Je me penche sur lui.
— Faites excuse, cher monsieur, mais aux grands maux les grands remèdes.
Il ne me répond que par un soupir : son dernier !
Les gens font cercle autour de nous, en pygemoiça et robes de chambre.
Bon, voilà que j’éprouve le besoin de passer un coup de grelot au Vieux.
CHAPITRE XVII
Le Vieux est dans son burlingue. Il y est toujours et à toute heure. Je me suis souvent demandé s’il n’avait pas un vrai jumeau rigoureusement identique qui prenait sa gâche fifty-fifty ? Je ne vois que cette explication. Un mec totalisant un pareil nombre d’heures de présence ne paraît pas pensable.
Il est moins tendu que la veille et il joue dans sa poche, avec un trousseau de clés ou avec de la monnaie, je ne sais au juste, mais ce ne peut être autre chose qui produit ce bruit métallique.
Il me regarde avec un petit air attendri qui signifie : « Je le savais bien que tu arriverais à un résultat. »
— L’homme que vous avez écrasé, dit-il, est identifié. C’est un Tchécoslovaque du nom de Kazec. Il a été signalé par l’Intelligence Service comme faisant de l’espionnage. Deux fois il a échappé à la police britannique.
Là un petit gloussement satisfait pour montrer la suprématie de la police française en cette affaire.
— Quant à la voiture, dit-il, elle a été louée à un certain Pétrus Holtz voici trois jours par un garage du boulevard Gouvion-Saint-Cyr… L’adresse donnée par Holtz est 8, avenue Frémiet !
Il me regarde.
— Je viens d’avoir à l’instant le renseignement, en pleine nuit ça n’a pas été facile… J’ai hésité à envoyer quelqu’un mais j’ai pensé…
— Vous avez bien fait de m’attendre, dis-je. Ça me revient, chef.
— Alors, good luck !
S’il se met à jaspiner anglais, c’est la fin de tout !
Il est minuit moins dix, presque l’heure du crime, lorsque je parviens avenue Frémiet. Devant la loge de la concierge, il y a un tableau des locataires qui m’apprend que M. Holtz crèche au cinquième.
Je prends l’ascenseur. Arrivé à l’étage convenu je sors un petit trousseau de clés pêchées sur le cadavre de Kazec et je considère le trou de serrure, puis les trois clés composant le trousseau. J’utiliserais bien mon sésame, mais à quoi bon trifouiller cette brave serrure alors que j’ai la chiave qui la fait obéir ?
La lourde bien huilée s’ouvre comme dans un rêve. J’entre dans un appartement feutré au fond duquel brille une lumière rose… Un froissement de papezingue m’apprend que, dans la pièce, un mec lit ou classe des fafs.
Je sors encore une fois ma pétoire. C’est un geste aussi rituel pour moi que celui, si auguste, du semeur.
Un flingue ! Toujours un flingue, avec de nouveaux chargeurs ! Des dragées qui volent, des hommes qui s’écroulent, du raisin qui coule ! Des menuisiers qui clouent des planches. Des fossoyeurs qui creusent un trou ! Des anges qui découpent des auréoles dans de la lumière dorée, ou bien des démons qui se font livrer de l’anthracite russe !
Le métier, quoi ! Le sale boulot… Celui qui dresse les hommes les uns contre les autres, pareils à des fauves sans intelligence. Le danger des hommes vient des hommes. Ils n’ont presque qu’eux à redouter… Ils portent leur mal en eux…
M… ! V’là que je philosophe ! C’est pas le moment du tout !
Je m’avance lentement vers la zone de lumière. Une voix d’homme lance une question dans une langue inconnue. Et cette question m’est destinée, car le mec me prend pour Kazec.
Je pousse la porte et je me trouve en face de Holtz. J’ai un instant de flottement en considérant cette grosse bouille chauve à lunettes dont les oreilles s’ornent de grosses touffes de persil.
— Professeur ! dis-je. Comment allez-vous depuis l’autre nuit ?
Le mec regarde mon pétard, puis il me regarde.
Il lève les bras sans que j’aie à le lui demander.
La vie est marrante tout de même ; tellement pleine de surprises.
Le gars kidnappé dans le train ! J’en ai déjà vu de raides, comme disait Martine Carol qui s’y connaît, mais j’avoue que je suis un brin surpris.
Je pige tout, très vite.
— Vous êtes très fort, admets-je… Très fort, Holtz… Vous vouliez absolument réussir ce coup-là… Votre suprême habileté, sachant que j’étais parmi vous a été de procéder à deux enlèvements : un faux, au cours duquel vous jouiez le rôle de la victime — à la perfection je le reconnais… Et un vrai que perpétraient Kazec et le chauffeur ! Vos kidnappings ont toujours réussi grâce à cette ruse… Vous employiez des gens du milieu pour faire un boulot inutile et ainsi donner le change… Grâce à ce simulacre vous pouviez agir plus librement.
Je me tais… Il n’a toujours pas dit un mot. Il sourit, s’assied et débouche un flacon de whisky. Il se verse un verre et boit calmement.
Puis, avec un accent indescriptible il murmure :
— Excuse-me. I do not speak French !
— Ça ne fait rien, dis-je, on va t’offrir un lexique…
Je vais à lui et je lui balance un coup de crosse sur la nuque. Il se répand dans le fauteuil et son caillou tourne au rose bonbon.
— Va te faire aimer, je murmure, ça te donnera des couleurs…
Pendant qu’il flotte dans les limbes je farfouille l’appartement. J’ai l’immense satisfaction de découvrir une salle de bains assez particulière, en ce sens qu’elle ferme au verrou et qu’à l’intérieur un vieil homme est enchaîné au moyen de menottes après la tuyauterie de la baignoire.
— Professeur Hans Muller, sans doute ? je demande…
Il a un signe affirmatif.
— Police française, ajouté-je, très heureux de faire enfin votre vraie connaissance, professeur, je crois que j’arrive à temps, n’est-ce pas ?
Il le croit aussi.
P.P.C
Le lendemain, sur les choses de midi, je sors de l’Hôtel du Printemps où je suis venu rejoindre Sofia au milieu de la nuit.
Pendant que je cigle la chambre, le patron qui est un vieux pote me dit :
— Tu ne changeras pas, quand tu es avec une polka faut que tu la fasses bramer toute la nuit. T’as foutu le tricotin à la moitié de ma clientèle, ce qui est mauvais pour les sommiers ; et l’autre moitié s’est plainte, évidemment…
Je souris.
— Pardonne, gars, c’est une vieille manie que j’ai contractée en quittant le collège…
— T’es un dur ! conclut-il…
Je suis frappé par cette appréciation. Je me rappelle les paroles du Vieux qui me disait : « San-Antonio, puisque vous aimez jouer aux durs… »
Un dur, est-ce que ça existe vraiment ?
Sofia me tend son aileron…
— À quoi penses-tu ? demande-t-elle…
— Sofia, interrogé-je, à ton avis, suis-je un dur ?
Elle glousse :
— Sans aucun doute, mon chéri… Et un vrai !