Moi, pourtant, choquer, c’est pas ma vocation réelle. Si je choque tellement, c’est parce que les autres ne sont pas tous dans le coup. Ils croivent encore que le sens moral c’est la pudibonderie, alors que c’est pile le contraire.
Enfin bref, tu la veux quand même, ma jolie poésie ?
Poème.
Y a un souffle, non ? Un envol. Tu vas voir que je vais finir par me faire empléiader.
Tu veux que je vais continuer ?
Du temps qu’on y est…
Et comme dirait la mère Denis : « Ça c’est vrai, ça ! »
Bouge pas, après, ça dit comment ? Oh ! oui, écoute :
Là, c’est le délire, vu que la blenno c’est pas le genre de la maison, mais chez nous autres, versificateurs, on tribute de la rime. Et aussi, y a la qualité de l’image évoquée qui t’induit à concéder. D’ailleurs, c’est pas un documentaire, hein ? Tu veux vraiment la fin ?
La voici, intégrale, non expurgée, dans sa version originale (ô combien !) :
Après cela, tu te tais. Tu retires l’échelle et, oui, tu fermes ta grande gueule. Les yeux également, je te conseille, mieux te laisser aller sur les ondes de la poésie.
Relis bien tout, gamin. Apprends par cœur, tu réciteras au dessert pour la première communion de ta petite sœur, ça plaira, promis ! A ton prof de français aussi, tu peux déclamer. Il reconnaîtra illico la patoune d’Hugo ! Et, à propos de couilles, moi et Victor, quelle paire on aurait fait !
Voilà, ça y est, tu t’es remis ? Je te trouve avec des couleurs. T’es moins vert. Jaune, comme toujours, mais le vert s’en est allé. Banco.
Donc, je t’annonçais que le couvercle se soulève tout seul. De quoi faire se dresser les cheveux d’Edgar Faure !
T’imagines que ça fume, que ça tic-taque ou autre ? Rien de tel, comme disait Guillaume. Toujours l’inattendu arrive. Pas si con que ça, le destin, bon ami ! Fufute en diable. Du vrai julot. Si je te fais deviner ce qui jaillit de la boîte, je te parie le beau vélo de Ravel contre un vélo de boiteux (une pédale est plus longue que l’autre) que tu mets à côté de la plaque.
Bon, on n’est pas à Lézignan, alors à quoi bon lézigner ? Je te le dis tout cru, mon pote, sans chercher à te faire languir le suce-pince, ce sont deux serpents qui s’échappent de la boîte. Deux vilains reptiles gris et feu, pas gros, mais follement actifs, nerveux. Ils se jettent hors de leur container avec une belliquosité noire ! Ah ! les bougres ! Leur vélocité, leur ardente grouillance sont telles que tu les croirais vingt !
Les dents serrées, l’échine en glace, j’achève de fermer la porte. Je regarde au plancher, pour m’assurer que ça joint bien. Heureusement, en Suisse, on place des traverses de bois sous les portes. Quand t’es pas habitué, tu te casses la gueule en butant contre, mais ça étanchéise vachement.
— Tu peux revenir ! dis-je à Marie-Marie.
La mouflette radine. Constatant ma pâleur, elle murmure :
— Alors ?
— Tu as bien fait de ne pas déballer tes chocolats, amour. Il y avait deux serpents à l’intérieur de la boîte. Tu les aurais vus bondir !
Elle ne profère pas un son, mais s’assied, les cannes fauchées par la trouille. Du menton, elle me désigne la salle de bains.
— Ils sont là, confirmé-je.
Un petit instant de silence angoissé passe sur nous comme une brise printanière sur du blé en herbe. Bibi, tu peux lui faire confiance. Il phosphore à s’en fluidifier les méninges.
Cette étrange attaque, ô combien perfide, n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, comme les soldats de Waterloo, espère !
— Attends-moi ici et surtout n’ouvre la salle de bains sous aucun prétexte, fillette !
J’esbigne dans le couloir, le suis jusqu’à son extrémité. Il s’achève par des vitraux de couleurs, dont les motifs sertis de plomb représentent un coucher de soleil sur le Léman. Cette baie donne sur la rue. Je finis par dégauchir une fêlure propice à mes desseins, y colle mon z’œil préféré et entreprends de balayer la chaussée. Je ne tarde pas à retapisser ce que mon instinct pronostiquait, c’est-à-dire, stoppée presque en face de l’hôtel, une bagnole ayant quelqu’un à son bord, qui fume, un coude passé à la portière. Il s’agit d’un homme. Mais à cause de son pare-soleil abaissé et de ma position élevée, il m’est impossible d’en savoir davantage sur lui.
Eh bien tu vois : je préfère ça. Ce qui m’horripile, moi, ce sont les temps creux, les zones d’indécision, d’attente. A présent, il se passe des choses. Et des pas banales.
Je retourne auprès de Marie-Marie.
— Ça se corse, lui dis-je. Nous allons essayer de jouer cette partie en souplesse. Tu es toujours d’accord pour participer ?
— Idiot !
Je décroche le téléphone et raconte une vanne très superbe à la taulière de l’hôtel. La chère dame compatit et promet de faire vite. Marie-Marie ouvre de grands châsses en m’entendant jacter.
— Il est indispensable que tu joues le jeu, lui dis-je.
— Compte sur moi.
Alors bon, très bien, dix minutes plus tard, l’ambulance radine avec sa sirène et sa loupiote giratoire. Les infirmiers développent un brancard pliant et montent chercher ma tendronne, laquelle gît sur son plume, raide comme barre.
Nous partons, triste cortège. Je m’installe au côté de Marie-Marie.
L’ambulancier déclenche sa sirène. A peine qu’on a tourné le coin de la rue, je lui tape sur l’épaule.
— Dans ma précipitation, je suis parti sans argent ni papiers, laissez-moi là, je vous rejoindrai en taxi.
Il obéit. Je dépose un fervent baiser sur les lèvres de l’aimée. Elle me virgule un clin d’œil complice, se retenant de ne pas pouffer.
Santonio descend de l’ambulance, la regarde s’éloigner, serre les poings.
Il est prêt.
DZETA
Certains individus commettent à mes yeux ce que j’appelle « le délit de sale gueule ».