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Dessert.

Café… Elle le sucre avec des édulcorants, Barbara. Jamais les mêmes. Elle vient toujours de rencontrer une seringue qui lui en a recommandé un ayant plus le goût du sucre que le vrai sucre et qui n’est pas cancérigène. L’aubaine !

Déjà, il y a des dîneurs qui dansent.

— Vas-y, charge, dis-je à mon appât, c’est le tournant du match, chérie, il est indispensable que ce beau matou t’invite avant la fin de la soirée.

— Je peux quand même pas aller le sucer sous la nappe, grogne ma camarade.

— T’as un regard expressif, mens-je, explique-lui de la prunelle que tu t’humectes du besoin de danser dans ses bras.

— Avec son dragon, ça va pas être facile. T’as remarqué la façon qu’elle me mate, cette croûte ?

— C’est pas le genre d’homme à se laisser neutraliser par une mémée jalmince. Trois divorces, tu penses, c’est plus éloquent que le code civil !

Ce type, tu veux parier que c’est un torgnoleur ? Les frangines à scènes, il doit te les mettre au pli à coups de mornifles.

Effectivement, ça se passe de la manière suivante. Une fois sa timbale glacée démantelée, Meissonier invite la rombière de sa table. Celle-ci danse comme un sac de farine. Il vient exhibitionner devant nous et n’en décarre plus. J’aurais pas monté ce coup-là, parole, la manière dont il vaseline ma souris du regard, dont il la copule, me ferait bondir sur son beau costar d’alpaga bleu nuit. Quand il s’est farci son numéro de cascadeur avec la vieille, il la drive à sa table pour empoigner l’aile de sa propre compagne, histoire de lui apprivoiser la confiance. After ça, comme les musicos attaquent une valse anglaise, le vieux mironton se risque à payer son tribu à la politesse, en conviant Mme Meissonier à la gambille. Alors, l’Ernest saute sur l’occase comme une tribu de morpions sur un pubis négligé ; ce que j’espérais fortement. Il s’excuse auprès la dadame à diadèmes. Se lève et fonce à notre table.

Sa voix est agréable, chaude, joyeuse. La voix heureuse d’un type à qui rien ne résiste.

— Monsieur, me dit-il, me permettriez-vous d’inviter Madame à danser ?

Un peu hardi, non ? Ça chute dans le balparqué de village. Bientôt, on va nous filer un coup de tampon encreur sur le dos de la pogne !

Je prends ma mine la plus consentante pour consentir et Barbara va s’atteler dans les brancards de l’architecte. Nos regards se sont interpénétrés. J’ai cherché à savoir s’il me reconnaissait. Car, il m’a fatalement retapissé l’autre jour, s’il nous suivait vraiment. Mais ses yeux ne révèlent rien de pareil. Peut-être Pinaud s’est-il trompé, après tout ? Et j’organise un Safari-piège-à-con en pure perte. Je dois préciser que j’ai passablement modifié mon aspect, puisque j’ai changé ma coiffure, raccourci mes pattes, et mis des lunettes à grosse monture, sans compter une légère baffie façon Adolf Menjou de jadis, que tu peux toujours tirer dessus : elle tient mieux qu’une vraie. On a une nouvelle colle aux accessoires. Un produit allemand : l’en faut un autre pour l’enlever, c’est dire !

Ils dansent langoureusement. Barbara y va à fond du bas-bide pour l’allumer, messire Mystère. Lui faire friser les sourcils de son scoubidou à tête rentrante. La morue du gars qui vient de les apercevoir en verdit complètement. Mais, comme je l’ai pressenti, Meissonier n’en perd pas son flegme langoureux pour autant. Il valse en chuchotant des choses qui pâment ma copine. Tu sais qu’elle se prend au jeu, la blondinette. Z’œils en foirade incontrôlée, bouche en tirelire. Ça ramage ferme sur l’étroite piste.

À la fin de la danse, il me la ramène, me remercie, s’incline et retourne à sa volière.

— Alors, beauté ?

Très contente de soi, Barbara diffère sa réponse. Elle me tend sa coupe vide. Je soulève la bouteille qui l’est également.

— Il n’y a plus de champagne, lui dis-je.

— Si : à l’office, objecte la douce enfant. Est-ce que tu deviens radin, ou quoi ?

