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— Elles font un peu voyou 1938.

Je feins la mauvaise humeur.

— C’est comment, la mode ?

— Le bon goût, autant que possible.

— Merci…

Elle écrase le coup.

— Beau gosse comme vous êtes, c’est dommage de mal vous loquer.

En effet, elle a l’air p… Paul connaît bien sa famille. À la façon gourmande dont elle a dit « beau gosse », on comprend qu’elle s’en ressent vilain pour le réveil musculaire avec ou sans musique !

— Vous m’apprendrez, dis-je…

Paul semble agacé par ces minauderies.

— Avant de penser aux sapes, dit-il, un rien docte, pense à ton cigare, Bernard ; après la séance de tout à l’heure, il tient pas mieux sur tes épaules que si on y avait mis du papier gommé.

— T’es rassurant, je soupire.

Paul semble préoccupé.

— File-nous deux couvrantes, Sofia, on va se zoner par terre, lui et moi. Demain, on verra comment l’enfant se présente et on avisera…

Sofia va en tortillant du valseur à une commode façon chêne cérusé. Elle en sort deux couvrantes qu’elle nous lance séparément. Elle a une avant-scène qui me rend instantanément neurasthénique.

— Essaie d’en écraser, conseille Paul.

— Ça va pas être commode, je murmure en regardant Sofia d’une façon si appuyée que mes châsses doivent lui marquer l’épiderme !

CHAPITRE III

En effet, c’est pas commode d’en écraser dans une turne où un zig dont la gueule appelle les graffitis de pissotière ronfle comme le départ des Vingt-Quatre heures du Mans et où une reine de beauté pousse des soupirs qui fendraient l’âme d’un huissier !

Je me tourne et me retourne comme un malheureux sur la moquette. J’ai roulé la couvrante afin de m’en faire un traversin, car je ne risque pas d’avoir frisquet : il fait au moins vingt-huit degrés dans la cabane…

— Vous ne pouvez pas dormir ? chuchote Sofia.

— Non, dis-je, j’admire votre oncle bien-aimé. Faut croire qu’il a le sommeil instantané…

— Lui ? murmure-t-elle. Il roupillerait la tête dans un seau de mélasse…

Je pense qu’un seau de mélasse est une coiffure idéale pour Paul. Avec ça sur la bouille, il serait plus présentable !

L’atmosphère étouffante me porte à la peau. Et puis de sentir près de moi une mignonne à moitié déloquée, ça me court-circuite un peu le système nerveux.

— Qu’est-ce que vous faites dans l’existence, à part d’être jolie ? je questionne.

Elle a un tout petit rire frileux.

— Je suis barmaid, dit-elle.

— Dans une boîte de nuit ?

— Dans une boîte de nuit ouverte le jour. Et je fais le jour… Sans quoi je ne serais pas ici en ce moment.

Je cherche un truc gentil à lui dire. Mais j’ai l’esprit un peu gluant.

— Vous êtes mal, par terre ? demande-t-elle.

— Non…

— Mais si… Vous voulez que je me tire un peu ? Il y a de la place pour deux sur ce divan, vous savez ?

Pour un appel direct, c’est un appel direct. J’ai jamais vu une gonzesse abattre ses brêmes avec tant de naturel. Ça tombe bien j’ai précisément un carré de valets dans mon jeu.

En deux temps trois mouvements je me trouve allongé contre elle. C’est comme si je me couchais sur une ligne à haute tension. Je ressens une commotion dans toute la moelle.

