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— Tu disais à ta grenouille que tu as vu arriver la malheureuse dame, Milou ?

Il acquiesce, sans bouderie. Glaviote encore des caillots sur les cailloux.

— Bon, raconte. Comprends que c’est grave, merde ! Tes conneries de voitures volées… ou autres (un chef-d’œuvre mon « ou autre) je m’en contrebranle. J’ai rien contre toi, mon ami.

— Je suis grutier, il me dit.

— Chouette métier : mon rêve. Un jour que j’aurai le temps, faudra que tu m’apprennes à manœuvrer cet engin. Quand j’étais chiare, je ne construisais que des grues avec mon Meccano.

Il tend le bras de l’autre côté du fleuve. Effectivement, on voit un univers à la Carzou. Des poutrelles, des carcasses métalliques… Une énorme grue.

— Je travaille à la construction de cet usine, là-bas…

— Je pige. De ton poste élevé, tu as tout vu…

— Non, pas tout. J’ai seulement vu se pointer la bagnole.

— Comment sais-tu qu’il s’agissait de la sienne ?

— D’après ce qu’ils causaient aux informations… Une MG break verte conduite par une femme blonde sur ce petit chemin, y’en passe pas des chiées. Juste je pivotais sur ma grue quand elle a débouché.

— Alors ?

— Une autre voiture l’attendait. Une DS noire.

— Hein ! ! ! !

Je te fous quatre points d’exclamation pour te souligner ma stupeur, mais ce n’est qu’une vague indication. En réalité, m’en faudrait trois pleins tomes pour l’exprimer pleinement.

— Pourquoi dis-tu qu’une autre voiture l’attendait ?

— Un type s’est mis les bras en croix au milieu du chemin pour lui faire signe de stopper.

— Un type comment ?

— Que voulez-vous que je vous dise, à une telle distance ! J’ai aperçu ça ditraitement, je m’occupais de mon boulot, moi !

— Mais encore ?

— Y’ m’ semble qu’il avait un imperméable noir et une casquette.

— Ensuite ?

— Y’a pas d’ensuite. J’ai tourné le dos à la rivière à cause de mon travail.

— Si bien que tu ne sais pas si la dame est descendue de voiture ?

— Je ne sais que ce que je vous ai dit… V’ voulez pas que j’invente.

— Il était seul, l’homme à la DS noire ?

— J’ignore. Vous parlez d’une distance ! Je l’ai remarqué parce qu’il se tenait les bras en croix sur la route, autrement j’aurais pas bougé un cil.

Je sors mon étui à cigares. À deux cigares, de fort calibre. J’en allume un.

— Tu voudrais l’autre, Milou ?

— J’ sais pas, c’est gros. J’ai jamais fumé des barreaux pareils.

— Ben, essaie…

Je lui enflamme un havane qu’il se met à téter comme un veau sa chère petite maman.

— Il conduit où, ce chemin, Milou ?

— À une carrière abandonnée.

Donc, il faut le connaître pour s’y donner rendez-vous. Voilà qui change tout. Ce rancard, c’est une culbute de l’affaire. Elle vient d’exécuter un saut périlleux, l’affaire. De bifurquer sec. Je flaire de sombres manigances, soudain. Je me dis : et si Mme X… n’était pas morte ? Si on avait filé sa tire au jus pour laisser croire à sa disparition ? Supposons par exemple qu’au comble du désespoir, elle se soit confiée à un parent ou à un ami. Lui faisant part de son intention d’en finir. L’autre lui suggère de ne s’anéantir qu’aux yeux du monde, ce qui est l’essentiel… Sa fin supposée va couper court au scandale qui la mine. Elle pourra récupérer, dans l’ombre, y voir plus clair…

Bien sûr, ça paraît un peu dingue, dit commak, de but en blanc, mais quoi ? Y’a des trucs plus extraordinaires qui ne sont jamais arrivés, hein ?

— Elle était orientée dans quel sens, la DS, Milou ?

— Le nez en direction du village.

Il se lève et va me montrer des traces de roue, dans une zone indéterminée, de l’autre côté du chemin.

— Voyez !

— Je vois…

* * *

Les projos implacables des caméramen donnent à la maison de campagne des « X » un aspect romantique, genre Hauts de Hurlements. Des lambeaux de brume, ocrés par l’E.D.F., enroulent du mystère autour des colombages. Planté au milieu de la foule des télé, radio, et plumitifs reporters, Monsieur « X » joue le grand air du Veuf-de-retour-en-ces-lieux-où-nous-fûmes (c’est du belge) — si-heureux-mon-amour.

