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Notre fougue donne l’exemple. Les réveillés se mettent à l’établi. Ça jodle dans tout l’étage (je devrais dire tout laitage vu que nous sommes en Suisse). Jodler, c’est chanter en tyrolienne, je t’informe pour combattre ton analphabêtise.

Cela dit, nous avons des voisins de bonne tenue qui se contentent de soupirs, de plaintes, voire accessoirement d’appeler leur chère maman au moment suprême ; pas du tout la gueulerie intense à Isa. Ni sa matière commenteuse, comme quoi on lui bricole le dito de telle ou telle manière, l’indiscrète. Elle, la pudeur connaît pas ! Mon fade et point à la ligne. Je jouis, donc j’essuie. Chacun sa manière. La sienne est caractéristique des snobinardes qui se croivent tout permis. Tu les entends bramer, técolle, les bouquetières violées ? Et les petites ouvrières d’usine qui se font embroquer à cru, le samedi soir sur des capots de R 4, hein, franchement ? Elles rameutent, ces demoiselles de basse extradition (toujours selon Béru) ? Non, mon pote. Quel exemple ! Elles, c’est la réserve. L’enfilade silencieuse, à la va-vite, pressi-pressé : fonce Alphonse ! Qu’à peine on pose la culotte. J’en sais qui l’écartent au risque de sectionner le Popaul à son calceur. Le pied ? Une autrefois ! T’as des humbles jeunes filles roturières qui se font mettre sans seulement s’en apercevoir. Juste une glissade furtive.

Le dépôt du guerrier. Tu peux toujours courir pour qu’elles entonnent le chant de départ ! Leur faire n’importe quoi d’intense, d’extrêmement sensoriel : mon zob, oui ! Pudiques. Dents crochetées ! On subit héroïquement la charge à Milou. Alors que là, t’as cette polka pleine de Porsche et d’hermine, dans une suite de Grand Hôtel sélect (et suisse, donc deux fois sélect) qui égosille son plaisir aux quatre vents ; sans rien cacher de ce qui se passe, s’enfile, se dit, se promulgue, divulgue, s’inculque, s’encloque. Tout : la taille, la couleur, le débit ! Je serais pas son partenaire, je rougirais d’entendre une goualante pareille.

Mais enfin je ne peux pas être juge et parties, hein ?

Alors quoi, je vis l’instant. De mon mieux, de mon pieu, de mon Dieu, de mon fieu, de mon cieux (le 7e). Ouf !

Elle est très contente. Vannée, mais heureuse. Y a de quoi. Bravo, Sanantonio, ça c’est de l’éblouissement ! Je lui gnagnate des conneries, dans ses creux et encoignures, après quoi, on fout la paix aux gens de l’étage pour plonger dans le sirop de dorme.

C’est la zizique qui m’arrache.

Ma féerique est déjà debout. Je l’entends ablutionner dans la salle d’eau. Elle fredonne un machin Disco très reluisant en se mitougnant les voies sur berge. A cru bon de brancher la radio avant de s’aller fourbir le fourbi, sans doute pour que je m’éveille dans de poétiques dispositions chibresques.

Et alors, selon son dispositif diabolique, je me réveille fectivement, nanti d’une colonne qui pourrait servir de relais-télé. Je paresse dans nos moiteurs. Il fait doux et bestial. Des idées de café fort et de croissants chauds me cavalent par la tête. Ensuite je ferai rebelote à Mademoiselle. Le Tagada-veux-tu du morninge est irremplaçable pour le mâle. La femelle, plus cérébrale, est moins partante parce que pas encore au mieux de son dispositif gambergeur. La mi-conscience convient au gonzier, alors qu’elle neutralise la gonzesse. Et puis c’est ainsi et long nid peut rien ; poum !

Donc j’ai le cerveau qui flâne dans les langueurs, tout en se laissant molo investir par la zizique. Et puis la rémoulade cesse et on annonce comme quoi ça va être les informes. Radio Suisse-Romande. La vérité, rien que la vérité. Analytiques, les Suisses, toujours. Faut pas leur refiler du colin en leur assurant que c’est de l’omble chevalier. Une situasse, internationale ou autre, ils l’examinent, et puis disent comment qu’elle est, et elle est bien telle qu’ils la disent. Montre suisse : Piaget, Vacheron, Patek ! A la milli-seconde ! L’heure c’est l’heure. Y en a qu’une, d’heure. La réalité aussi, y en a qu’une.

