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Et ses petits ciseaux, maniés par ses petits doigts de philosophe fiévreux, s’activent à découdre : mais la doublure ne dissimule rien de particulier.

Bérurier, pendant ce temps, s’adonne à des supputations d’un tout autre ordre. Il ne pense qu’à moi, l’Exquis poussah, qu’à la vilaine bombe sparadrée sur mon torse non moins bombé.

— Ecoute, ronchonne-t-il, j’sus certain qu’l’gars Mathias, qu’a du chou, saurait déshameçonner c’t’engin, Mec.

Je branle ce que tu sais et réponds :

— S’il s’y risque et commet la moindre erreur, nous volerons en éclats répugnants, lui et moi, Grosse Pomme. Je dois le considérer comme une sorte de suprême recours, pour le cas où les autres me feraient faux bond.

— Alors, ton plan ?

— Suivre leurs directives à la lettre. De toute évidence, nous sommes au seuil d’un énorme patacaisse, l’invasion des serpents l’indique ; il est bon de connaître les intentions de la clique à Konopoulos.

— Tu fais quoi ?

— Primo, je veux récupérer Marie-Marie dont le silence prolongé m’inquiète ; secundo, nous allons retourner à Paris. Je raconterai le topo au Vieux, lequel en référera à son ministre qui transmettra aux instances suprêmes. Si le Président et son état-major décident d’écouter le fameux message, j’irai le leur lire. Dans le cas contraire, je m’en remettrai aux artificiers de chez nous et que Dieu me garde !

Sa Majesté réfléchit.

Superbe spécimen de bipède. Il violit de semaine en semaine, l’Apôtre. Se veinule, se fistule, s’arrondit. Ses vêtements cèdent à la poussée profonde de la viande en surdéveloppement. Malheur aux coutures ! Sus aux boutons ! L’obésité le déshabille lentement et, tels certains arbres dont l’écorce ne suit pas la croissance, il éclate d’un peu partout et sa graisse triomphante s’affirme en grande apothéose. Maintenant, ses yeux ressemblent à deux rubis dans des écrins de velours rose. Son cheveu raréfié reste collé au front de taureau par la sueur inétanchable de ceux que l’embonpoint met à l’épreuve. Ses silences sont hachés de rots, ses méditations ponctuées de pets. Sa vie est une longue mangeoire à laquelle il s’alimente en permanence.

Mais derrière cette graisse, par-delà cette violinerie, il reste imperturbablement un bon gros pote plus con qu’un autre, sans doute, mais moins bête que n’importe qui. Un être de jugeote, un madré, un décisif aux ruades toujours rechargées.

Le regarder, l’écouter penser est aussi beau que de regarder se lever le soleil ou monter la marée. Bruit léger des sarments à bout de combustion, dans l’âtre. D’étranges lueurs traversent ses prunelles pour robots satanesques de films sciencefictionnistes.

— Moi, déclare-t-il, une fois en bout de piste, moi, j’vas rester z’ici, gars.

— Pourquoi fiche ?

— J’sais pas z’encore, mais mon instincte m’bonnit comme quoi c’est dans c’bled et pas t’ailleurs que s’trouve la sotuce, mon pote. Fais à ton idée, j’ferai t’à la mienne. Si t’aurais b’soin d’moi, prends le tubophone de c’te crèche et laisse-moi-z’y un message, le casier chéant.

Sur ces entrefesses, la patronne monte m’annoncer qu’on me mande audit qui vient d’être évoqué.

— V’ savez qu’v’s’êtes tout ce qu’y a de choucarde dans vot’ genre, la mère, lui rupine le Gros, toujours galantin à cette heure-là. Avec vos loloches façon Dunlopillo et vos p’tits fripons d’vers seulâbres qui vous taquinent l’intestin, j’vous f’rais volontiers visiter ma garçonnière. Ma camarade Zézette s’ferait une joie d’aller à leur rencontre, aux gentils téniasses.

