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— Miss Vance va venir, lui dis-je : surtout pas un mot sur notre conversation, je compte sur vous ?

Elle reste indécise, on devine qu’un prodigieux mécanisme se met en branle dans sa ravissante tête linottière.

— C’est quoi, ces cent francs ? elle interroge à intelligible voix.

— Pour vous, baby !

— Comment ça, pour moi ?

— Gardez, gardez !

Je m’esbigne en précipitance.

Ouf ! Le temps de rallier la voiture et la môme Connie quitte la pharmacerie pour traverser la rue.

Elle disparaît dans le bureau de poste. Je branche ma radio, sachant que, vu l’affluence du soir, elle en aura pour un bout de temps.

La musique m’enveloppe dans du gazeux. Soudain, je sursaille : merde ! Et Béru qui va se pointer !

Fissa, je retourne à l’auberge de Commune où la grosse patronne raconte à ses clients qu’elle hébergeait deux vers solitaires (et solidaires). A quoi, me pointant inopinément, je me permets de lui faire valoir qu’étant deux, ces vilains galopins n’étaient donc plus solitaires. Humour facile, affligeant même, mais il convient de faire avec ce qui te tombe sous la main ; les occasions de s’esbaudir sont rares, et t’as pas tous les jours un discours de Canuet à disposition[7].

La tenancière s’abstient de rire. J’en profite pour lui dire qu’un ami à moi va viendre : un très gros, un soiffard, et qu’elle lui recommande de m’attendre inexorablement. Qu’il mange ici, qu’il y dorme à la rigueur. Cet être de rêve se nomme Bérurier : Bébé Ruru Yiéyié, impossible d’oublier. Vu ? Oui ? Bon !

Je repars.

Elle éclate alors de rire.

Je me retourne, croyant que mon pantalon s’est fendu en deux. Mais elle me rassure.

— C’est à propos de mes vers solitaires, dit-elle, c’est vrai que si ils sont deux ils ne sont pas solitaires.

Je lui demande si elle n’est pas native de l’Appenzell, et elle me répond que oui ; donc tout va bien.

Connie Vance réapparaît.

Elle vient à ma guinde.

— Bon, vous n’aurez qu’à me suivre, dit-elle ; ma voiture, c’est la petite Mini jaune que vous apercevez dans le parking de la Migro.

Elle ajoute en déposant un billet bleu sur mes genoux :

— La postière ne sait pas pourquoi vous lui avez donné cent francs et m’a priée de vous les rendre.

Elle s’éloigne tandis que je réunis toute mon énergie pour tenter d’avaler ma salive.

THETA (nos)

Elle emprunte un ravissant chemin sinueux qui se dirige sans se presser vers le lac. La tache jaune de la Mini fait joyeux dans ce paysage de fin d’hiver, un peu comme une promesse de soleil, tu vois ? Si tu ne vois pas, va te faire foutre car les non-poètes m’emmerdent.

Tout en admirant la nature bien verte, les jolies maisons cossues, les haies vives bien taillées, je me demande ce que pense Connie Vance après la maladresse de cette postière qui, n’étant pas à vendre, est donc à louer bien fort.

Je récapitule son expression, quand elle m’a virgulé le bifton. Ironie ? Pas la moindre. Interrogation muette ? Que nenni ! Elle est restée naturelle, tout comme s’il s’agissait d’un très banal incident. Un peu comme on court après quelqu’un pour lui remettre le pébroque qu’il vient d’oublier. Je décide d’adopter la même attitude relaxe et de ne pas en faire un fromage. On se fourvoie à trop vouloir expliquer les choses (surtout quand elles sont inexplicables).

Si elle cherche à en savoir davantage, je serai toujours à même de lui fournir une belle inventerie sur mesure, ultra crédible.

L’un suivant la chère autre, nous parcourons un kilomètre cent vingt-cinq environ et nous nous pointons dans une superbe propriété que, pardon du peu, je voudrais que tu visses cela de tes yeux voir !

Le parc est planté d’arbres gigantesques : pins rupins, chênes glandeur nature, prostatiers géants, etc. Il descend en pente molle jusqu’au lac et l’on distingue un petit port cerné d’ajoncs, avec des batiaux, cré bon gu, à mâts et à moteur, une grue pour les retirer de la baille (ou pour les y mettre, le cas échéant), un ponton à mousson et des bittes qui feraient la pige au Gros, tout bien.