Bon, le spiqueur se met à causer des événements mondiaux, ultrêmement merdiques, inquiétants à plus pouvoir, qu’on sent bien rôder la guerre, et que plus ça va, plus la voilà qui se pointe, croulante de mortelle quincaille, la gueuse qui déjà se languit de nous autres, nous guigne, convoite. Nous choisit à la dérobée.

Et, sitôt après son commentaire, le microteur qui a une belle voix grave, à peine teintée d’accent vaudois, déclare qu’il s’en est passé une pas ordinaire, hier soir, à l’aéroport de Cointrin (de voyageurs). Un manutentionnaire préposé à la livraison des bagages est mort pendant son travail, foudroyé par, tenez-vous bien : une morsure de serpent !

Un qui sursaute en sa couche de voluptés, c’est l’Antonio, je te prie ! Deux ronds de flan ! Morsure de serpent, non, je te jure…

Mais, selon ce que déclare le spiqueur, c’est rigoureusement prouvé. Ophidien super-venimeux des régions tropicales. On suppose que la bestiole se trouvait dans l’un des bagages manipulés par le pauvre bonhomme et qu’il a réussi à se faire la… malle. Des recherches ont lieu dans le hall de déchargement pour retrouver le reptile. Le professeur Rabacheur, de la Faculté des sérums antivenimeux de Châtel-Saint-Denis, est attendu pour tenter de déterminer, d’après une molécule de venin prélevée dans la minuscule plaie au doigt, l’origine exacte du reptile.

Une enquête est ouverte afin de savoir quels des passagers du vol Paris-Genève arrivaient d’un pays tropical. Là-dessus, on passe à des résultats sportifs et j’ai le plaisir d’apprendre que Xamax a écrasé Andoven par 43 buts à 0 ! Ayant, mentalement, applaudi à cette victoire, je fais un effort pour éteindre le poste et fermer la radio à la tête du pucier. Qu’ensuite, je repique la face dans l’oreiller. Mes pensées m’emportent. Très loin, très haut… Je revois des bagages en chute molle sur le dérouloir : attaché-case rouge, valise Vuiton… Lequel recelait un serpent ? Drôle de passager clandestin. Et encore une autre séquence de gamberge : les bagages ont voyagé dans la soute. Quelle température règne dans une soute d’avion ? Celle-ci est-elle compatible avec les conditions d’existence d’un reptile tropical ? J’en doute…

Là-dessus, ma potesse sort de la salle de bains, joyeuse et sentant bon. Me jugeant toujours endormi, elle retarde le moment de me réveiller pour passer un coup de turlu à son chalet de Megève. Elle donne des instructions à une domestique, comme quoi il va falloir prévenir Mathieu, Bérénice, Paola et les autres que nous arriverons pour le déjeuner. Et qu’on va faire une caviar-party, et encore, leur préciser que je suis un gars sensas, la vraie épée au dodo, et bourré d’esprit jusqu’aux oreilles.

J’écoute dans la nuit précaire de l’oreiller.

Mes sentiments s’organisent, se transforment en projets, puis en décisions.

Isa raccroche. Elle coule sa main sous le drap pour venir me changer de vitesse. Elle hait les embrayages automatiques. Bon, me voici en première. Et bientôt en prise.

Je me mets sur le dos pour ne pas me casser et lui faciliter la manœuvre.

— Paresseux, roucoule l’adorable créature, que prends-tu au petit déjeuner ?

— Une choucroute avec du sucre en poudre et du café fort, je lui rétorque.

Elle cesse de me composer le numéro des urgences sur la membrane tâtonnante pour faire celui du room-service et réclamer un thé et un café complets.

— Il ne faudra pas trop tarder si nous voulons arriver pour le déjeuner, m’annonce-t-elle.