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— Ne le sentez-vous pas ?

S’il croit adoucir ma mélancolie…

— Puis-je téléphoner, docteur ?

Il me montre un appareil bigophonique réparé avec du sparadrap et qui ressemble à un dessin de Dubout.

Je compose le fil privé du Vieux.

— J’écoute !

Si les icebergs parlaient, ils auraient à peu près cette voix-là ! Certes, il écoute, le Raclé, il écoute mais il n’est pas décidé à tout entendre.

Je lui fais part des dernières constatations du président de la S.M.T.C. concernant le cadavre, la trace de liens, le morceau d’oreille.

Le Vieux dit à plusieurs reprises : « mouais, mouais, mouais, mouais », sur des tons très divers (cela va du doute à l’insolence en passant par l’ironie apitoyée).

— Quelles sont vos instructions, monsieur le directeur ?

— Mes instructions ? Alors écoutez-moi bien, San-Antonio. Écoutez-moi tout à fait, en plein, beaucoup, à outrance. Vous m’écoutez ?

— Je ne fais que cela, monsieur le directeur.

— Vous faites rapatrier le corps en ambulance au domicile de monsieur X…

— Mais, patron !

— Non, pas mais ! Plus mais. Jamais mais ! Mais, connais pas. Mais, fini. On rapatrie cette pauvre femme chez elle. Vous déposez Casuel à une station de taxis, car je me suis informé : il est parfaitement exact qu’il appartient au R.E.T.I.C.U.L.E. Et puis vous rentrez tous chez vous : Pinaud, Bérurier et vous. Tous ! Je vous accorde huit jours de congé exceptionnels pour services rendus à la patrie. Si vous alliez faire une belle virée dans le Midi ou en Bretagne, tous les trois ? Dites : la Bretagne, son ciel bas, ses homards grillés, ses vieux pardons de granit, hein ? Bon, c’est dit, vous filez à la Baule ! Hmmm, y’a bon, Hôtel Ermitage, Chalet Marie-Louise, l’Espadon, le cidre doux… Veinards. Chez Irène, vous connaissez, au Croisic ? Un personnage ! Quand elle se fout derrière un fourneau, celle-là ! De ma part, hé ? Vous lui direz que c’est « Monsieur Achille qui vous envoie ».

Un silence cuisant.

— Si je comprends bien, vous classez l’affaire, monsieur le directeur ? je demande d’un ton hautement méprisant.

Et sais-tu ce qu’il me répond ?

— Quelle affaire ?

CHAPITRE VI

DANS LEQUEL SI TU NE TROUVES PAS TROUBLANTS LES FAITS QUI Y SONT RELATÉS, C’EST QUE TU ES ENCORE PLUS GLAND QUE JE NE PENSE !

— C’est la première fois, hein ? soupire Pinuche en zozotant, because la fracture de son dentier qui le prive de son élocution supérieure.

— La première fois que quoi ? ronchonne Bérurier.

— Que nous sommes démis d’une affaire en cours d’enquête ?

— C’est aussi la première fois qu’on trempe dans la politique, soupiré-je.

— Minette ! Minette ! Minette ! clame le docteur Rapière, depuis l’arrière du véhicule.

Ah, oui, parce que je t’ai pas encore dit ? Il m’a demandé de le piloter jusqu’à Pantruche, le Président Bouffeur, vu qu’il s’octroie deux jours de congé. C’est son escapade mensuelle. Il est bon, selon lui, de faire relâche de temps à autre pour, à son tour, payer ce pour quoi on le paie. Il connaît quelques personnes bien, en des clandés ouatés, dont il apprécie particulièrement la moniche. Des dames à la chaglaglatte délectable, de belle consistance et assortie d’un système pileux souple et soyeux. Car, toujours d’après sa vigoureuse expérience, l’un des inconvénients majeurs de son art réside dans les toisons rêches, voire agressives, qui piquent le nez, vous donnant l’inopportune envie d’éternuer en plein « Alllll ».

— Pourquoi que vous dites ça, doc ? s’informe le Gros.

— Parce que je vous sens dans un grand marasme, mes amis, contre lequel il vous faut réagir très vite avant qu’il ne dégénère en mélancolie. Pour cela, je ne connais qu’une seule recette infaillible : minette !

