— Il répète une union franco-helvétique avec la tenancière, m’explique ce délicat lettré. Cela a débuté par quelques madrigaux de bistrot, s’est poursuivi par des papouilles de soudard, en fin de quoi, pour la convaincre de la sincérité de ses sentiments, il lui a produit un sexe de belle venue, que j’aurais pu cependant ridiculiser en imposant la comparaison avec le mien, la nature s’étant montrée d’une générosité extravagante envers moi ; mais je sais être fair play avec les amis. Or, ce Bérurier, vaille que vaille, en devient un pour moi. Son ingénuité, ses élans, le regard qu’il pose sur vous, finissent par entraîner l’adhésion sans réserve. On peut tout lui demander parce qu’on le sent capable de tout donner : de sa chaussette la plus trouée à ses économies, en passant par sa femme.
Il se tait, hoche la tête.
— J’étais sur les rives de la neurasthénie, mon cher, mais depuis que je l’ai retrouvé, l’existence reprend des couleurs, je cesse de la voir en noir et blanc. Pour en revenir à ce costume géant qui m’intrigue si fort…
— Eh bien ?
— Il m’est venu une idée. Elle ne vaut peut-être pas tripette, pourtant je vous la soumets. Il n’est qu’une façon de connaître la destination de ces vêtements : c’est de les remettre à celui qui les attendait. Auparavant, il conviendrait de coudre dans une épaulette de la veste l’un de ces minuscules « bip bip » qui ont assuré la fortune des James Bond.
— Génial ! conviens-je. Vous n’avez pas que le pénis qui soit surdimensionné, Félix, votre cerveau l’est également !
Félix sourit modestement.
De l’autre côté de la cloison, Béru se livre à sa furia des grandes circonstances. Il porte au rouge les ressorts du sommier ainsi que le trésor de sa conquête, tout en comblant cette dernière de mots ensorceleurs.
— Tiens, grosse vache ! Prends, radasse ! Et ça, bourrique, c’est de la tarte à quoi ? Tu pourrais dire quèque chose, quand on t’escrime, hé, gros tas ! Cause, bordel ! T’es là, av’c trent’ centimètres d’bonhomme dans l’prose comme si t’épluch’rais des patates en écoutant la radio ! Fous-y du tiens, merde ! C’est l’marchand d’bonheur qui passe, ma grande ! T’en as déjà mis sous seins privés, des mandrins pareils, ma grosse ? Charogne, j’t’vas le faire choper ton panard ! Mais qu’est-ce i m’a foutu une crevure pareille ! J’enfil’rais un édredon, ce serait du kif au même ! Tu marches à quoi, la mère ? Au super ou au gazouale ? T’faut quoi t’est-ce dans l’archipel des mollusques pou’ qu’tu réagirais ? Un maguegnome de Dom Pérignon ? Une borne-fontaine ? Merde, bouge pas, j’vas réclamer du renforcement. Alors là, si t’aurais pas ton apothérose, ma belle, c’est qu’t’es plus frigidaire qu’une bourriche d’huîtres.
Et le voici qui se met à égosiller :
— Félisque ! T’as une minute, plize, j’ai b’soin de ta pomme pour grimper un piano au septième ciel !
LAMBDA
La gentille dirlote de l’hôtel Alpes et Jura, Mme Lüdi, si mon souvenir est exact, écrit des choses insoupçonnables dans la lumière verdeuse de sa loupiote de burlingue.
Quand elle m’avise, son visage chagrin s’éclaire plus en grand que la lampe.
— Oh ! mon cher monsieur, elle dit. Vous êtes très attendu.
— Par ma nièce ? espéré-je.
— Non, par la dame qui vous a déjà rendu visite ce matin. Elle tenait obstinément à vous voir ; aussi l’ai-je installée dans mon petit salon de télévision, au fond du couloir.
— Je vais aller la rejoindre ; auparavant, je voudrais parler à l’ambulancier que vous avez mandé pour ma nièce.
— C’est facile.
Elle potasse (étant d’origine alsacienne par un ami de son père) un vénérable répertoire où des noms et des numéros de téléphone sont consignés.
Une broquillette d’ensuite, j’ai un monsieur en ligne. Homme affable, je te promets. Et qui roule les « r » pour les faire avancer plus vite. Je lui rappelle la course dont fut chargée son honorable maison. Il dit « qu’oui en effet », sans cesser de rouler les « r » ; et alors qu’est-ce qu’il peut de nouveau pour mon service ? Je lui questionne l’endroit où ses déménageurs de bidoche ont coltiné ma chère musaraigne. Ma question le surprend, mais comme il est treize et mable, il consent à mater sur son registre pour me renseigner. J’apprends donc que ma doulce fiancée fut déposée en la salle des urgences de la Clinique Toudebon.
