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— On va dans un endroit accueillant. Tu choisis une luronne. Et nous l’entreprenons séparément. Ensuite on lui pose la question de confiance.

— Banco ! San-A., débarque-nous à la station de taxi qu’est un peu plus loin.

* * *

Et je traverse le pont de la Tournelle.

Virage à droite. Je me range le long du quai, d’une façon beaucoup plus orthodoxe que la première fois.

Pinaud n’a pas moufté jusqu’à présent, se contentant d’examiner les rues où nous passions, regardant derrière soi fréquemment, en tétouillant son mégot jaune.

— Voilà, monsieur Loyal, dis-je en coupant le contact, on peut savoir, à présent, ou bien faut-il aller chez le notaire où tu as déposé la solution de l’énigme sous pli cacheté ?

La Délabrerie a un rire muet de poisson-chat apercevant une colonie d’asticots.

— J’ai du nouveau, mon petit.

— Vraiment ?

— Je peux t’annoncer que la Jaguar d’hier nous suivait bel et bien.

Un silence ! Très imparfait, car le bruit de sa déglutition continue de ponctuer le temps.

— Tu viens de vérifier ça comment ? questionné-je dans un souffle.

— L’itinéraire.

— Oui ?

— Tu as pris à deux reprises, dans le Marais, des ruelles à l’étroitesse décourageante pour une grosse voiture. Or, hier, la Jaguar les a empruntées également.

— Ça ne prouve rien.

— Attends, autre chose encore : à un moment donné, tu t’es trompé, ça se situe à la hauteur de la rue de Turenne. Tu as fait une fausse manœuvre qui t’a obligé d’aller contourner inutilement la Place des Vosges.

— Exact, j’ai failli rectifier à l’instant, mais comme tu tenais…

Il me coupe :

— Entre nous, Antoine, pourquoi la Jaguar qui a pris ces ruelles périlleuses sur tes talons, si j’ose dire, aurait-elle également commis cette erreur de parcours si elle ne te filait pas ?

Je le prends par le cou.

— Pinuche, il serait dommage de te jeter : tu peux encore servir.

J’ sais pas si je t’ai déjà causé de Blachiotte ?

L’officier de police Blachiotte ?

Non ?

Alors je vais. Bref, car son rôle sera très marginal dans cette salade.

Cézigue, c’est le fichier-man type. Il connaît tout Paris. N’importe qui. Tu dis un nom, une adresse. Il s’excuse, te prie de patienter. Et puis, cinq minutes plus tard, armé d’une fiche grande comme deux timbres postes, et couverte d’une écriture plus fine encore que celle de J.-J. Dupeyroux (un mec soutenu par Lissac pour entretenir le mythe de la myopie), Blachiotte lit sa fiche. Là-dessus, y’a tout. Il n’a jamais montré son fichier à personne. C’est un truc à lui. Sa collection private. Son hobby. Sa marotte. Mieux : son œuvre.

Pour lui, ça se situe entre « La Condition Humaine » et les « Rougon Macquart ». C’est le vrai Who’s who, garanti sans colorant nocif. Pas l’intéressé qui établit son pédigree, oh là là que non pas ! Chaque fois qu’il naît quelqu’un dans l’agglomération pantruchienne, Blachiotte se met à mouiller. Un citoyen de mieux pour sa collection !

Il me regarde entrer dans son bureau de son œil de lézard qui aurait pris froid.

— Salut !

— Monsieur le commissaire…

— Dites voir, Blachiotte, Ernest Meissonier, 63 rue de la Pompe, ça existe pour vous ?

Son sourire de sacristain pris en flagrant délit de détournement d’enfant de chœur est peinturluré au mépris grand teint. Comme si quelqu’un, un architecte surtout, pouvait échapper à sa vigilante marotte !

— Vous m’attendez là ?

J’opine. Il remonte sa cravate couleur de merde séchée et sort si furtivement qu’on en est à se demander s’il avait vraiment besoin d’une porte pour le faire.

