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MU (tine)

Des arbustes fruitiers, grêles, qui rabougrissent dans le vent de nuit. Une maisonnette sans histoire, prolongée par un hangar fermé. Un jardinet gentil. Dans le voisinage tout est calme, serin, pinson, rouge-gorge, etc. On ne perçoit même pas le connage des téloches. Près de la grille peinte et pimpante, un garage bêta : le cube de béton idiot muni d’une porte à bascule.

Le portail trop important pour le terrain auquel il livre accès s’ouvre docilement et je remonte sans bruit jusqu’à la maison. Une fenêtre éclairée m’attire comme un beau papillon aux testicules dorés. J’y vais piquer mon nez bourré de flair. Les rideaux sont tirés mais joignent mal, comme tous les rideaux. Par les interstices, j’aperçois un couple. Lui, grand, brun, très velu, le nez plongeant, le regard en canon de fusil à deux coups (contrairement à celui de Moshé Dayan). Elle : the boudin (en anglais black pudding). Une dodue négligée : visage rond, plat et blême, cheveux longs, sombres et sales. Elle porte un jean qu’à sa vue, un couvercle de poubelle se bouclerait hermétique, comme celui d’une huître (ouvrez le banc !) qui aperçoit un citron.

Elle porte en outre (c’en est une) un pull dépenaillé, et une chemise écossaise dont le plus radin des Ecossais ne voudrait pas comme chiffon pour vérifier la jauge à huile de sa bagnole.

Ils ont fini de bouffer et ils s’attardent devant une table encore chargée de reliefs. Une bouteille de champ vide fait sécher son cul hors du seau à glace où elle prit un bain de siège. La demoiselle Krasspek a allongé ses jambes grassouillardes sur un second siège. Le gars, lui, a posé ses talons sur le bord de la table. L’un et l’autre fument. Et à la manière qu’ils tètent, je te parie une mine de plomb contre une colique de même métal qu’il s’agit de « H ». Ils ont dû picoler passablement. Ils n’en cassent pas une, ni deux, ni trois. Rêvassent, dégustant leur semi-inconscience, comme tu dégustes parfois ton demi-sommeil, l’été, au cours d’une sieste.

C’est un moment propice.

J’abandonne mon poste d’observation pour aller à la construction annexe, laquelle est basse, vitrée au ras du toit de verre dépoli. La porte en est fermée à clé. Qu’à cela ne tienne. A moi Sésame, et la chevillette cherra, poum !

Ça pue curieusement dans le local. Une odeur âcre et fade à la fois. Un peu sure ; animale. Odeur de paille imprégnée d’urine, et de céréales entreposées. Mon pif, je te jure, c’est un concerto à lui tout seul. Mon point fort, mézigue, en dehors du zob, c’est pas l’ouïe, mais l’odorat.

Je relourde et dégaine mon stylo-lampe de fouille. Bien qu’étroit, son faisceau est très intense.

La lumière qu’il dégage me permet de découvrir une théorie de cages superposées, comme chez les oiseleurs du quai de la Mégisserie. Et chacune d’elles est grouillante de souris blanches. Ce sont ces rongeurs qui puent. Je les passe en revue. Leurs petits yeux en forme de perles rouges se braquent sur le rayon lumineux de ma calbombe.

Je parcours tout le local lentement. Une drôle d’idée me zizille la pensarde. Une idée à moi, donc une bonne idée. Parvenu au fond du hangar, je balaie l’ensemble. Il serait mieux de donner la grande lumière, mais je préfère m’abstenir. Les deux occupants du pavillon ne projettent probablement pas de se pointer ici pour l’instant, mais sait-on jamais ?

Alors je visse l’extrémité de mon projo de poche afin que le rayon en soit plus diffus. Il me permet une vue plus générale des lieux. Chose marrante, c’est en le braquant sur le plafond que je pige ce qui me choque céans. Je te vas raconter ça, mon p’tit gars. Ce qui me chiffonne, c’est que les cages à souris ne sont pas plaquées contre le mur du fond, mais qu’elles occupent à peu près le milieu du hangar dans le sens de la longueur. Il reste un grand intervalle derrière. San-A réfléchit un grand coup, comme respire un pêcheur de perles avant de plonger, et tu sais quoi ? Il ressort de la construction.

La contourne.

Trouve ce qu’il pensait trouver, à savoir une petite porte toute neuve sur l’autre face.

