Pour ma part, je n’ai rien à branquiller de cette histoire, me trouvant là par pur transit pour rejoindre une friponne de la Haute en son chalet de Megève. Isa Monal ne ressemble pas à la Joconde, comme son état civil le suggérerait si, à l’instar de connards pour qui un prénom n’est que complémentaire, on écrivait son nom de baptême à la suite de son patronyme. Rien ne me porte plus aux testicules et à tous les centres nerveux que ces gus qui s’annoncent en clamant : Dupont Joseph comme ils le faisaient à l’école ou à l’armée. Dans la vie, il existe pour moi, les Dupont Joseph (très proches des Ducon Lajoie, et les Joseph Dupont (gens de bonne compagnie) car, sous mes dehors vigoureux, je suis un individu tout en nuances. Et puis voilà ce que je voulais te causer en passant.
Donc, Isa Monal est une nana plus que belle, plus que riche et de surcroît, Rocroi et Maurois, archisalope épiscopale. Enthousiasmée par mes techniques amoureuses (la brochure est en vente dans toutes les bonnes pharmacies) elle a insisté pour que nous passions un véquende de passion dans les neiges hautes-savoyardes.
Et bon, je suis là pour ça et cette mistoune m’attend dans le hall d’entrée, côté bar. Je la vois malgré la brillance de la vitre qui m’adresse de jolis petits cygnes, féerique dans sa blondeur et son ensemble de fourrure mousseuse, y compris la toque, façon fée des neiges, Russie des czars, Maria Zobdelaine, formide very. De la personne duraille à charrier en public. Faut les épaules et la frite ad hoc pour driver ce morceau dans la mer des concupiscences, subir l’envie des matous, la férocité des rombières. Déambuler avec ce sujet au bras est aussi téméraire que de se pointer à la Schweizerische Nationalbank de Berne en brandissant un drapeau soviétique.
Je lui réponds d’un grand geste chaleureux, prometteur en plein, qui l’assure que j’arrive avec de bonnes intentions plein la braguette et des idées comme il n’en a probablement jamais germé dans le crâne de saint François d’Assise, encore qu’il ait fait le con en sa jeunesse.
Les bagages se remettent à dégouliner de l’étage supérieur. Les gens se réaffairent, d’autant qu’on ne peut plus voir le défunt.
Moi, ayant de la Suisse dans les idées, je réaborde le médecin qui fit preuve d’un certain bénévolat et je lui montre ma carte de police.
— De quoi ce type est-il mort, docteur ?
Il considère ma brème, la caresse pour s’assurer comme elle est bien plastifiée et répond :
— D’une crise cardiaque, vous pensez bien.
Là-dessus, il fait un plaquage impec sur une grosse valoche de cuir noir. Et, précisément, la mienne se pointe aussi, toute dodelinante, comme une cane qui emmène ses canetons à la mare. Je m’en saisis. Douane. Les gapians laissent sortir sans s’occuper de rien, trop passionnés qu’ils sont par le décès subit de ce pauvre Demüller, un si gentil garçon.
Le parfum ébouriffant de la môme Isa m’assaille… Merde, attends, je m’aperçois que dans « Baise-Bail à la Baule », une de mes zéros in s’appelait Isa.
Isa Bodebave, et elle habitait Hyères ; tu mords l’astuce, frisé ? Bon, alors attends, faut que je vais débaptiser celle-ci avant que tu t’habitues. Qu’est-ce t’aimes comme blaze, mon vieil enzyme glouton ? Michèle ? Martine ? Emilie ? Trop simple, hein ? Cette gosse en question, il lui faut du prénom de vanneuse, surchoix, dans le style « vos bites ont un goût ». Un truc comme Barbara, ou bien Sandra, Bérangère, voire Marie-Laure. Quoique, à vrai dire, je vais pas m’en servir chouchouille de cette frangine. Elle est juste épisodique, épidermique, hypodermique ; pour baiser tout de suite, non pour emporter. Inutile de se mettre en frais. Alors je lui laisse Isa et je l’appellerai le moins possible, d’ailleurs on ne cause pas la bouche pleine.
