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« Et l’autre ? » me demandé-je en aparté (si j’habitais l’Afrique du Sud, je me le dirais en apartheid). Eh bien, le second serpent est porté disparu. Je crois l’apercevoir partout, mais il est nulle part. Des picotements me parcourent toute la géographie à l’idée qu’il va peut-être jaillir et m’agresser.

Après une brève hésitance, j’écarte du pied la veste du mort (car ça y est, de profundis) et subtilise son portefeuille. D’ensuite quoi, je sors en relourdant soigneusement.

Je remets la valoche en place sur la table basse à claire-voie réservée aux bagages et m’emporte. Les détonations n’ont point été perçues pour la raison ci-dessous que la vieille dadame passe l’aspirateur dans le hall. Et son engin, crois-moi, fait autant de raffut qu’un Bréguet deux ponts.

Je saute l’énorme réacteur dont l’intestin serpente comme un boa (brrrr) et vote à la vieille ancillaire un sourire qui lui détrempe le slip malgré qu’elle n’ait plus l’âge de ses artères les mieux fréquentées.

Une fois encore, je cours droit à la bagnole du vilain plaisantin. Ça l’apprendra à offrir des trucs pareils ! La morale a eu gain de cause. Somme toute, cette affaire, c’est l’histoire du serpent qui se mord la queue !

Il avait laissé les clés au tableau de bord, bien que la chose fût formellement interdite en Helvétie et amendable. Sans doute prévoyait-il la nécessité d’une décarrade expresse, et entendait-il gagner un maxi de secondes en évitant des gestes superflus.

J’ai eu le temps de constater que la chignole est immatriculée dans le canton de Vaud, qui n’est pas un canton de veaux, mais un canton dévot. Me coule au volant. Installé, je mate le larfouillet du tueur-tué. Combien de fois ce geste, déjà ? Cette sinistre exploration ? Combien de fois ai-je ainsi plongé dans l’indiscrétion absolue ? Dur boulot que le nôtre. Il ne tolère pas la sensibilité et le moins possible l’intelligence. Par contre, il exige une forte vocation, du flair et de l’obstination. Et aussi un empire sur soi-même plus vaste que celui à Charles-Quint.

Je tombe sur un permis de conduire bleu, donc suisse, pourvu d’une photo d’identité délavée que ça représente bel et bien « mon » mort. Hans Nacht-Weiss Manager, tel est son blaze.

Poursuivant ma farfouille, je trouve un talon de mandat vert, établi au nom de Nacht-Weiss, pour un montant de douze mille francs, et expédié par une certaine Connie Vance, « Le Bout du Monde » à Bonraisin, Vaud. Un peu des douze tickets subsistent dans le portefeuille : six cent trente points pour être précis. Le reste du contenu est, à première vue, inintéressant et je vais m’abstiendre de t’égarer sur des fausses voies de communication pour le plaisir, à l’instar des polaristes d’autrefois qui s’imaginaient, les cons, qu’un labyrinthe est le plus court chemin d’un chapitre premier au mot fin.

Je dépose le portefeuille in the boxing gloves. Et c’est alors qu’on crie des « Hou hou » du plus gracieux effet. Je me détronche. C’est la taulière, à demi défenestrée (depuis le rez-de-chaussette, heureusement) et qui ponctue ses hululements de gestes forcenés, le tout à mon adresse.

« Misère, me dis-je, ces dames ont déjà découvert le cadavre de Nacht-Weiss. »

Pas faraud, j’abaisse la vitre.

— Téléphone ! me lance la dirluchette de la crèche.

C’est la Pine. Bêlantissime Pinuchet. Grumeleux, chevroteur. Affligé d’un début de rhume, les éponges ravagées par le tabagisme. Il parle du nez, pour tout simplifier.

— Ah ! je suis bien aise. On me disait que tu étais sorti ! Je…

— Dis l’essentiel, je transcrirai en Pinaud moderne tout de suite après, César.

— Il s’agit, tu t’en doutes, de…

— Je m’en doute parfaitement, alors ?

— Eh bien, ce Mamandhréou est mort hier après-midi d’une crise cardiaque à son domicile.

J’enregistre la nouvelle avec un sang-froid polaire.

— Voyez-vous ça !

— Ses funérailles auront lieu demain, dois-je envoyer des fleurs de ta part ?