C’est exactement le grand soleil du feu d’artifice qui m’emmène avec lui dans le ciel de nuit embaumé. Sofia, c’est pas une femme, c’est une brassée de serpents, mais elle est moins froide qu’un serpent. Elle est même très chaude pour un bipède : vous lui poseriez un œuf sur la croupe, il serait cuit dur instantanément. Et sa chaleur est communicative. Elle m’inonde. J’en deviens gâteux…

Je ne perds pas mon temps à écouter si Paul-le-Pourri en écrase toujours… En moins de temps qu’il n’en faut à un postier pour oblitérer une lettre, je composte la môme. Elle a une façon de nouer ses jambes avec une adresse qui tient du prodige. Un truc pareil aux Jeux olympiques la ferait classer champion du monde de zizi-pampan catégorie dames. Et ce qui est merveilleux, c’est qu’on est juste sur la même longueur d’ondes, elle et moi. Vous qui êtes tous plus ou moins des lavedus, qui servez vos bourgeoises le samedi soir et en grand gala télévisé pour vos vingt berges de mariage, vous ne pouvez pas savoir combien il est duraille de s’accorder illico avec une souris, la première fois qu’on se l’embourbe. Y a en amour comme en boxe des rounds d’observation, c’est inévitable.

Eh bien ! cette fois, le grand combat démarre net au coup de gong, sans préliminaires… C’est le pas des lanciers, la charge de la brigade sauvage, les derniers jours de Pompéi au même programme, et avec le marquis de Sade dans le rôle principal. En une heure on ravage son sommier, à Sofia.

Lorsque je la laisse, elle est aussi pantelante que la petite bonne du sixième qui est entrée dans la cage d’ascenseur alors que ce dernier se trouvait au septième. Littéralement crucifiée, couverte de sueur, la bouche ouverte sur un suprême soupir d’extase, les cheveux collés sur les tempes, les seins en forme de vagues par gros temps… Sans oublier les doigts de pied en bouquet de violettes ainsi que l’exige la tradition.

Je donne la lumière, histoire de mater un peu le spectacle. La première chose que j’aperçois, c’est Paul-le-Pourri, assis dans un fauteuil, la boutanche de rhum à la main, les yeux clignotant à la lumière comme ceux d’un hibou surpris.

— Merde, il murmure d’une voix pâteuse, t’es comme la 2 CV Citron, t’as une suspension spéciale ?

Je rouscaille :

— C’est pas bien, Paul, de faire le voyeur avec la famille.

— Famille ou pas famille, rigole-t-il, j’allais pas rater un spectacle pareil. J’ai jamais vu un tel boulot, même à l’Œil de bronze, que tient mon pote Félix-de-Bayeux.

Le compliment me va droit au cœur.

— Merci, dis-je. Mais, la prochaine fois, amène du monde, on fera payer l’entrée…

Sofia, groggy, est inerte sur le lit, sa veste de pyjama retroussée sous le menton. On parle pas du futal qui depuis belle lurette fait tout seul le grand écart à l’autre bout de la pièce.

— Occupe-toi d’elle ! ordonne mon compagnon.

— T’as peur qu’elle prenne froid ?

— Non, mais c’est pas convenable… Je serais chiche d’oublier qu’elle est ma nièce dans un moment d’inattention.

Il entonne à nouveau la bouteille. Un glouglou significatif m’indique qu’elle est vide. Lui non plus n’a pas perdu son temps. Il tient drôlement le pétrole, Paulo…

— Bon, il fait, puisque la représentation est terminée, je vais essayer de dormir un peu. Si tu remets ça, faites moins de chahut, tu me raconteras la suite demain…

Aussi sec, il repart dans la ronflette.

Moi, je me couche à côté de Sofia. Elle geint doucement comme une bête heureuse.

Je ferme un châsse blasé et je songe, avant de sombrer, que le boulot commence sous d’heureux auspices…

* * *

C’est Paul qui, au petit jour, sonne le rassemblement.

Il est debout, mal rasé, et il ressemble plus que jamais à un cataplasme de farine de moutarde moisi.

Il soulève le drap couvrant pudiquement Sofia et flanque une claque retentissante sur les noix de celle-ci. Il fait ça à la brave homme, mais ça ne doit pas lui déplaire de lui palper les amandes.

— Allez, gosse, fait-il, c’est du sérieux maintenant, va acheter le baveux qu’on fasse le point. T’en profiteras pour ramener des croissants chauds, je vais préparer le jus pendant ce temps.

Sofia se lève en ronchonnant. Elle me regarde en se grattant d’un air plutôt vasouillard. Puis, emportée par la reconnaissance, elle se penche et m’embrasse longuement.