Je reprends aussi sec, en m’excusant pour l’intervention qui intempeste, Votre Honneur. Le parfum de la môme Isa m’assaille. Je hais les parfums. Suis trop soucieux de mon sens olfactif pour le laisser agresser délibérément par des odeurs fabriquées. Une odeur, ça doit rester naturel, toujours. Préparer des senteurs dans un flacon, c’est comme si on te vendait des plumes d’autruche ou de je ne sais quoi pour te caresser le dessous des bras et des burnes. Artificiel, tu piges ? L’artifice, c’est toujours dégradant. Quand je traverse Grasse, j’aime l’odeur des beignets et du pastaga, pas celles des parfums. Une odeur a un parfum, mais un parfum est sans odeur. Je prétends, dis et crois. Et merde si pas d’accord. On poursuit ? Allez, viens !
Je me retiens de respirer pour lui tirer une menteuse caméléonesque. Les poils de sa toque me chatouillent les trous de nez. Brusquement, mon appétit d’elle se barre comme rosée au soleil. Je me demande l’idée grenue qui m’a pris d’accepter son invitance, cette conne. Pourquoi baisé-je si volontiers dans la Bourgeoisie, moi qui me crois et me veux social ? Mon goût du luxe me perdra, fatal. Je suis trop porté sur. Je méprise les richesses mais me goinfre de ce qu’elles permettent. C’est paradoxal, un bipède ! Pour s’y retrouver, faut surtout pas chercher à comprendre.
La gosse me gazouille des trucs machins, comme quoi la route est dégueulasse, pas joyce, et qu’on fera mieux de pieuter à Genève biscotte y a pas de chaînes à son carrosse, juste des pneus neige insuffisants. Pour ici, l’hiver, faut de la traction avant. Sa tire bolideuse est traction arrière. Puissante mais pas montagnarde. Alors, bon, on va se zoner à l’Intersidéral. D’ensuite de quoi, elle m’annonce, tout de go, que son chalet, contrairement à ce qui avait été prévu, est plein de connards : Mathieu, Hervé, Joachim, Bastien, Amanda, Mauve, Pénélope et Gaston. Des très chers qui, la sachant « aux neiges », s’y sont rués de même. Y a des pédoques, des couples mariés, des branleuses en indécision sexuelle, un vrai méli-mélodrame ! Pauvre de moi ! En fait, je pige qu’elle a voulu montrer la bête, exhiber le matou qui la lonche superbement, cette vaniteuse.
On va récupérer sa Porsche (épique) au parqueen (vive la reine).
Elle me demande la raison du remue-ménage qu’elle a vaguement distingué dans le hall des bagages. Je lui bonnis. Le manutentionnaire foudroyé par une crise cardingue (Béru dixit) pendant qu’il plaçait ses colibars sur le tapis, et son cadavre qui nous arrive, tout chaud, tout pimpant, saisissante image !
Ça la passionne. Elle regrette d’avoir loupé ça, s’excite. Je sais que l’incident lui appartient déjà et qu’elle le narrera elle-même, demain, à ses oisifs, en grande abondance de détails, que ça croustille bien. Le bagagiste devient « son » mort à elle. Elle est toute vigourette de la chose. Me caresse la cuisse en pilotant comme une sauvage, par grandes branlées idiotes : accélérateur, frein ! Merde, faut pas voyager avec une marmite de soupe au lard sur les genoux quand elle est au volant.
On passe une nuit agitée (avant de s’en servir) à l’hôtel, après avoir tutoyé une bouteille de champ’ (j’adore la clé des champ’s). Les voisins s’en souviendront. Ils ont beau insonoriser dans les palaces, des bramances comme miss Isa, pardon ! Y a pas de laine de verre qui résiste. C’est une narrative, dans l’extase. Une qui raconte à l’univers ce qu’on lui fait, comment on le lui fait, et les impressions enrichissantes qu’elle en retire ! Le tout entrecoupé de cris superbes et généreux, d’appels sémantiques, de vociférations maraîchères. Elle avait une vocation de radio-reporter à exploiter, la mère. Le bon Couderc aux Cinq Nations, quand il décrit la montée à l’essai, c’est du chuchotis de jeune fille pubère se masturbant devant sa glace en s’appelant Jérôme en comparaison. Oh ! pardon ! Et elle cause de moi à la troisième personne, s’il te vous plaît. Elle dit « Il me déguste en me coïncidant le médius dans l’œil de bronze » ; ou bien « Il mord mes seins, le sale salaud ! » Et encore des trucs, franchement, que j’oserais jamais rapporter ici qui est une littérature bon enfant, pour tous les publics, toutes les cultures, tous les âges. Panachiée universelle, Sana ! Le seul, cite-m’en d’autres ? Ah ! Tu vois !