— Il faut faire vite maintenant, dis-je.
J’ai une idée… Dans la remise, j’ai vu une échelle. Elle doit être assez grande pour me permettre d’atteindre le toit. Je vais grimper, enlever des tuiles et essayer d’entrer ainsi dans la cambuse. Lorsque vous me verrez pénétrer à l’intérieur, faites cracher les flingues afin d’occuper le zigoto, compris ?
— Oui…
— Sur ce, donnez-moi une arme.
Là il hésite. Après tout je ne lui ai pas donné de fafs et il doit me croire sur parole… Il ne sait trop que penser…
— Quoi, je murmure, vous n’avez pas confiance ?
— C’est-à-dire…
Je gueule :
— Il n’y a pas de c’est-à-dire. Ou bien vous me croyez et vous me passez une mitraillette, ou bien vous ne me croyez pas et vous me passez les menottes, il n’y a pas de demi-mesure…
Dompté il m’allonge sa Thompson.
Je m’éloigne en rampant dans les buissons. J’arrive sur l’autre face de la maison… Pas de danger de ramasser une bastos, il n’y a pas d’ouverture de ce côté-ci !
Je gagne la remise, sors l’échelle et la traîne jusqu’au pied du mur. Le plus coton c’est pour la dresser car elle est lourde comme un troupeau d’éléphants.
En suant j’y parviens tout de même.
J’escalade les échelons aussi vite qu’un employé de ministère dont la femme a des faiblesses pour le ministre. Une fois sur le toit, j’arrache quelques tuiles et je me glisse dans le grenier après avoir fait signe aux gardes d’ouvrir le feu.
Ça pétarade vilain, bonno, ainsi Panta est occupé et ne fait pas gy à ce qui tombe du ciel…
La porte du grenier n’est pas fermée à clé. Je débouche sur un étroit palier et je commence à descendre l’escadrin. J’arrive sans encombre au rez-de-chaussée. J’entends des jurons. C’est Panta qui, dans la salle à manger se dope à coups de gros mots. La lourde est ouverte. Il se tient accroupi de côté, de temps en temps il passe le canon de son arme par le coin de la fenêtre et lâche une courte rafale.
— Pose ça, je lui dis, et démerde-toi de lever les bras !
Il sursaute terriblement, se retourne et me regarde.
— Ne joue pas au c… ! je brame, voyant qu’il relève sa mitraillette…
Mais il est décidé à tout, y compris à crever. Après tout c’est son destin à lui… Puisqu’il choisit les grands remèdes je n’ai qu’à agir en conséquence.
Je presse la détente de ma Thompson et une volée de balles gicle avec un crachotement rageur.
— À ta santé, Pantaroli, je murmure…
Il ramasse tout le paquet dans la viande. J’ai miré en croix, d’abord de gauche à droite, puis de bas en haut.
Il n’a pas le temps de dire ouf. Il s’effondre, criblé, déchiqueté, ouvert, béant, mort comme il n’est pas permis…
Je répète :
— À ta santé, pauvre cloche !
Et je m’approche.
— T’aurais dû lire France-Soir, gars… T’aurais appris que le crime ne paie pas.
Ils se croient plus malins que les copains, tous… Et puis ça se termine toujours de façon violente.
Il est là, écartelé comme une charogne sur la moquette, se vidant de son bon raisin, fumant, désert…
Venir de Naples et mourir !
— Pauvre c…
Je vais délourder en prenant des précautions infinies car les mobiles seraient chiches de m’assaisonner, croyant à une sortie désespérée du mec…
— Ça y est, je leur crie, il est canné, amenez-vous…
C’est la ruée…
Tandis qu’ils s’empressent je me mets en devoir d’enfoncer la lourde de la pièce où est enfermé le vieux au crâne luisant.
