Je lis :
Mon cher Directeur,
Je trouve dégradant pour le pays que des hebdomadaires soient en mesure de publier des photographies comme celle qui figure dans le dernier numéro du Popotin. De telles infâmies ne devraient pas se reproduire…
Je vous prie d’agréer mes salutations.
— Hein ? Hein ? trépigne le Vioque. Ça sent le bûcher, une lettre comme ça. Le limogeage ! Le soufre ! Sainte-Hélène ! Un nouveau coup fourré de ce genre, et nous sautons à qui mieux mieux, mon ami ! Tous, moi, vous, d’autres…
— Monsieur le directeur, il faut agir, certes. Mais ce n’est pas en arrêtant un homme de bonne volonté, venu spontanément nous faire part de sa trouvaille, sans se laisser arrêter par les délicates circonstances qui l’ont motivée, que nous agirons efficacement. Mon avis est que, au contraire, nous devons coopérer avec Culaille.
Le Vieux, tu veux que je te dise ?
Eh ben, il a un coup de vieux.
Il se laisse retomber sur son fauteuil. Ses bras remuent faiblement, comme les pattes d’une tortue renversée.
— Oh, et puis, faites donc comme bon vous semble, après tout…
Tu parles que je saute sur l’occase !
Franchement, faut reconnaître qu’elle est sympa, la môme Mireille.
C’est vrai qu’elle ne fait pas du tout pute. Une gentille petite ménagère. On la trouve dans son gai logis, un foulard protégeant ses cheveux et des gants de caoutchouc rose ses mains. Elle porte un tablier gadget qui représente le drapeau américain.
En nous défrimant sur son paillasson, Culaille, Bérurier et moi, elle ouvre grand la bouche. Je souris à ses amygdales et lui décoche un tout gracieux bonjour.
Mireille est brunette, mignonne, bien foutue. On sent qu’elle attrape les vis par le bon bout.
Elle se méprend sur nos intentions. Et c’est à Culaille qu’elle fait part de son étonnement :
— Voyons, Jeannot, tu sais bien que pas ici ! Surtout que Fernand va rentrer déjeuner… Et puis il faut que j’aille chercher les gamins à l’école.
— C’est pas ce que tu crois, répond Culaille.
Le poste de radio joue Les Frères Rouland, sur Europun. Une bonne odeur d’oignons frits se répand dans le petit appartement. Béru, qui n’y tient plus, fonce à la cuisinière et soulève le couvercle d’une marmite.
— Rôti de veau ? jette-t-il.
Mireille acquiesce.
— Vous faudrait le mouiller avec un peu de vin blanc, petite.
Elle remercie d’un hochement de tête.
Culaille s’explique.
— Le beau gosse que tu vois là, Mimi, c’est un pote à moi, le commissaire San-Antonio. Chocote pas, il est pas de la mondaine. Il voudrait seulement des renseignements sur un de tes clients. Tu sais, le type à la veste pied-de-poule d’hier, le jeune un peu dégarni qu’avait une grosse américaine verdâtre ?
Mireille opine (c’est son métier) l’air maussade. Tout ça ne lui dit rien qui vaille. Elle sent que son partenaire du Bois est à l’origine de complications dont elle se serait bien passée.
J’interviens.
— Soyez sans inquiétude, mon chou, il n’est pas question de vous causer la moindre tracasserie.
L’œil velouté, j’ajoute :
— Au contraire…
Sous entendu : si tu es bien sage, tu n’auras pas à le regretter.
Bérurier pleure tout ce qu’il sait, parce qu’il vient de se fourrer un oignon brûlant dans le clapoir. Voulant éteindre cet incendie de palais, il entonne d’urgence une boutanche et boit à longs traits.
— Pas terrible vot’ picrate, cocotte ! dit-il à Mireille.
— C’est du vinaigre, explique la jeune femme.
Je crois opportun d’entrer dans le vif du sujet avant que ne se pointe le citoyen Fernand, mari choyé et marlou involontaire.
— Le type d’hier, vous l’avez déjà eu comme client ?
— Deux ou trois fois, oui. C’est un compliqué.
