— Espèces de cloches, je leur lance, vous avez l’air fin tous les deux !
Ils ne peuvent répondre… Paul exhale une légère plainte fusante qui ressemble au gémissement d’un mec qui s’envoie au ciel… Et il s’y envoie, mais d’une façon plus directe et là, c’est carrément l’aller simple…
Sa main gauche retombe… Son regard chavire, devient flou, un filet de sang noir jaillit de sa bouche…
Parole d’homme je suis impressionné car sa mort est vraiment terrible ! Rarement j’ai suivi avec autant de netteté ce cheminement de la vie à la mort. Costaud, il lutte encore de tout son être, l’eczémateux. Sa face barbouillée de sang se crispe comme un masque chinois. Il me fait penser à une espèce de statue du mal, assez grossière d’inspiration. Puis, soudain, comme s’abat un chêne sous la cognée du bûcheron, il glisse de côté et s’écroule d’une masse dans la salle de bains…
Pantaroli, qui surmonte à peine sa douleur, regarde avec des yeux fous…
— Paolo, gémit-il…
— La ferme, je lui dis, il vient de canner et tu vas aller le rejoindre si tu ne te calmes pas immédiatement.
Je n’en dis pas plus long car on cabasse à la lourde de devant.
Je serre le pétard dans ma pogne et je vais voir à l’extrémité du vestibule. Il y a des gardes mobiles plein la cour… Comme quoi mon coup de tube a tout de même donné des résultats…
— Vous tombez bien, fais-je, quoique un peu tard…
— Jette ton feu ! crie un gradé.
— Mais je suis des vôtres !…
— Ton feu où on t’abat…
Je balance l’arme. Voilà ces croix qui me prennent pour un truand !
Je lâche la pétoire : pas la peine de me faire ressemeler par des poulets, là ce serait le fin des fins.
Je m’avance en levant les bras.
L’officier s’empare de moi.
— Où sont tes complices ?
— Je suis le commissaire San-Antonio, des services secrets… Je vous prouverai mon identité par la suite, fais-je… Dépêchez-vous, il y a à l’intérieur un tueur qui ne va pas tarder à prendre…
Un coup de feu part de la croisée. Une balle siffle à mes oreilles et frappe le casque du matuche. Le zig ouvre la bouche, étourdi par le choc. Puis il ôte son casque.
— Planquez-vous ! je gueule. Il est armé. C’est un type dangereux qui vendra chèro sa viande !
Les poulagas se dispersent comme des moineaux derrière les arbres. Ils sont une demi-douzaine environ, casqués et armés de mitraillette. Une vraie mobilisation. Avec ça on va pouvoir faire la guerre !
Je parle à l’officier qui s’humecte la citrouille d’un air mauvais.
— Écoutez, lieutenant, il reste quelqu’un dans cette crèche dont les jours sont en danger : un professeur séquestré ici. Se voyant perdu, l’Italien va certainement le nettoyer avant de crever ; il lui reste encore la ressource de faire le mal, il le fera… Il faut intervenir, vite !
J’enrage de n’avoir pas pris le soufflant de Paul avant de sortir… Je fais le compte, il doit rester quatre balles dedans… Sans compter que…
Mais mes calculs sont faux…
Un carreau de la turne vole en éclats et soudain il se met à vaser de la grosse mouche en acier dans le secteur. C’est pas avec son revolver de jeune fille qu’il crache, Panta, mais avec une Sten authentique, je reconnais la marque au bruit. Je devais bien me gaffer qu’ils avaient de l’outillage de rechange, les salauds ! Une bonne mitraillette dans les paluches d’un gars qui se sait fichu, ça prend des allures inquiétantes. Il arrose circulairement le coin de jardin avec sa machine à effeuiller les bulletins de naissance.
L’officier qui se planque avec moi derrière un tronc de marronnier n’en mène pas large. De toute évidence il ne s’attendait pas à cette réception…
— Je vais faire demander du renfort, dit-il.
Je le regarde.
— Vous êtes six, à votre avis ça n’est pas suffisant ?
Il pâlit…
— D’accord, mais il est armé…
Il a une bizarre conception d’un siège, le gradé.
— Dites à vos hommes de rester à couvert… Qu’ils tirent après chaque salve du gars…
Il me regarde et se rend compte de la justesse de mon conseil. À partir de maintenant ça devient un second Verdun ! La fenêtre par laquelle Pantaroli tire se met à faire des mioches du haut en bas et tout autour la façade s’écaille sérieusement. Faudra faire ravaler la crèche pour la rendre présentable.
L’agent immobilier qui se chargera de la revente aura de la peine à expliquer ces égratignures…
La Sten de Panta s’est tue… La maison tombe dans le silence. Elle paraît sans vie. Moi je pense aux vieux professeur et je fais la grimace… Pourvu que l’Italien ne le démolisse pas !
— On va donner l’assaut, décide l’officier qui se prend pour le maréchal Foch.
Il crie d’un ton très « fort de Vaux » :
— En avant !
Ses hommes et lui-même se mettrent à courir en direction de la cambuse. Pas moi. Car je ne suis pas fou et je sais que le terrain découvert est mauvais dans certains cas, particulièrement lorsque le but à atteindre crache de gros noyaux à une cadence folle.
Ce que j’ai prévu se réalise. À peine les hommes sont-ils sortis de leurs planques que Panta ouvre le feu, mais d’une autre fenêtre cette fois. Des cris s’élèvent. Un garde va à dame et se met à ruer et à griffer l’herbe de la pelouse car il est touché à mort et il a du mal à avaler son extrait de naissance… Un autre a l’oreille arrachée et joue les Van Gogh en appelant sa vioque. Une vraie mazette.
La situation est critique…
— Vous devriez faire contourner la maison, dis-je à l’officier, lequel vient de me rejoindre en soufflant comme une locomotive.
— Mais j’ai essayé, dit-il, toutes les ouvertures sont munies de barreaux. Il n’y a qu’une issue : la porte. Tant que cet homme aura des munitions nous n’entrerons pas !
— Il faut pourtant intervenir…
Je me creuse le bol pour trouver une solution valable. Il n’y aurait pas le prof, je les laisserais se démerder car au fond, le Rital ne peut pas leur échapper. En effet, si les bourdilles ne peuvent entrer, Pantaroli, lui, ne peut sortir ce qui, en fin de compte laisse l’avantage à la loi…
— Le salaud ! grince le lieutenant, il m’a tué Pilois !
— Et il vous en tuera d’autres encore si vous vous amusez à gambader devant sa seringue…
Mauvais il me demande :
— C’est vrai que vous êtes commissaire ?
— Vous verrez…
— Qu’est-ce que vous faisiez ici ?
Je lui résume dans les grandes lignes la mission dont j’étais chargé.
— Vous êtes arrivés à la fois trop tard et trop tôt, dis-je. Trop tard car j’ai dû m’employer à fond et en buter un pour sauver mes os, trop tôt car vous avez fait diversion et permis au survivant de se barricader…
Mes objections ne l’atteignent pas ; il est colosse derrière son grade, vraiment décontracté et pas assailli par des complexes.
— Dites, lieutenant, avez-vous des grenades ?
— Non…
— Dommage…
Soudain il me vient une autre idée…