Il doit se demander ce qui se passe, le pauvre homme. En voilà un qui devra un joli morceau de chandelle à San-Antonio…
Au second coup de boutoir la porte rend l’âme… Je fais un valdingue terrible dans la pièce. Les volets sont mis, je n’entends rien. Je cavale à la fenêtre et je pousse les contrevents. Le brave soleil éclaire la carrée. Celle-ci est vide, totalement, intensément vide !
Pas plus de professeur que de sucre en poudre dans le boîtier de votre montre-bracelet.
— Nom d’une m… arabe ! je m’écrie…
Et je cavale dans toute la strasse pour essayer de dégauchir le vieux, mais à part les deux cadavres, la maison est inhabitée…
— Quelque chose qui ne va pas ? me demande le lieutenant.
Pour la première fois de ma vie, j’ai envie d’étrangler un garde mobile !
Deuxième partie
CHAPITRE XI
Le boss n’a pas l’air content, et quand il est en rogne il dessine. Comme ces dessins sont l’expression de son état d’âme, celui qui se développe sur le buvard de son sous-main ressemble à un gorille constipé.
Son crâne ivoirin brille voluptueusement sous la lumière du réflecteur de bureau… Il le soutient d’une main racée à l’auriculaire de laquelle scintille un camée noir.
Le silence est si épais qu’on a envie de le détailler en tranches pour le vendre sur les aérodromes et dans les usines où s’activent des marteaux-pilons.
Assis sur le bord de ma chaise je le regarde sans piper. J’ai souvent vécu ces tête-à-tête muets avec lui. Rien n’est plus désagréable : je préférerais passer à la peau de chamois tous les passages cloutés de Paris plutôt que de subir sa souveraine autant que silencieuse réprobation.
Enfin il lâche son Waterman à bille et joint ses mains comme pour une prière.
— Résumons-nous, dit-il…
Il a les yeux mi-clos, idem un médium en transe.
— Hans Mutter est le troisième savant spécialisé dans l’énergie nucléaire qui disparaît cette année en France. Pour les deux premiers la presse a parlé de fugue derrière le rideau de fer, nous avons tout lieu de croire que ces « fugues » ont été « réalisées » contre la volonté des intéressés.
« Notre pays va devenir la bête noire du monde scientifique si l’on y kidnappe les sommités de l’énergie atomique ! Lorsque l’Anglais James Wood a disparu au Bourget, au moment où il débarquait, l’enquête a signalé la présence sur l’aéroport de Paul Mongin, dit Paul-le-Pourri…
Il jacte avec une certaine emphase et, dans sa bouche faite pour le subjonctif et les participes, les termes « Paul-le-Pourri » prennent un sens nouveau, pénible, répugnant…
— C’est pourquoi, enchaîne-t-il, intarissable lorsqu’il s’écoute parler ; c’est pourquoi, mon cher ami, je vous ai demandé d’entrer en rapport avec cet homme… Et ce, d’une manière qui vous permette de partager sa vie. Nous avions la ressource de l’arrêter et de le… questionner. Mais ce procédé risquait de tout faire échouer en mettant la puce à l’oreille de l’organisme clandestin chargé de l’enlèvement des savants.
Il palpe sa coquille en peau de choses-premier-choix comme s’il craignait qu’elle ne fût fêlée par son gambergeage à haute tension ; puis il reprend son stylo et ajoute une montre-bracelet au gorille.
— J’ai cru bien faire, dit-il, d’une voix qui appelle désespérément une ratification enthousiaste de ma part.
Sans vergogne j’affirme :
— C’était pensé en chef, chef !
Il opine avec un air à la fois satisfait et blasé.
— J’avais pensé à tout, sauf à ces histoires de balles à blanc…
Je prends la bévue à ma charge en bon subordonné soucieux de faire carrière.
— C’est pas de votre faute, chef… J’aurais dû me munir d’un vrai chargeur et remplacer l’autre aussitôt après la corrida rue Ballu.
Il calme mes scrupules d’une main apaisante et noble. Je louche sur son camée dont le motif est un petit mec à poil qui bande son arc comme un as. Ce petit mec, ça doit être Cupidon ou un mec de ses relations.