Dans le burlingue voisin, des machines à écrire crépitent mollement. Y’a encore plein de julots qui tapent avec deux doigts dans la rousse, malgré les techniques modernes. Un poulet qui dactylographie, c’est un spectacle ! Ça a quelque chose d’attendrissant et d’inquiétant ; d’anormal, quoi ! On comprend qu’il saura jamais, mais qu’il continuera toujours. Que sa frappe est à l’unisson de sa pensée. Qu’il pense avec deux doigts…

Je vais à la fenêtre. Le beau temps… Des nuages… Deux pigeons se jouent Roméo et Juliette sur une gouttière.

Je pense au corps de Mme X… Quel minable épilogue ! Et le Vieux, avec son interdit de fonctionner, si foireux. La politique me débecte. Aux prochaines élections, je filerai du papier-cul dans l’urne, qu’ils se torchent un coup, tous ces malpropres, tous ces glaireux, baveurs de formules, fomenteurs d’alliances, baiseurs de foule.

— Je suis à vous, monsieur le commissaire.

Tiens, je ne l’avais pas entendu revenir. Je tends la main, mais Blachiotte, jamais au grand jamais, il ne te remettrait une de ses chères fiches. Tu parles ! Est-ce qu’un collectionneur de vases étrusques te permet de jongler avec sa collection ?

Il lit.

D’une voix continue comme les mots déferlant sur la bande d’un télescripteur.

— Ernest Jacques Meissonier, né à Paris, le 13 novembre 1937. Père architecte, déjà établi rue de la Pompe. Études brillantes. Exempté de service militaire pour déficience cardiaque. Vie sentimentale mouvementée. Trois fois divorcé. Nombreuses maîtresses. Jouit d’une bonne réputation sur le plan professionnel. Dépense l’argent plus facilement qu’il ne le gagne. Toujours en découvert bancaire. Aime le luxe. Dîne presque chaque soir chez Maxim’s à la table 9. Aucune condamnation, mais à signaler un retrait de permis de conduire d’un mois pour avoir violé une ligne jaune au sommet d’une côte.

Blachiotte se tait.

Puis déclare :

— C’est tout pour l’instant.

Car l’avenir travaille pour lui.

Dans deux minutes, d’ailleurs, il aura ajouté sur la fiche : le commissaire San-Antonio s’intéresse à Ernest Meissonier.

* * *

— Comme tu le vois, rien de particulier, conclus-je, après avoir répété à Pinuche le résumé de notre collègue.

— Si ce n’est que Meissonier est cavaleur et dispendieux, ajoute la Guenille. Personnage conventionnel : brillant, doué, mais son amour du beau sexe l’entraîne dans des dépenses exagérées… Que comptes-tu faire ?

Je rumine à mon volant.

Dans ce pastaga, il est vain de vouloir prendre les gens de front. Il faut les attaquer à la sournoise, par la bande. S’embusquer… Désormais, je vais chasser à l’affût, mon drôle.

* * *

Tu la verrais, Barbara !

Dedieu de Dieu, ce morcif ! Quand tu te déplaces avec elle dans la rue, t’es certain de provoquer des embouteillages. J’ai vu un tomobiliste rentrer dans une vitrine, un jour, tellement qu’il la regardait fort.

Grande, moulée, superbe. Des seins comme ceux de nos grand-mères, mais profilés selon les règles de l’aérodynamisme. Elle est très blonde, coiffée court avec un regard qui se cherche entre le vert-émeraude et le gris-perlouze. Bref, de la bête sublime.

En plus, toutes les qualités du monde rassemblées sur ses gracieuses épaules.

Toutes, moins deux défauts.

Elle est conne et elle baise mal.

Le premier, à la rigueur, on peut s’en accommoder.

Mais le second la rend rédhibitoire.

Voilà pourquoi, bien qu’elle en pince (de langouste) pour ma personne, je ne la vois que de loin en loin, Barbara. Temps en temps, je lui file un rancard, manière de rouler les mécaniques à ses côtés, dans un endroit chic. Ensuite, poli comme tu me sais, je la reconduis chez elle. Là, elle a droit à son petit coup de figue-figue, naturellement. Mais je la brosse à l’éconocroque. Avec elle, c’est pas la peine de se dépenser, de se mettre l’ingéniosité à la torture, d’inventer des positions nouvelles. C’est du temps, du phosphore et de l’énergie perdus.