— Mais vous entendez ce que vous me demandez ? fait-il.
Bon, c’est foutu-râpé. Un intransigeant. Service-service ! Lagardère meurt mais ne se rend pas ! La garde erre, mais ne meurt pas, la garde-meuble mais… L’hagarde, etc. Continue, ça m’intéresse.
Il enchaîne :
— Vous avez une autorisation des autorités suisses ?
— Il s’agit d’un simple contrôle. Je suis prêt à vous signer une décharge…
Il secoue la tête.
— Je dis pas, mais je ne peux pas prendre ça sur moi, venez, on va aller voir mon chef !
Il me pilote jusqu’à un burlingue voisin où un type qui a l’accent bernois explique à une certaine Lili qu’il ne pourra pas la rencontrer à huit heures du soir ainsi qu’ils en étaient convenus.
On attend que la Lili admette cette carence. Quand le chef a raccroché, je me fends de nouvelles explications :
— Un type que je file pour une affaire de la plus grave importance et qui, et que et dont et que je…
Le décommandeur de Lili, étant chef, branle le sien.
— Ecoutez ! fait-il, tranchant, vous autres, de l’autre côté, on dirait qu’il ne s’est rien passé ici depuis Napoléon Premier ! Vous avez tendance à prendre Genève pour une préfecture française, Je…
— Inutile, l’interromps-je, un aimable chauffeur de taxi m’a récité le texte intégral pas plus tard que ce matin. Je vais donc me munir des autorisations nécessaires.
— Et moi, déclare mon terlocuteur, je vais en référer à la police de l’aéroport, car cela fait deux personnes qui s’intéressent à cette foutue valise en moins de deux heures !
Je grimiaule. Y a des jours où ça foire, mon gars, faut s’incliner. Plus tu t’obstines, plus le sort vaseline les trucs que tu cherches à saisir !
Mon sourire de prise de congé ressemble à une grimace d’hépatique sur la pube des pilules « Chi-mou ».
Je récupère Marie-Marie qui m’attend sagement devant le bureau du chef. Le Gros regagne le sien. A peine qu’on parvient à mi-couloir, il ressort en lançant des clameurs. « On a volé la valise ! On a volé la valise ! »
Alors là, pour le coup, je suis passionné. Et déconfiturié aussi, bien sûr ! Si ce gros mec n’avait pas brandi l’étendard du règlement, comme Napoléon (justement) brandissait le drapeau français au pont d’Arcole (du moins sur les gravures commémoratives) on ne se faisait pas baiser au poteau !
Je reviens sur mes pas, rageur. Le chef qui a perçu la complainte s’annonce aussi. Alors, l’Antonio y va de sa propre goualante.
— Vous me faites deux beaux melons, tous les deux ! Au lieu de ratiociner, vous seriez mieux inspirés de veiller sur les biens qui vous sont confiés ! Ah ! vous vouliez alerter la police de l’aéroport ! Eh bien c’est le moment, messieurs ! Et ne perdez pas de temps, je vous prie ! Dites qu’on coure à la station des taxis, à celle des bus. Qu’on regarde au parking du premier ! Allez, grouillez, le voleur ne peut être loin puisque la chose s’est produite pendant que nous parlions !
Ils effervescent, mes bons copains helvètes. Et je piétine, obscur témoin ! Là, à notre aîné et à notre barde ! A notre nez et à notre rhubarbe !
De quoi se la dégager pour s’y mettre un nœud papillon, tu ne trouves pas ?
Je continue de revancher en houspillant les deux fonctionnaires, en grand lâche que je me plais à être, parfois. Ils sont accablés, les pauvres.
Avant de filer, je les foudroie d’un perfide :
— Je vais de ce pas en référer à qui de droit !
C’est toujours plaisant dans une prise de bec et de position « qui-de-droit ». Ça veut rien dire, mais ça te fait frisotter les poils occultes.
— Déjeunons au restaurant de l’aéroport, décide péremptoirement Marie-Marie.
Je lui objecte qu’il existe en ville des restaurants plus intimes, mais elle déclare sur un ton décisif :
— Non, mangeons ici, l’artiste, tu ne le regretteras pas.
