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Sa Majesté montre l’office.

— Et il a mis les bouts par l’escadrin de service ?

— L’entrée des fournisseurs, c’était logique, non ? Pour quelqu’un qui vient de fournir le prétexte d’un bel enterrement. Ces Meissonier, tu parles d’un pied pour les établissements Borniol !

C’est un lot, c’est une affure ! Le charter pour Paradi’s city ! Le Gros se file à quatre pattes. Grand chercheur d’indices, mister Béru. Moins doué que Pinaucholmès, mais véry velléitaire, tu sais ? Un mégot, un préservatif, il laisse pas passer. Quant aux boutons, alors là, c’est son hyper-vice. Le bouton de braguette, surtout. Là, il a beau ratisser du groin, il ne trouve rien.

Alors, que veux-tu, on s’en va.

Et on se quitte.

On se sent tout petit devant cette enquête qui nous dépasse comme le Mont-Blanc dépasse le jet d’eau de Genève, le plus haut édifice de Suisse.

* * *

M’man a fait des tomates farcies.

L’art d’utiliser les restes, elle le possède, ma Félicie. Avec elle, les aliments sont meilleurs à l’état de bouffe de récupération que sous leur accommodement initial.

Ses tomates farcies, je te fous mon billet, tu ne peux pas en trouver de plus délectables. Le capuchon croustille, la farce a un goût d’herbe, la sauce tomate qui nappe l’ensemble sent le champignon.

— Je me régale, m’man.

— Tant mieux, mon chéri.

Notre bonne italoche a des moustaches rouges, tellement elle clape avec appétit. Car elle becte avec nous, cette musaraigne. À la casba on est pas le genre patron-patronne. Nos sentiments républicains, on les dépose sur la nappe en même temps que nos couverts.

Le bigophone retentit.

Crispation de m’man. Je lui tapote la joue.

— T’inquiète pas, ma poule, ça ne peut pas être le Vieux, il nous a filés en congé de lâcheté.

C’est Pinaud.

Sa voix baderneuse frétille comme un goujon[11].

— Vite, Antoine ! Branche ta télé. Vite ! Vite !

Je vais appuyer la touche de contact du poste, lequel se trouve précisément très proche du téléphone.

Le son, comme la plupart du temps, m’arrive avant l’image. Les Zitrone sont de retour.

La voix vibrante, malgré son humidité, du célèbre commentateur me bouligue les manettes.

— Dans la matinée, le président du conseil comptait parmi les premières personnes venues rendre hommage à la dépouille de madame X… et présenter leurs condoléances à monsieur X…, lequel avec une dignité exemplaire…

L’image.

On voit la propriété où j’eus cet instant délicat avec la malheureuse femme. Des chignoles cernées de motards…

M. X…, en costume de condoléancé, gris sombre, cravate noire, mine blafarde… Le président du conseil, ému comme à une inauguration de pissotière, la poignée de main à répétition…

D’autres gens à tronches circonstancielles. Connus.

Et toujours ce pauvre M. X…, presseur de louches. D’une dignité de quai d’Orsay. Résigné à tous les mauvais sorts, si vaillant…

J’étends la main pour rattraper le combiné.

— Tu es toujours là, la Pilule ?

— Bien sûr, alors, tu le vois ?

— Comme je ne te vois pas.

— Et qu’en dis-tu ?

— Que veux-tu que j’en dise ?

— Mon garçon, aurais-tu des troubles de la vue ?

— Ben quoi ?

À cet instant, le preneur d’images nous propose un gros plan de mister X… et je pige ce que veut dire Baderne-Baderne.

Oh là là, comment donc !

Le veuf consolé porte un pansement à l’oreille.

Vu ?

CHAPITRE VIII

DANS LEQUEL, À FORCE D’ASSISTER À DES FAITS TROUBLANTS, JE VOIS TROUBLE

Tu l’auras certainement jamais remarqué : mais les collaborateurs d’un homme célèbre sont généralement plus imbus de sa célébrité qu’il ne l’est soi-même.

