Je dépose le truc sur la table, perplexe.
Que fait-on dans un cas semblable, lorsqu’on n’a plus le laboratoire de la Cabane Bambou à dispose ? On demande à la vieille femme de chambre d’aller l’ouvrir à la cave et on se bouche les oreilles avec du chewing-gum mâché en attendant la suite ; ou bien on téléphone à la police genevoise et on a l’air d’un grand con de flic français si la boîte contient les savoureux chocolats Suchard sans lesquels la chère Suisse ne serait pas tout à fait ce qu’elle est. Ou encore, mais alors là faut se trimbaler des burnes grosses comme des gants de boxe d’entraînement, on ouvre soi-même le gentil colis en priant très fort le Seigneur pour qu’Il ne joue pas au con.
Je passe en revue ces trois soluces. Ayant pour témoin la femme de ma vie, j’opte pour la troisième, quitte à la transformer en veuve avant que de l’avoir épousée.
— As-tu des ciseaux, mon tendre amour ?
Oui. Mais je ne veux pas que…
— Donne-les-moi ! enjoins-je d’une voix tellement déterminée que si je demandais sur ce ton-là son portefeuille à un Ecossais, il me le tendrait sans barguigner.
Pendant qu’elle défère, je me mets à bricoler in the penderie. Occupation très simpliste que celle qui consiste à libérer deux tringles de métal chromé destinées à supporter des cintres à habit.
Que fait ton Tantonio chéri ensuite ? Assieds-toi sur ce paratonnerre, je vais t’expliquer.
Il emprunte (à 4 pour cent seulement, les taux d’intérêt étant très bas en Helvétie) le cordonnet actionnant les rideaux. Il attache solidement les deux branches inférieures des ciseaux à l’extrémité de chacune des tringles… Tu me suis, oui ? Ben alors, qu’est-ce que t’as à bâiller comme une moule de caissière ! J’obtiens, cela étant fait, des ciseaux dont les manches mesurent un mètre cinquante environ. Qu’il ne me reste plus, dès lors, qu’à déposer l’envoi mystérious sur le carreau de la salle de bains, puis à m’agenouiller devant la porte entrouverte, mais en demeurant dans la chambre. J’actionne mes ciseaux en me tenant le plus possible à l’abri du galandage. Qu’ainsi donc, seuls mes avant-bras et une partie de ma frite se trouvent exposés ; c’est beaucoup malgré tout, objecteras-tu ; à quoi je ne te répondrai pas, car il n’y a rien à répondre à l’évidence. Etant, de par mes fonctions, homme de risques, j’en prends, et voilà tout.
— Sors de la chambre, Marie-Marie !
— Non, fait-elle, je reste avec toi.
Je devrais admirer son courage, sa grandeur d’âme, l’abnégation dont elle fait preuve, mais tout ce qu’il me vient, c’est de l’enrognement.
— Je te dis de te barrer, bon Dieu ! On n’est pas en train d’interpréter « Les Derniers Jours de Fort de Vaux » !
Elle sort en pestant :
— Ce qu’il est râleur, ce mec ! Décidément, le célibat n’arrange pas le caractère des hommes !
Demeuré seul, je respire un grand coup et me mets au turbin.
J’ai l’impression de travailler dans ces cages de verre où sont enclos des éléments radioactifs. Les manipulations se font par un système d’étranges prothèses qui suppléent les mains du manipulateur. C’est très angoissant.
Les mâchoires des ciseaux se comportent avec une certaine lourdeur maladroite, vu la longueur inusitée de leurs branches.
Clip !
Le ruban est tranché. C’était le plus zézé.
A présent, de la pointe de l’instrument, j’entreprends d’écarter le papier d’emballage. Que de tâtonnements menus ! Que de maladresses mal rattrapées ! Mais, comme l’a si bien dit Monseigneur le Comte de Paris : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron. » Mon delco cesse de débloquer, mes gestes s’affûtent, se font plus précis, plus efficaces. Et, bravo Santonio ! v’là le papier dégagé. Boîte de chocolats. Fondants, exquis, dit le couvercle. Miam miam !
Régale-toi, l’aminche.