Moi, bon, j’accorde. Déguster un ris de veau Clamart en regardant décoller des Boeinges, je trouve qu’il y a mieux à maquiller, surtout quand tu as à ton côté une merveilleuse dont tu viens de demander la main.
On grimpe donc se sustenter, pour déférer au caprice de Mademoiselle ma future. Le repas est animé. Elle me fait raconter par le menu (vu l’endroit) l’histoire du bagagiste, mon coup foireux de la Samsonite rouge, et les révélations de la vieille dame au roquet mordeur.
Quand nous avons terminé notre bouffement, elle farfouille dans le minuscule sac-pochette qui lui pend au cou et en extrait une petite clé nickelée.
— Watt is it ? je questionne, en anglais d’électricien.
Marie-Marie garde une frimousse on ne peut plus sérieuse pour déclarer :
— La clé de la consigne où je suis allée planquer la valise pendant que tu discutais avec les deux alpestres.
On attend d’être dans ma chambre pour déponner la valtoche. Pendant le trajet, je garde le bras dessus, jouant avec la languette de cuir sur quoi sont collés le nom et l’adresse du propriétaire : « Théodose Mamandhréou », 69 bis, rue Claude Rank, Paris 16.
Marie-Marie est contre moi dans le bahut, sa main fraîche posée sur ma main chaude, très droite, d’une gravité qui m’étonne et m’étourdit. J’ai l’impression que ce n’est plus ma musaraigne de toujours, mais une inconnue pleine de maintien.
En tout cas, elle a l’esprit de décision, ma très belle. La manière qu’elle est allée harponner la valise pour foncer l’enfermer dans l’une des consignes automatiques toutes proches et revenir ensuite chiquer l’innocente tourterelle, le tout en pas deux minutes, en dit long sur l’énergie de cette frangine. J’en reste sidéré.
— Tu paries pour quoi ? demande-t-elle.
— Que veux-tu dire ?
— Je parle du contenu de la valise. Supposons que la vieillarde ait vu juste et que son propriétaire ait pris peur en voyant débouler le cadavre, cela signifierait qu’il a craint qu’on la lui fasse ouvrir et qu’il a préféré filer en l’abandonnant…
Je hoche la tête :
— Je ne vois pas les choses ainsi, ma poule. Qu’on la lui fasse ouvrir, il devait s’y attendre puisqu’il passait une frontière. D’autre part, à quoi lui servait de fuir puisque son nom est fixé à la valtouze ?
— Alors ?
— Alors rien, peut-être que son contenu éclaircira le mystère. Cela dit, la vieille s’est sûrement monté le bourrichon. Elle se gave de polars et les filtre mal. Il y a de fortes chances pour qu’il s’agisse d’un bagage en souffrance dont le propriétaire est peut-être en train de râler comme un pou hystérique au service des réclamations de l’aéroport du Caire, de Washington ou d’Helsinki…
Et bon, la devisance fait passer le temps, le temps le chemin, et nous revoilà à ce bon hôtel languide, où l’odeur d’encaustique et de vieillesse bien tenue te flanque de subtiles nostalgies dans l’olfactif.
Parvenu dans ma carrée, je dépose notre larcin sur mon beau couvre-lit blanc, au crochet.
— A toi l’honneur, ma chérie ! fais-je à Marie-Marie en lui désignant la valise.
Elle s’approche de moi.
— Comment viens-tu de m’appeler, Antoine ?
C’est fou, les filles, comme elles sont sensibles aux mots, aux regards, inflexions, silences ; comme elles sont sensibles à tout, comme elles sont sensibles à rien pour en faire un tout ! Toujours branchées, les chères chéries jolies. T’as qu’à simplement monter le bouton de l’ampli. Nous autres, sales mecs, sales cons, faut chaque fois nous démarrer à froid. Départ arrêté, comme dans les tests taumobileux. Départ arrêté !
Elle ressemble à l’amour, Marie-Marie, à cette merveilleuse seconde. C’est une onde de bonheur en cours de matérialisation. Un léger tournoiement de l’atmosphère, qui donne une teinte pastel : rose et bleue… Lumineuse. Ça chauffe à distance. Elle me tend ses lèvres. Je les accepte comme elles sont offertes.