« Ah ! Ah ! se dit-il familièrement, le commissaire. Je brûle ! »

Eh bien, zoui : il brûle, l’Antonio.

Dès qu’entré, il bute contre un long caisson métallique plaqué au dos des cages à souris. Imagine-toi deux caisses d’horloge bout à bout. Tu imagines ? Prends ton temps, tu sais, j’ai pas de lait sur le feu, depuis le temps que je rédige pour des attardés mentaux, je me suis confectionné une philo.

Le couvercle du long caisson est divisé en trois tronçons indépendants. Chacun d’eux est percé de petits trous pas plus grands que ceux d’une boîte à asticots. Mon guignol bat la chamalière. Je sais, par instinct divinatoire, ce que recèle ce caisson ! Des serpents ! les serpents.

Tout de suite j’ai su. Quand Mammie Saute-au-paf m’a annoncé que l’hôtesse du gars à l’imperméable blanc élevait des souris blanches. L’association s’est aussitôt opérée dans mon vaste esprit aéré. Souris : serpents ! La nourriture idéale des reptiles séjournant dans nos contrées barbares.

Chaque partie du couvercle ferme à l’aide d’un gros cadenas. Tant mieux. Domptant ma raie-pulsion, je m’agenouille devant l’immense bac, plaque mon visage contre le couvercle tandis que j’applique le faisceau de la lampe électrique sur les trous. Me faut du temps pour arriver à retapisser les occupants. Mais le regard de l’homme est un sifflet, pardon, qu’est-ce que je débloque, moi ! Le regard de l’homme est ainsi fait qu’il parvient à utiliser la plus légère fêlure, à se couler par les plus étroits orifices. Et nyctalope avec ça, mon cher ! Suraigu ! Acéré ! A serrer !

Ainsi donc, mon attention s’aiguisant, je finis par les voir, ces affreux reptiles. Un tas grand commak ! Ils sont là, quasi immobiles, lovés, enlacés ; par boisseaux, par écheveaux compacts. Mon effroi est tu sais quoi ? Devine ! Tu donnes ta langue ? Donne-la à la dame qui tient les gogues, là-bas, elle sait vaincre l’écœurement. Donc, que je finisse : mon effroi (mon nez froid) est indicible.

Je frissonne de la tête aux pinceaux, et des pieds à la tronche. Brrr, brrr, et brrrrrrrrrrrr ! Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ! Pour Genève ! Ils vont pleuvoir sur la noble cité de Calvin (qu’a le vin gai), y semant la mort et la panique. Déjà, ce jour, à la réunion pétrolière ! Merde, qu’est-ce qui se goupille de carabiné ? Et comment se fait-il que Konopoulos bénéficie d’un magistral condé en Suisse ?

Un grand élan de solidarité m’empoigne par toutes les manettes.

Je dois détruire ces reptiles ! Et vite ! Stopper ces attentats au venin ! Enrayer coûte que coûte le fléau.

Oui, mais comment ? Prévenir la police ? Indiquer la réserve de serpents ? Et s’il y avait une fausse manœuvre ? Un manque de coordination ? Et si, et si, et si ?… En Helvétie plus qu’ailleurs, les droits du citoyen sont protégés et il est certain qu’avant de procéder à une perquise, tout un appareil légal doit fonctionner, qui risque d’alerter la bande…

Agis de ton propre chef, mon Grand. C’est ta vocation, l’initiative privée. T’as l’esprit commando de choc, biquet. Ne dévie pas de ta trajectoire.

Bon, alors quoi ? Comment ? Il faudrait un gaz, non ? Mais je n’en ai pas. Et pour l’injecter dans le caisson, ce serait tout un bigntz.

Alors la brave vieille méthode chère à Attila quand, avec les Huns et les autres, il rasait les contrées après son passage. Le feu ! Le bon vieux feu ! Ici, c’est fastoche avec toute cette paille. Et le hangar est en bois. Les serpents périront dans le caisson de métal chauffé au rouge.

Je retourne sur la partie face du hangar et entreprends d’ouvrir toutes les portes des cages à souris. Pourquoi faire cramer ces gentils mammifères ? Leur sort n’est déjà pas si enviable. Quand le feu se propagera, comment qu’elles mettront les adjas, ces demoiselles ! Maintenant, tu m’objecteras qu’un serpent a autant de droit à la vie qu’une souris blanche, à quoi je te répondrai : certes ! Mais colle une souris blanche et l’un de ces reptiles dans ton bénouze et tu verras la différence mieux encore que sur France-Inter.