Posée sur une fabuleuse pelouse agrémentée de rosiers, figure-toi une très vaste demeure, pimpante, dans les tons ocre rosé, avec un toit de tuiles brunes recelant l’étage, donc coupé de chiens assis sans collier. Il y a des dépendances du même style : garages, barbecul, maison de personnel.

Un vaste parkinge dallé cerné de plantations pour le dissimuler aux regards provenant de la masure nous capte. Connie va y déposer sa tire. Je place celle de Nacht-Weiss dans la travée voisine. Descends, tout sourires. Ici, c’est presque un peu le printemps parce que les zoziaux babillent et qu’on découvre les premières primevères au bord des haies.

— Pas mal, la crèche ! apprécié-je en connaisseur.

Je suis prêt à te parier une tranche de pastèque contre une tranche de vie que c’est pas avec un traitement de diplomate qu’on peut s’offrir une masure de ce standinge.

Connie prend son petit paxif pharmaceutique et me guide vers l’entrée. Un larbin en veste rouge gansée noire fourbit les cuivres de la rampe en fredonnant juste du nez un machin nostalgique.

Depuis le hall, par une double porte vitrée, on aperçoit une piscine dessinée par un king de l’architecture car elle est pisciforme, et ça, faut le faire. Au-delà, après une étendue gazonneuse, c’est le tout beau et magistral Léman, plein d’eau, avec en prime celles du Rhône qui ne fait que passer, et, de l’autre côté, une rive moins bien ratissée, exception faite des clients peuplant ses casinos.

— Féerique ! fais-je, sincère.

Le grand salon qui s’interpose est de grand apparat ; moderne, avec des peintures abstraites et des canapés entre les coussins desquels on doit retrouver des cadavres de vieillards qui n’ont pu s’en arracher après s’y être enlisés un soir de réception.

— Venez par ici, me dit Connie Vance.

Je continue de lui filer le train (et quel train, seigneur ! Celui des équipages n’est qu’un teuf-teuf en comparaison). Je te mets au défi, un cul pareil qui se déplace devant toi, de pouvoir regarder ailleurs, quand bien même il y aurait sur le passage Paul Nouilleman, l’arène Fabiola, les princes Consort, ceux qu’on rentre et le bon Marchais.

Elle me longe un couloir tout blanc, avec des gravures anciennes aux murs. Pousse une porte. Que me voici-voilà dans une petite pièce fraîche, sur la table chinoise de laquelle trône un fabuleux bouquet de fleurs dont le coût t’assurerait huit jours de vacances en Sardaigne toutes fraises payées. Une délicate bibliothèque de style Pédoque, en citronnier du Canada, héberge des ouvrages multilangues.

— Que désirez-vous boire ? demande l’agréable secrétaire.

— Vos yeux, tu penses bien que je me grouille de lui répondre, qu’on ne sait jamais : une petite baise vite fait sur le pouce, ça n’a jamais empêché un tuberculeux de tousser, hein ?

Mais elle ne fait pas un sort à ma réplique et propose :

— Whisky ?

— Pourquoi pas ?

Je prends place dans un fauteuil aux bras arachnéens, en priant saint Christophe, patron des accidents, pour qu’il me subisse sans faiblir. Et le siège m’accueille. J’empare un numéro de Connaissance des Arts qui passait à ma portée.

Très bien, me dis-je, en feuilletant la prestigieuse revue, je suis dans la place. Et alors ? Vais-je attendre le retour de Konopoulos ? Ça donnera quoi ? En me reconnaissant, il me virera comme un malpropre. « Encore vous ! » J’aurai beau lui parler d’Hans Nacht-Weiss, il le prendra de haut, me traitera de fabulateur et de paltoquet. Ma parole contre celle d’un diplomate, en pays étranger surtout, ne pèsera pas lourdoche.

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7

Je charrie comme ça M. Canuet, mais faut pas qu’y croive que je lui en veule ; ni non plus qu’il n’y a que lui qui me fait rigoler. Avec Coluche aussi je me fends la gueule ; et de Funès, tout ça, Jimmy Carter, la reine d’Angleterre, Dieu merci, les comiques ne manquent pas.