— À quelle fréquence le voyez-vous ?
— C’est un nouveau. J’ai dû le faire trois fois dans la semaine. La première, il s’est comporté presque normalement, mais la deuxième, vous auriez vu ce vicelard. Je lui ai parlé de Jeannot, mais c’était le jour que t’allais au dentiste, Jeannot, tu te rappelles ? Alors il est revenu hier.
— Vous croyez qu’il reviendra bientôt ?
Elle hausse les épaules.
— Il avait l’air content, déclare Mireille.
Ce qui permet tous les espoirs.
Une cavalière en bombe passe sur un beau cheval alezan qui pète plus fort que Bérurier.
On se marre, parce que, que tu le veuilles ou non, un pet, y’a rien de plus drôle au monde. Même un pet de cheval. Magique comme effet. T’as des mecs qui se défoncent le chignon pour expliquer le mécanisme du rire. Des z’auteurs qui se torpillent le bulbe pour agencer des quiproquos très joyces. Des pantalonnades. C’est du temps perdu. De l’énergie dispersée. Un pet, je te dis. Et « poum », ça suffit. T’as gagné. Tout le monde se fend le pébroque, s’écosse la rate, vole en éclats de rire.
L’écuyère (à café) conserve sa dignité. Le buste bien droit, tu la verrais. Les tifs noués en chignon, culottée jumpur, chemise à jabot, gants beurre frais. Son mignon dargif tressaute sur la selle. Youp, youp, youp, youp ! C’en est provocant. T’aimerais être selle. Elle a deux mignons melons en guise de miches. Un peu bêcheuse, sans doute, beaucoup même, mais avec une tarte dans la frime en guise de préliminaires, ça doit s’arranger. Y’a des gonzesses qu’ont besoin d’être châtaignées pour trouver leur longueur d’onde. C’est comme les flippers électriques, faut pas craindre de les secouer : ça les illumine de partout.
Le Gravos la suit d’un regard languissant de puceau qui surprend sa cousine en train de changer de slip.
— Ces connasses, murmure-t-il, tu crois que c’est le vice qui les pousse au tape-cul ? Probable que ça leur échauffe l’hormone, non ? Ça y incite à la mouillette. Vise-moi ce gentil derche, la manière qui va et vient. Dire que c’t’ un con de bourrin qu’en profite, sans même se rendre compte. Moi j’aurais ce petit lot à califourchon sur la membrane, charogne, tu parlerais d’un boulot !
Il se tait, vu que le gars Culaille vient de nous balancer le duce.
Enfin !
Trois après-midi qu’on moisit sous les ombrages du Bois à cinquante mètres de mon pote ! Rien ne s’est encore produit. On l’a vu parlementer à des portières de voitures dans lesquelles se trouvait déjà la petite Mireille. Grimper. Disparaître vers des délices tarifées.
Chaque fois on espérait son signal. Mais Culaille se laissait embarquer sans nous alerter.
Et v’là soudain que ça y est ! Il lâche son journal sur l’herbe.
Grimpe dans un vieux carrosse ricain d’un vert constellé de rouille, et dont les ailes sont aussi cabossées qu’un casque de motocycliste dans la salle des urgences d’un hôpital.
— À nous de jouer ! exulte Béru. Je commençais à choper des durillons aux meules !
On laisse passer le véhicule. Les trois personnages qui l’occupent paraissent minuscules dans ce tas de ferraille.
Lorsqu’ils parviennent au carrefour, je démarre à mon tour.
Rien ne presse. Car, au préalable, Mireille et moi avons défini l’endroit pépère où elle va éponger ses clilles.
Il se situe au fond d’une impasse, à Billancourt, non loin de la Seine. Une ancienne usine abandonnée, promise à brève échéance aux coups de boule des démolisseurs. Là-dessus, on va construire des baths clapiers de vingt étages, véry gigantesques et harmonieux.
Cette impasse est longue, tortueuse, mal pavée, très sombre. Un vrai velours pour ceux qui ont besoin d’un baisodrome volant. Ils ont le temps de voir venir. Peuvent défourrer en voltige, se reculotter express pour échapper au flagrant délit.