Pas radin : butor. J’ai tendance, une connasse fonctionnelle, à la compter pour des prunes.

En soupirant, je demande une boutanche neuve au maître-loufiat.

Son honneur pansé, la greluse sort en trombe du parking de son mutisme, comme l’écrivait si bellement Jacques Claudel dans Les Pieds Nickelés.

— Succès total, déclare-t-elle. Figure-toi qu’il nous invite, tous les deux…

— Quand ?

— Cette nuit, à une heure.

— Où ?

— Cinquante, rue Kelpine. Tu sais pour quoi faire ?

On est policier d’élite ou ne ne le hait pas.

— Une partouze ?

— Comment t’as deviné ?

— Quand un mec convie en pleine noye un couple inconnu à une adresse du même métal, c’est pas pour y fonder un Club d’assistance aux pays sous-développés. T’as dis d’ac, autodidacte ?

— Fallait pas ?

— Si.

Elle soupire, songeuse.

— J’ai encore jamais fait de partouze. C’est bien ?

— Pour quelqu’un qui aime la compagnie, c’est le rêve.

* * *

La rue Kelpine[7], pour des fois t’ignorerais, se situe à quelques encablures des « Champs Vaselinés », à droite quand tu regardes l’Arc de Triomphe dans ton rétroviseur. C’est une voie tranquille, bourgeoise, urinaire (étant sombre et déserte, elle remplace les édicules publics en voie, urinaire, de disparition).

Nous trouvons aisément le 50, puisqu’il est placé entre le 48 et le 52. Il s’agit d’un petit hôtel particulier, et tu vas voir à quel point combien il l’est, particulier !

La porte est entrouverte.

Y’a d’abord un hall carrelé, avec un escalier à tapis rouge et une grosse lanterne de cuivre au bout d’une chaîne. Des portemanteaux volants, comme on en installe en complément lors de réceptions, supportent déjà nombre de visons et de pardingues en vigogne (de retour). Une vieille mémée chignoneuse tient le vestiaire, maniant le cintre à habit comme Yéhudi son archet, distribuant des cartons numérotés qu’elle prend sur une console de marbre.

À notre arrivée, elle s’assure :

— C’est pour la partouze ?

— Oui, oui, madame.

— Au second, la porte est ouverte.

On lui confie nos fringues.

— Vous laissez aussi votre pantalon ? elle me demande.

Je lui dis que je préfère rester en compagnie de celui-ci jusqu’au terme de la randonnée, étant frileux des claouis.

On monte.

Plus on se rapproche, plus y’a de la musique.

Douce, d’ambiance, comme de bien entendu…

Nous pénétrons dans une toute belle entrée tendue (elle aussi) de soie jaune. Un gus portant pour tout vêtement un nœud de smoking noir, s’avance. Il est coiffé à la grille-pain, c’est-à-dire en ramenant ses poils de cul sur le sommet de son crâne et en les y maintenant avec une gomina seccotinisée. C’est le larbin de l’endroit. Il a la zézette obséquieuse (je devrais écrire « obséqueueuse ») et discrète.

— C’est de la part ? s’informe-t-il avec une voix de curé infligeant une amende de trois pater et dix ave à une délinquante venue acquitter son tiers provisionnel au confessionnal.

On lui dit.

Il s’incline, remet son nœud d’aplomb (je ne parle pas de son nœud de cravate) et nous drive jusqu’à un immense salon plein de gens qui n’auraient rien de particulier s’ils étaient vêtus.

Ils dansent.

Le valet de partouze nous invite à nous dévêtir dans un boudoir contigu. Ce que nous obtempérons.

On repique sur le grand salon, à l’éclairage savant.

Pas de meubles, pas de piano (même à queue), mais, sur le pourtour de la vaste pièce, des coussins en avalanche. Une grève de coussins. Un entassement de coussins. Quelques messieurs-mesdames s’y vautraillent déjà, se livrant à un petit canter avant que ne commence la vraie séance. Mais presque rien : de la bricolette, le côté « Tiens, palpe et dis-moi si c’est de la barbe à papa », ou bien « Ôte ton doigt d’ là que je m’humecte », tu vois ?

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7

Romancier moscovite, célèbre pour son anonymat, auquel on doit la traduction en russe des œuvres de Jean Dutour[14].