haut, sur son rocher dans la baie de Naples. J’étais sur un barlu allant à Capri avec une pépée aux volumes agréables, le soleil mettait de la joie partout et, sur le pont du bateau, un pick-up jouait évidemment Retour à Sorrente

Je donnerais une nuit d’amour avec Martine Carol pour entendre cet air-là dans les conditions dont je vous parle…

Un grésillement dans l’écouteur. Une voix de standardiste piquée d’ail m’affirme qu’elle écoute.

À voix basse je demande le numéro du chef.

Bien sûr, étant donné que je chuchote, elle n’entrave rien. Enfin elle finit par noter.

— Je n’ai pas de circuit pour le moment, dit-elle. Je vous rappelle !

Une sueur froide me descend dans la raie du dos.

— Non, non, dis-je. Écoutez, prévenez immédiatement la police, les meurtres sur la route, cette nuit…

Je raccroche sans ajouter un mot, car Panta vient de cesser sa chanson et d’ouvrir la porte de ma chambre…

Vite je cramponne Paris-Match et j’allonge ma couenne sur le plancher.

Panta pousse un juron, puis il ouvre la porte de la pièce. Il m’aperçoit, et son front se plisse comme un accordéon.

— Qu’est-ce qué tou fous là ? demande-t-il vachement mauvais…

Je rigole :

— Ça se voit, non ?

— Tu te couches par terre, maintenant ?

— Une vieille habitude de la taule : quand il fait chaud, la dure, j’aime ça… j’étouffais dans ma chambre, t’as pas remarqué qu’elle est en plein sud ?

Il regarde le téléphone sans me répondre.

— J’ai cru que tu parlais ? dit-il.

Je ris, et Dieu sait si le cœur me manque !

— T’es louf ! Je faisais comme toi : je chantais…

— Ah ! tou chantais…

— C’est pas défendu, non ?

— Non, c’est pas défendou. Allez, amène-toi, on va faire ouné belote à la cuisine. Elle est fraîche aussi !

CHAPITRE X

Le moyen de refuser une invitation formulée sur ce ton ? Je suis donc cet emmanché de Rital jusqu’à la cuistance et il sort un paquet de brêmes de la table de la cuisine.

Cette belote, je ne suis pas prêt de l’oublier. Imaginez deux mecs qui feraient une partie de cartes assis sur un baril de poudre dans lequel plonge une mèche allumée.

Les couleurs et les figures du jeu dansent dans mes châsses une sacrée ronde. Je joue automatiquement en oubliant les annonces et en faisant des choseries grosses comme la force d’inertie d’un ministère.