Pourquoi, dès lors, comme on disait autrefois, du temps de l’U.D.R., pourquoi voudrais-tu diantre que le chauffeur-garde du corps d’élite de M. X… échappât à la règle ?

C’est un grand type qui ressemble à Jouvet dans le rôle de Royer. Pommettes à angles droits, frontal de lémurien, œil plus profond que le regard, lèvres minces. Et puis alors morgue. Pas celle des frigos, celle des snobs. L’air important du type qui veut se donner de l’importance sans y parvenir. Complet noir, chemise bleu-police, cravate noire. Pochette rectangulaire blanche avec les initiales de l’individu en évidence. Il s’appelle William Claude (William comme les poires, et Claude comme les prunes, ce qui donne W.C., t’as mordu l’astuce ? Bravo !).

Comme tous les chauffeurs de politicien, il lit Paris-Turf pendant que son patron sauve la France.

Engager la conversation avec lui est difficile, vu sa pédanterie. Aussi, j’y vais à la flagornerie outrancière. Cézigue, faut lui mouiller la compresse sans relâche si on veut se l’amadouer.

Notre petit canevas est dressé. Pinuche attaque.

— Penses-tu, fait-il à la toute belle cantonade, ça n’est pas lui !

— Je te dis que si !

— Mais, non, voyons !

— Mais si !

— On parie une tournée ?

— Tenu !

— On lui demande ?

— On lui demande !

Déjà alerté par nos tons montants, sablonneux, malaisés et de tous les côtés au soleil exposé, William a abaissé son baveux hippipique (houra) sur son volant et nous défrime sinistrement, le coude à la portière, avec un air de mainate auquel un perroquet couperait la parole.

— Faites excuse, lui dis-je civilement, ne seriez-vous pas le chauffeur de monsieur X… ?

— Si, pourquoi ?

Au lieu de lui répondre, je bourrade le châssis de Pinuche.

— Ah ! Ah ! Gros malin, qui est-ce qui l’a dans l’oigne ? Tu penses que j’ai tout de suite reconnu Monsieur, à force de le voir à la télé et dans les journaux…

Le chauffeur a ce sourire blafard qui laisse apercevoir des virgules d’or dans une denture de carnassier.

— Ben oui, c’est bien moi, re-confirme-t-il, en étant vachement heureux que ce soit bien lui.

— Je vous demande pardon, penaude la Vieillasse, quand j’ai pas mes lunettes, moi : une vraie taupe. Bon, eh bien me voici à l’amende d’une tournée. Ce serait un grand honneur pour moi si vous acceptiez de prendre un verre avec nous, là en face. D’ailleurs, ce ne serait que justice.

L’air gentil de César, ses palmes académiques, son âge devancé, décident William Claude. Il jette un regard à sa belle montre en or en métal doré et descend de sa bagnole avec une solennité que ne déploya jamais nulle reine of England.

Bistrot.

Ce qu’on boit, ce coup-ci, c’est du Gin Schplaf, tu sais, cette nouvelle boisson qui a un goût surnaturel venu du laboratoire du pétro-chimie de Fosse ? L’extase du palais[12].

On se met à entreprendre le chauffeur de M. X…, ce rabouin de W.C.

Numéro d’extase. Style La Fontaine : que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! Ça prend particulièrement sur des mecs qu’ont l’orgueil télescopique. La vanité pousse comme une asperge.

Quand elle est mûre, j’aborde les questions insidieuses.

— C’est terrible, tout ce qui s’est passé chez vous, mes pauvres…

— Une cabale !

Lui, il est décontracté, tu ne trouves pas ? Une cabale bourrée d’assassinats, je trouve que c’est plutôt mimi, non ? Bientôt, il va prétendre que la bataille de Verdun c’était de la polémique !

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11

La métaphore du pauvre, mais si on ne portait pas un cilice, de temps en temps on s’habituerait à la vie.

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12

T’as mordu l’astuce ? Je vais lancer la marque, après je vendrai le nom à un limonadier qui créera le produit.

Plus ce sera dégueulasse, au mieux ça se vendra, et bibi ira chercher ses royalties avec un camion de déménagement.