— Oui, ricané-je : des soucis. Téléphone au Vieux pour lui signaler ce décès et dis-lui qu’on s’assure si cette crise cardiaque est naturelle ou bien consécutive à une morsure de serpent, d’ac ?

— Une morsure de serpent dans le Seizième ! récrie Baderne-Baderne.

— Les reptiles du Seizième sont les plus vénéneux, Pinuche. Au fait, quelles étaient les activités de ce pauvre homme ?

Et le Débris de déclarer dans un éternuement :

— Il était tailleur.

ETA (sœur ?)

En repassant la porte, j’entends la taulière lancer à la vieillarde aspiratrice :

— Marthe, puisque M. le commissaire va à l’hôpital prendre des nouvelles de sa nièce, profitez-en pour aller faire sa chambre !

Bloing !

La salive que j’avale à grand-peine a un goût d’écorce de noix.

Sur le trottoir j’hésite. Marie-Marie doit commencer à trouver le temps long avec ses ambulanciers. Pourtant, la sachant démerde, je ne me tourmente pas trop pour elle. A présent, je suis lancé et un San-Antonio propulsé de la sorte ne saurait dévier sa trajectoire.

Sans hésiter je grimpe dans l’auto de Nacht-Weiss et dégage une carte de Suisse fichée dans le vide-poches de la portière gauche.

Entre autres dons nombreux, que dis-je : innombrables, j’ai celui de repérer un nom imprimé dans un fourmillement de texte. Il me gicle dans la vue comme de la limaille sur les branches d’un aimant.

Le temps de délimiter le canton de Vaud, celui de le balayer d’un regard captateur et, poum ! La localité de Bonraisin est à moi, blottie dans une anse du Léman, presque à mi-chemin de Genève-Lausanne.

Solides maisons aux toits massifs et plongeants, agrémentées de volets à chevrons. Une fontaine à quatre jets, au milieu d’une placette. Une église paisible, des boutiques où l’on ne vend que des produits de first quality… Tout ça. La Suisse, quoi ! La Suisse douillette et sûre, fleurie, où même les oiseaux ont l’accent vaudois dans les arbres encore dépouillés. Et puis le lac immense, gris acier, avec des ourlets d’écume blanche et des traînées de soleil d’un rose qui n’ose pas dire son nom. Un petit port où jacasse un troupeau de bateaux presque immobiles, tandis que des filins claquent des dents le long des mâtures.

Je respire un grand coup après être descendu de bagnole. Le pavé bien uni est solide sous mes semelles. Il fait tendre et calme…

J’ai stoppé devant le bureau de poste dont le panonceau jaune, frappé de la croix helvétique, paraît absolument neuf.

A l’intérieur, un vieillard chenu, blanc et tremblant, touche un mandat de cent-nonante francs septante avec une expression de grande félicité.

La postière est jeune, blondine, agréable, avec un gentil regard plein d’attente confiante.

Quand le vieux a remisé ses talbins dans un morlingue plus râpé que la peau de ses vieilles couilles, je me penche dans l’encadrement du guichet. Je tiens le talon du mandat trouvé sur Nacht-Weiss.

— Jolie demoiselle, dis-je à la préposée au cor de chasse[5], je suis l’agent général de la Maison Brand-Lheite chargé d’effectuer une petite enquête de routine sur l’une des habitantes de ce délicieux pays, laquelle se propose d’acquérir notre fameuse machine Z × 34. Vous n’ignorez pas — ou alors c’est que vous faites semblant — que le Z × 34 sert à dénoyauter les cerises à l’eau-de-vie et à transformer l’amande dudit noyau en énergie spodio-verticulère. Il est évident qu’un appareil de ce type n’est pas à mettre entre toutes les mains et que la Brand-Lheite Corporation Limited se préoccupe toujours d’en savoir plus et mieux sur ceux qui envisagent de l’acheter. En votre qualité de postière assermentée, vous nous paraissez particulièrement indiquée pour nous fournir les éléments de notre enquête. J’ajoute que la Brand-Lheite Compagnie n’est pas une ingrate et que pour vous témoigner sa reconnaissance, elle se fera un plaisir de vous adresser, sous trente jours, soit une cuillère géante, à dents, pouvant servir de fourchette, soit une boîte de Tampax à ressort, soit encore, ce qui fait presque double emploi, une photographie en couleur éponge de Michel Sardou dédicacée par l’un de ses beaux-frères.

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5

Emblème des pététés suisses.