Выбрать главу

Un long baiser ardent, d’amour intense venu d’ailleurs, venu de loin, de très profond, de très longtemps… Et ce moment fabuleux, nous le savions déjà. On l’avait prévu, compris, pré-vécu à l’époque où elle entrait en sixième, Marie-Marie, avec ses nattes, ses taches de rousseur, son regard espiègle et son sourire qui retenait des impertinences.

Il y a longtemps, c’était hier… J’étais guère moins vieux, mais elle infiniment plus jeune. Tu comprends ? Essaie, fais-moi ce plaisir, cette politesse, cette moindre des choses de piger à quoi correspond un tel baiser, et pourquoi il chante si fort en nous, pourquoi il nous brûle au chalumeau, le bougre.

Et quand on est à bout d’oxygène, car ça consume un baiser. Oh ! là là que ça consume ! Et consomme ! Quand on doit respirer coûte que coûte, on réfugie nos bouches dans nos cous, ainsi font les chevaux dans les grandes prairies closes de barrières blanches. Je te l’ai déjà placée, cette image des bourrins cou contre cou sur l’herbe verte, hennissant de tendresse, avec leur pelage luisant, ces grands cons quadrupèdes (la quadrature du pède) et leurs naseaux fumants dans le matin frisquet. Et nous, semblables à eux, les gails. L’image forte ! Déjà utilisée, mais tu te laves bien la bite chaque matin, j’espère ? Faut pas craindre, quand tu tiens l’image-clé, l’image-déclic, de la resservir. Quand tu penses à tous ces crânes mous qui nous font chier avec les diapos de leurs vacances ! T’as le malheur de te risquer chez eux : t’y coupes pas ! Après le dessert, au lieu de s’enculer en couronne, comme dans la chanson, ce qui serait à tout prendre plus marrant, poum ! Séance photos ! Le Pirée ! La Grande Pyramide ! Le Temple de cecicela ! Eux, en train de massacrer une langouste aux Canaries. Eux, en mer, en neige, en sable, à poil ! Eux, si pourtant dénudés d’intérêt, et qui se dénudent intégralement. Misère ! Passons ! Je sais que t’es pressé, y a des cons qui t’attendent, ou t’as des conneries à faire, alors me faut gazer sur les miennes. Droit aux faits ! Ney ! Les fusils étaient-ils chargés ? Juste le coup de grâce, dis-tu ? Ils avaient omis de charger le revolver à blanc ? Ah ! bon. Tant mieux. Donc, il a eu le cœur intact ? Vive l’Empereur ! Napokassa ! Ney ! Un cas ! Fidélious ! Pair de France, pourtant ! Mais ils ont fait d’un pair deux coups : pan et pan ! De grâce ! Rien à regretter, de toute façon, il serait mort à l’heure que je te cause.

Et Marie-Marie dans mes bras, farouche, pathétique d’amour, soudain, elle qui tant faisait marrer avec ses boutades et ses pieds de nez ! Et puis le temps passe en douce, l’ordure. Se faufile parmi nous, en nous… Et alors tu vois ce qui consécute ? Cette belle demoiselle en émoi d’amour, qui se serre contre moi comme le lierre après son chêne.

Il nous faut beaucoup de courage pour qu’on se désunisse (je devrais écrire : « pour que nous nous désunissions », mais je t’emmerde !).

On y parvient. Elle s’occupe alors de la valtoque. Fait jouer les trois fermoirs.

Elle a repris son entrain habituel.

— Un, deux, trois… compte-t-elle.

Si elle était dans les postes, je dirais : « composte-t-elle » et ça serait marrant à cause de Saint-Jacques. On rate des occasions de se fendre la gueule, faute de « H ».

Le couvercle se rabat en arrière. Nous, en avant.

La pochette surprise !

Que vois-je ?

Devine !

Crétin ! T’as perdu.

C’est pas ça. Mais alors pas ça du tout ! Et t’es loin du comte, comme Rodrigue quand il se castagnait avec les Maures après être parti avec Saint-Saëns et être arrivé avec la moitié de la méthode Assimil. Te dire !

Où qu’j’en étais ?