Ce conseil, pertinent j’en conviens, provoque chez le Mastar une cascade de réflexions qui le débarquent brutalement sur le quai désert de son infortune conjugale.

— Vous êtes bon : minette ! Ma bonne femme vient de se faire la paire a’v’c un jeune connard qui doit voter pour Silvikrivine aux érections présidentieuses. Tout ce qu’y me reste à bouffer, c’est un salé aux lentilles chez Auguste, le bougnat du coin.

— Je vais vous donner des adresses, promet le bon praticien.

— Où qu’on paie ? bougonne Béru.

— Oui, mais où l’on est quitte. Pour cent francs, monsieur, vous connaissez l’extase, c’est donné !

L’autre a un cri de sardoniquerie :

— Écoutez, doc. Moi, chez Auguste, j’ai : une bouteille de Muscadet, comme apéritifle, une tête de veau-vinaigrette, avec la boutanche de beaujolpif qui marche avec, une potée aux choux avec un litre de Côtes du Rhône ; la salade de saison aux petits lardons ; les fromages avec une quille de Pommard qu’on jurerait du vrai ; et la crème caramel ; plus le café, le marc de Bourgogne et un Voltigeur bagué ; le tout pour cinquante balles ! Ce qui revient t’à constater que je peux y aller deux fois pour le prix de vot’ passe. Vous aurez beau me dire ce qu’on voudra, vaut quand même mieux bouffer deux potées aux choux qu’un cul, quoi, merde !

Rapière hoche la tête. Homme d’expérience, sachant à peu près tout de l’humain, il n’ignore pas que certaines conversions sont impossibles. On ne peut cultiver le palmier-dattier dans la terre beauceronne malgré la générosité de celle-ci…

Casuel mâchouille une cigarette éteinte de ses dernières dents.

— Vous me larguerez à la Bastille ! dit-il.

— Alors, on se quitte ? soupire le Mammouth.

— Il paraît, rigole Albéric. On s’est chicorné pour rien, tu vois, collègue.

Sa Majesté renifle des regrets en forme de morves.

— Appelle-moi pas collègue, mon Gars. Mon métier est un métier que j’ai trop d’estime pour lui. Nous autres, on le fait encore à la main, tu piges ? Pas sur ordonnateur. On a encore les marottes du bon vieux temps : l’honnêteté, le sens du devoir, l’amour du boulot bien fignolé. On joue pas les super-marquettes à la gomme en braquant des enquêteurs pour leur faire bouffer des vannes ! Tu vois, y’a une chose dont je déplore, c’est qu’on se soye pas battus pour de bon. Si t’es libre dimanche, tu viendrais pas dans le pavillon à mon beau-frère, à Nanterre ? Il a un petit potager clos de murs où qu’on serait peinards pour s’expliquer. On aurait tout son temps et j’enverrais les chiares au cinoche ?

Casuel étudie cette alléchante proposition, mais n’a pas le temps de donner son approbation, vu qu’un drôle de nouveau se produit.

Une voiture survient derrière nous, klaxon bloqué. Rital, l’avertisseur. Il te joue la Rivière Kwaï. D’instinct, je ralentis pour la laisser foncer, puisque, nonobstant la limitation de vitesse, elle bombe à quelque cent soixante kilomètres/heure.

Aussi, quelle n’est pas ma surprise de l’entendre freiner à mort.

— Attention ! hurle Casuel qui a maté par la lunette arrière.

Je file un coup de sabord dans le rétro. Pas le temps de bien distinguer. Tout ça est trop soudain. À l’avant et à l’arrière du bolide, y’a deux mecs masqués, à demi défenestrés, et qui, t’es sur le point de le deviner, braquent deux mitraillettes dans notre direction. Ils sont à trois mètres de ma tire. Moi, tu sais mes réflexes ? Je ne tergiverse pas un quart de poil de zob de seconde. Sec, j’enquille le talus, en accélérant. Je passe à quatre millimètres d’un vénérable platane. Mon véhicule dévore la bute. Quelle pluie étrange venue d’ailleurs crible ma belle carrosserie neuve des dimanches ! Ah, les sagouins ! Une bagnole rutilante ! Je bombe en rase campagne. La salve cesse, nos agresseurs nous ayant déjà dépassés. Elle fut très brève, mais abondante. Mes roues patinent dans un sol laboureux et je stoppe à une poignée de main d’un vieux nabus dressé sur un tracteur.