Je resserre les mâchoires des ciseaux (en anglais : scissors) pour, de leurs pointes qui n’en forment plus qu’une (miracle de la technique évolutive !), entreprendre de relever le couvercle. C’est difficile, et je dirai même plus : duraille ! La boîte de carton comporte une languette engagée dans une encoche. Je cherche donc à glisser l’extrémité des ciseaux sous ladite languette. Pas commode. Ça pousse la boîte, comprends-tu ? Non, mais est-ce que tu suis bien tout ce que je me crève la bague à te raconter, vieux camembert coulant ? T’es sûr ? Bon ! Or, donc, cette fichue boîte s’éloigne de moi et va se trouver inaccessible si je continue de la sorte.
Je tente de la rapprocher. Las ! Un faux mouvement, et patatraque, elle n’est plus atteignable. A ce moment-là, tu seras bien d’accord avec moi, je l’espère : de deux choses l’une, hein ? Et j’opte pour la seconde ? T’en aurais fait autant ? Bravo ! Tu vois qu’on a des poings communs, les deux !
J’entre délibérément (j’aurais pu y entrer autrement, cela dit) dans la s. de b.
Je m’approche de ladite box et in petto pour ne pas être compris du gros public, je ramène la maligne boîte fugueuse dans mon champ d’action. Tu sais, Bazu, on aura beau dire, on aura beau faire, le déminage représente la forme la plus aboutie du suspense ! Quand tu te dis (et ça hurle en toi) qu’à tout instant tout peut péter et te transformer en hamburger, alors là, bonne année grand-mère !
Mais, comme le prétend si justement la chanson : « Quand on est zouave, faut être brave », et j’ai suffisamment fait le zouave au cours de ma vie pour pouvoir annexer la bravoure à mon patrimoine !
De mon bout de pied je fais donc glisser la boîte. Ma bouille, si elle contient des vrais chocolats, après tout ce bigntz !
C’est juste lorsque je me mets à reculer vers la lourde que « la chose » s’opère. Et quelle chose ! C’est pas par manque de vocabulaire que je la qualifie de chose. Tu déclares « l’événement se produit », ou bien : « l’incident, ou encore le fait », ça n’a pas la même portée. Ça n’ôte pas l’intensité, mais ça limite le mystère. Tandis que « la chose », alors là tu sais qu’on aborde le pas banal ; qu’on entre dans l’inquiétant.
Et c’est plus qu’inquiétant ce qui se passe, mon chéri. Magine-toi que le couvercle de la boîte s’ouvre tout seul. Oh, pas brutalement. Il se fait comme un léger soubresaut. Le carton s’arque un peu, puis la languette sort de son logement. Et alors !
Attends, je te vois, t’es tout verdâtre. Tu chocotes, hein ? Tu veux que je change de chapitre, te laisser le temps de souffler ?
Il me vient une bien meilleure idée. Je vais te réciter un poème à moi, pondu il y a un certain temps (pour être précis). Il m’est venu un soir de spleen. Mon âme voguait en plein lyrisme. La poésie, c’est comme l’eczéma : elle te surgit, t’irruptionne, te fait ressembler à un cul de singe, et puis s’en va, te laissant beau et désemparé.
Et voilà que moi, un soir d’automne, avec le vent de France soufflant à ma porte, ma pensée s’alexandrise toute seule. Les méfaits d’Hugo. Çui-là, quand tu en as abusé jeune, il te reste endémique. Moi, pourtant peinardos, poum ! Me voici en butte. Moi qui diversifie volontiers, pour une fois, je versifie. Moi, prosateur ardent, je me fais pouête pouête. Un cas.
Ça s’intitule « Mes couilles », parce que c’est de mes couilles qu’il s’agit. C’eût été de ma tronche, recta, je titulais « Ma tronche ». Ou de mon cul, rectum, j’annonçais : « Mon cul ». Mais c’est mes couilles le sujet. On ne choisit pas, quand les muses viennent te faire du gringue. Elles t’exigent, t’obéis. C’est ça, l’inspiration.
On y va ?
Poème.
Quoique… Y en a encore qui vont tordre leur vilain nez de toucan, je sais. Me dénoncer comme auteur dépravé. Des qu’ont pas de couilles ou qui, bien qu’en possédant, s’en servent mal. On vit des temps de grande paresse où les hommes n’ont même plus la force de baiser. L’onanisme remplace peu à peu l’accouplement : à preuve, la natalité chute libre, en France, drivant ainsi le pauvre Michel Debré à l’infarctus.