Je le laisse madrigaler à loisir et dévale jusqu’au bignof. Comme je le prévoyais, c’est mon pote Adoretti qui, déjà, m’affranchit.

Un tout brave, ce gus. Du fond de sa grippe à 39°5, il débroussaille mes problos.

Il attaque bille en tête :

— Tu as rudement bien fait de m’appeler, à propos du Grec, tu allais mettre la main dans un fameux nid de frelons.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire rien du tout, mon vieux. Laisse tomber ! Ce diplomate est intouchable. Si tu lui cherches des noises, c’est toi qui auras des ennuis.

— J’en ai déjà.

— Ce qui te prouve qu’il est temps de stopper et de faire marche arrière.

— Il est trop tard.

— Jamais. D’après les réactions que j’ai recueillies en haut lieu, il vaut mieux que tu rentres dare-dare à Paris retrouver les jolies mademoiselles des Champs-Elysées. Oublie ton Grec et ce sera tiptop.

— Qui te dit que lui, veuille m’oublier, Georgio ?

Un silence. Il le rompt pour tousser un bon coup.

— Seigneur, qu’est-ce que tu es venu manigancer !

— Les manigances, c’est lui, ne confonds pas.

— Peu importe, Konopoulos bénéficie d’un statut spécial qui dépasse de loin les conventions diplomatiques.

Cette fois je m’emporte.

— Ecoute, Georges, je veux bien que ton thermomètre devienne incandescent quand tu te le carres dans l’oigne, mais tu peux néanmoins garder la tête froide, non ?

— Pourquoi ?

— Parce que je voudrais que tu me répondes à la question suivante : si je suis en mesure de prouver que le Grec trempe dans l’affaire des serpents, qu’il est un assassin, qu’il fait partie d’une gigantesque organisation terroriste, etc., etc., crois-tu que tes collègues continueront à le considérer comme Henri Dunant, glorieux fondateur de la Croix-Rouge (1828–1910) ?

Le silence qui succède n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale. C’est du silence très costaud, qu’on entend, en quelque short.

Georges Adoretti doit commencer à regretter notre rencontre aux U.S.A. de même que le « chmolitz » qui en consécuta[10]

Il soupire à m’en fêler le tympan.

— Ecoute, San-t’Antonio (car comme beaucoup, voire même comme la plupart, il se croit obligé de foutre un « t » de liaison à mon pauvre San qui ne fait qu’un tour). Ecoute-moi bien : je connais mes collègues. Eux autres, c’est presque comme à votre Paris-Match : le poids des mots, le choc des silences. Je leur ai transmis tes insinuations et ils m’ont répondu que tu les emmerdais, c’est clair, non ? Ils m’ont chargé de te dire que si tu continuais à t’intéresser à ce Grec, tu risquais les pires ennuis et qu’ils ne permettraient pas que tu ramènes ta grande gueule dans leurs propres affaires. J’ai tenté de te traduire ça en termes plus mesurés, mais puisqu’il faut te mettre les poings sur les ouïes, je te répète in extenso leurs paroles. Criminel ou pas, Konopoulos est tabou. Ça durera ce que ça durera ; ça cache ce que ça doit cacher, mais de toute manière, tu es prié de dégager le terrain, point à la ligne ; qu’y a-t-il à rajouter ?

— Rien, admets-je. Je te souhaite beaucoup de pénicilline, Georgio. Du fond de ton terrier, lis les journaux, et si tu apprends que ce sale con de San Tantonio a été déguisé en rillettes de la Sarthe, présente ses compliments posthumes à tes chers collègues.

Là-dessus je raccroche vilainement : ploum paf !

* * *

— Béru n’est pas là ? demandé-je à Félix.

Le Prof me désigne la chambre voisine d’où parvient un bruit lancinant de scie à métaux en action.

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10

En Suisse « faire chmolitz » consiste, pour deux compagnons de table, à vider chacun son verre, le bras passé dans la boucle formée par le bras de l’autre. A compter de cet instant, ils se tutoient jusqu’à la fin de leurs jours.