Faut lui voir la prostration de bon ton. La face crispée et digne sous un curieux chapeau de toile à carreaux, genre anglais, posé sur l’oreille.

L’œil humide (mais la larme ne se déclenche pas). Son gardien, plus béret-basqué que jamais, lui propose, devant les caméras, un humble sandwich de diététicien qu’il refuse, comme une sœur de charité repousse la zézette d’un manœuvre étranger.

J’attends qu’il arrive au bout de ses simagrées télévisées. Parmi bien d’autres dons, je possède cette faculté inestimable de pouvoir vivre seul avec n’importe qui. Le drame de la plupart des hommes, c’est qu’ils ne savent pas aménager leur solitude, soit qu’ils essaient de la fuir, soit qu’ils tentent de la faire partager ; alors qu’il est si aisé, somme toute, de s’isoler pleinement, superbement au milieu de n’importe quels z’autres, que sinon, y’a lurette qu’ils m’auraient rendu dingue, ces nœuds. Toujours obligé d’écouter leurs conneries, d’y répondre, de devoir m’y intéresser… Seuls les cons peuvent exister sincèrement, les autres font semblant ou bien se butent. Mais quoi, on ne peut passer sa vie à se buter ! Se rebuter suffit.

Je contemple la belle prestation de l’homme politique enchagriné. Les Chargeurs Réunis ! Il joue faux comme un metteur en scène. De bas en haut. Tout est à contre-vérité chez ce mec impersonnalisé par la politique. Ces gens, n’importe leur appartenance, quand tu les approches, tu tombes toujours sur le même. Depuis longtemps, ils sont vidés d’eux-mêmes et ressemblent à des coquilles d’escargots pleines de terre. Sauf qu’ils ne contiennent, eux, que du vent déjà pété. Ils se suffisent de leur suffisance, preuve que ces ambitieux se contentent de peu. Tous, je te jure, ont la pareille redondance glorieuse, cette même manière d’être convaincus qu’ils convainquent, qu’ils sont nationalement importants et détenteurs d’idées.

Je me coule dans la maison.

La grosse Germaine à moustaches se tient sur le pas de la porte, prête à se faire pelliculer si besoin devient, entretenant sa peine comme à la campagne on entretient doucettement le feu dans l’âtre, prêt à le ranimer quand les hommes rentreront.

Je contourne la dame et me glisse dans la chambre de la disparue. L’abat-jour orangé, cette odeur suave, ces rideaux à rayures…

J’ai un coup de langueur en défrimant le plumard, terrain de mes exploits et nid de mes amours.

Il y a seulement quelques heures…

Elle m’agrippait en hoquetant « perds-moi, perds-moi ! ». Drôle de cri, non ? Et qui sonne bizarre.

Elle a fait sa valoche à la diable. Dans sa penderie, il y a plein de toilettes tombées de leurs cintres parce qu’on les a tarabustées. Sa valise, je peux te dire qu’elle s’en battait l’œil, la divine chérie.

Je m’approche d’un vieux secrétaire Charles X, en bois pâle.

L’ouvre.

C’est l’écritoire d’une honnête femme. Des livres de comptes où figurent les dépenses de la maison, le traitement du personnel, les notes de mazout et de téléphone…

Les petits tiroirs recèlent (comme on dit avec un tantinet soit peu d’éducation) de la correspondance de bon ton avec une cousine fraîchement mariée à un fonctionnaire d’Outre-Mer…

Rien de probant, je te dis.

Mais moi, vieux fouinasseur chevronné, sachant combien ces meubles-là sont vicieux, je retire les tiroirs pour m’assurer que le secrétaire ne recèle pas de compartiments secrets. J’ai beau sonder, je n’en dégauchis pas la queue d’un. Me reste plus qu’à renquiller les menus tiroirs. C’est en cigognant pour replacer le dernier sur ses rails que je fais une découverte dont il ne m’est pas possible de te dire si elle est intéressante ou pas. Figure-toi qu’à l’envers de ce frêle compartiment, une carte est punaisée. Une méchante carte commerciale, imprimée en bleu-idiot sur du mauvais bristol, dans des caractères dont le tarabiscotage cherche à faire « original ». Beaucoup de connards confondent ainsi mauvais goût avec personnalisation.