Je réclame alors ladite.
Tombe sur une personne gazouillante, ibérique, alors là, tu peux y compter, et qui ne sait du français que ce qu’elle en a lu, écrit au canif ou à la merde, sur les murs des chiottes de la gare à Perpignan (Dieu protège Dali !).
Je demande après Marie-Marie.
Elle croit que je suis l’aumônier de la clinique et, de confiance, se met à réciter un « Je vous salue, Marie-Marie » que j’ai du mal à stopper avant qu’elle n’ait atteint sa vitesse de rosaire. Ayant reposé ma question en espagnol littéraire, au vocabulaire si somptueux, elle m’informe qu’elle est gardienne de nuit et qu’elle ignore tout des malades en traitement, y compris s’ils sont encore vivants au moment où nous parlons. Le mieux, exprime-t-elle dans la langue de Béru, c’est qu’il faut que je vais rappeler demain à la matine. Après l’heure, c’est plus l’heure.
Je la remercie chaleureusement et me rends dans le petit salon de télévision après avoir demandé à Mme Lüdi de me retenir une place à bord du dernier zinc pour Paris, Air-France ou Swissair, peu m’en chaut (ou manchot), l’essentiel étant que l’appareil possède deux ailes, deux réacteurs et trois roues aux pneus bien gonflés.
Sur le petit écran, y a plusieurs messieurs en train de procéder à une émission littéraire. Gaëtane de la Salpingite somnole au ronron de leur déconnade. Elle fait un peu riche épave dans son astrakan à col de vison noir. Tu dirais une vieille brebis tibétaine engoncée dans ses poils.
Ma venue la ranime. Elle soulève les deux rabats adhésifs de ses paupières et plaque sur tout mon individu un regard d’Austerlitz.
— Enfin lui ! Enfin vous ! fait-elle en redressant son buste tarabusté par les ans à l’irréparable outrage aux mœurs.
Je m’incline devant.
Elle me présente la main, mais en la laissant traînasser sur la face nord de ma braguette.
J’hâte de la lui emparer pour un baise-pogne mondain qui m’épargne des attouchements plus prolongés, parce que beurrgh, hein ? Une bombe chargée sur la poitrine, pas de nouvelles de Marie-Marie ! Un rendez-vous problématique à prendre avec l’Elysée, et tu trouverais marrant de te laisser caresser le môme glandu par une vieille foutraque bourrée d’antimite jusqu’au culot, toi ! A la tienne, Albert !
— Je suis douée, commissaire ! Je suis douée ! roucoule la colombe déplumée, sans préciser si elle l’est pour tailler des rosiers ou des pipes.
— Je n’en doute pas, ma chère valeureuse alliée ! lui rond-de-voix-je.
Elle m’agrippe (asiatique) à deux mains par les jambes de mon pantalon, comme le font certains radiologues pour t’obliger à pivoter derrière leur appareil à prendre des photos d’intérieur.
— Je l’ai retrouvé, mon beau maître !
Beau maître ! Bien la first fois qu’on m’appelle ainsi. C’est déroutant. Va falloir un certain temps pour que je m’y fasse.
— L’homme à l’imperméable blanc ?
— Oui, lui. J’ai son nom et son adresse.
— Madame, m’écrié-je avec une sincérité qui ferait chialer un marchand de tableaux ; madame, vous êtes plus que douée, vous êtes géniale !
Elle gloussaille et secoue mon grimpant qu’heureusement la ceinture en est bien bouclée, autrement sinon je me retrouverais en slip devant les connards qui causent dans le poste, ces nœuds volants, à s’entre-raconter la prose, prenant très au sérieux les questions du meneur de jeu-de-cons-et-de-vilains. Qu’ils m’esquintent les épaules, tous ces foies-blancs de la tartine, à force de me les faire hausser ! Merde ! Quelle solennité pour expliquer leur misérance de plume ! Comme si leur gribouillage infect n’était pas déjà un péché suffisamment capital en soi, qu’il faut encore qu’ils s’en expliquent et gargarisent ! O ! Seigneur, tous ces beaux arbres que tu nous avais donnés et qu’on transforme en papier pour eux, les archi-chiants prétentiards, les tant creux qui se croient abondants parce qu’ils sont pleins de la barbe à papa d’eux-mêmes !