Ah voui ! La valise ne contient pas de serpents, pas de plutonium, pas de sachets de cocaïne, pas de tambours, pas de trompettes, pas de faux dollars, ni de bons du Trésor. Elle ne contient que des vêtements. Et ceux-ci se composent, deux points (ou deux pêches) à la ligne :

D’un pardessus en mohair de couleur beige. D’un complet bleu foncé, croisé. D’une chemise bleu-très-pervenche, d’une cravate noire, d’une paire de chaussettes, d’une paire de souliers bleu marine. Le tout plié méticuleusement, comme si chacun des éléments énumérés sortait de la fabrique (à brac).

Nous déposons ces fringues sur le lit que Napoléon III dut utiliser, je te le répète, et ces choses-là, crois-moi (ou trois mâts) ça se sent de loin et tout de suite.

Déception ? me diras-tu. Tu vadrouillais en Charybde (toutes voiles dehors) et te voilà en Scylla, mon pauvre Tantonio. Hein, Ducon, c’est ce que tu penses ? Je t’entends ricaner, face d’ablette ! T’es là, comme une braguette entrouverte, à prédire des choses qui ne viennent pas. Il est feinté, le preux commissaire ! Tomate, va ! Colique verte ! Menstruesophage ! Ecoute un peu, vieille pelure, ce que je vais te déclarer ici même. Ces vêtements… Hein, tu me suis ? Eh bien, ces beaux vêtements tout neufs me flanquent une secousse comme rarement ressentie. La commotion !

Et Marie-Marie en est terrifiée. Si elle ne claque pas des dents, c’est parce que ses jolies perles sont soudées par l’effroi.

Pardon ? Qu’est-ce que tu dis ? Qu’il s’agit de sanglants vêtements ? Ah ! je reconnais bien là le brio de ton imagination d’insecte, espèce de mal fabriqué !

Non, l’ami : pas de sang ! Non, l’ami, pas de débris humains sortant des poches.

Ce qui abasourdit lorsqu’on a déplié ces fringues, c’est leur dimension.

Aucun homme vivant ne pourrait les passer. Le pardessus mesure plus de trois mètres. Les chaussures correspondraient à du 70, si le 70 existait. Le reste à lavement ! Tiens, les chaussettes ! Merde, je voudrais que tu les visses ! Tu pourrais les enfiler par-dessus des bottes d’égoutier. Ce gigantisme fait peur, car il suggère un monstre, comprends-tu ? A regarder ces effets, on se demande à quel surdimensionné ils correspondent. On tente de concevoir l’être capable de mettre le falzar éléphantesque sorti de la valtouze. Et la cravate, donc ! Du Gnoli ! Ah ! mais c’est vrai : tu ignores Gnoli. Toi, ta culture, c’est la jardinière d’œillets d’Inde sur le rebord de ta fenêtre ; pas vrai ? Si nous avions, en face de nous, l’individu auquel ces vêtements peuvent aller, nous n’aurions sans doute pas peur. C’est de l’imaginer qui crée l’angoisse.

Car l’homme, quand il est pressé, va tout de suite au pire.

Pour simplifier.

— C’est horrible, balbutie Marie-Marie.

J’agite mon physique de théâtre de haut en bas, puis de bas en haut, ce à quatre ou cinq reprises.

— Monstrueux ! renchéris-je.

EPSILON

La voix bêlante de Pinaud se faufile dans mes trompes d’Eustache (de Saint-Pierre, lequel dit un jour à ses concitoyens « Vous inquiétez pas de Calais, je suis dans leur manche ») comme un vieux ver de terre harassé dans une motte fraîche.

— Bon, je te répète : Théodose Mamandhréou, 69 bis, rue Claude Rank…

— Yes, Frère (ordinairement, je dis yes sœur, mais la Vieillasse a droit à un régime de faveur, puisque je n’ai pas de régime de bananes sous la main).

— Je vais m’en occuper immédiatement, bien que, depuis ce matin, ma gastrite me chicane. Je pense qu’elle s’est réveillée à cause de cette andouillette que j’ai mangée chez les Bérurier, hier au soir. Ils avaient invité votre vieux copain, le professeur Félix lequel, comme tu le sais…

— Puisque je le sais, inutile de me le répéter, tranché-je, remue ta délabrance, César.

Et de raccrocher pour économiser cent quatre-vingts minutes de communication archiment superflue.