Il s’agit de bouter le feu judicieusement. J’adore bouter. Je suis un bouteur né. Me voilà à confectionner des petites torches en paille. Je les allume consciencieusement, en soufflant dessus, bien que ça prenne. Et puis je les disperse dans le hangar. D’ensuite de quoi, je calte après avoir laissé les deux portes grandes ouvertes pour activer le tirage.
Un petit regard à la fenêtre, avant de me trisser. Le couple me paraît de plus en plus colmaté. En plein sirop ! La dame a défait le devant de son jean et se confectionne un solo de dito ; façon napolitain. O sole mio à la chaglatte ! Essayer c’est l’adopter. Le mec la contemple en souriant béatement.
Bon pied, mauvais œil, m’sieur-dame !
L’Antonio joli rallie sa bagnole. Me reste encore un bout avant de me faire enregistrer. L’aéroport n’est qu’à cinq minutes. Je prends place au volant et j’attends. J’avais remisé ma pompe dans une impasse obscure, à cent mètres du pavillon. Je distingue parfaitement celui-ci, de même que la construction qui le jouxte, comme on écrit puis dans les actes notariés.
Pendant un long moment, rien ne se produit. Je me demande si mes points de feu vont se transformer en incendie. Le feu, c’est capricieux. Quand tu ne t’y attends pas, il te saute dessus, et quand tu veux le faire prendre, huit fois sur dix, il pantelle et meurt. Pourtant, merde, de la paille sèche ! Ah ! Voilà. Une lueur. Une belle clarté dansante qui fulgure un instant. Pourvu que les voisins ne la remarquent pas trop vite ! Elle s’abaisse, comme si elle renonçait à se développer, et puis voilà qu’il s’en produit une seconde, ailleurs. Et encore d’autres. Les clartés se réunissent. On aperçoit des flammes, de vraies grandes belles flammes comme dans les films catastrophes. Et plaouffff un immense brasier soudain se constitue, qui s’élève victorieusement dans la nuit de velours. La brise l’active. Ça craque, pétille, flammèche ! Un beau régal. Dans un sens, on comprend les pyromanes. Dans leurs cerveaux rabougris, cette joie du feu, de leur feu. Ils en retirent une sorte d’orgueil, tu comprends ? Le considèrent comme une œuvre. Pour eux, c’est presque constructif.
Dans les environs, tout reste calme. Ceux qui ne dorment pas s’enconnent devant les petits écrins à sottise de leur téloche.
Et le couple ? Pas de réac. Ils continuent de jointoyer, ces deux chéris. La gravosse se frictionne la moulasse ; le grand brun regarde en escomptant des délices. Mais dedieu, y a pas qu’eux qui fument ! Cette fois, c’est l’embrasement apocalyptique. Mon but est atteint et c’est pas de la tarte, si c’en était je dirais qu’il est Tatin, ce qui est férocement con, mais on n’est pas dans le train pour l’Académie Française. Alors, roulons de concert, ou si tu as faim, de conserve. Dorénavant, même si les pompiers se pointaient à la minute, il serait trop tard pour sauver les serpents, à moins qu’ils se soient mués en salamandres.
Je démarre d’un cœur léger.
Et qui t’est-ce que je bute en pénétrant dans le vaste hall de Cointrin ?
Félix.
Un Félix tout joyce. Il tapote sa fouille avec jubilation.
— Votre bip-bip est déjà arrivé, figurez-vous. Votre ami Pinaud est allé le porter lui-même à Charles de Gaulle où, usant de ses qualités, il a remis l’objet à une délicieuse hôtesse blonde qui, je l’avoue, m’a mis en émoi du seul fait de son regard fripon. Je retourne vite à Bonraisin, un taxi m’attend.
Et de me désigner mon taximan du matin, celui qui m’a rabattu la mère Salpingite. A croire qu’il n’y en a qu’un seul pour tout Genève. Il m’aperçoit et me crie :
— Alors cette fois, vous rentrez pour de vrai ?
— Ce n’est peut-être qu’un au revoir ! lui gâché-je-sa-joie (c’est le genre de formule en usage dans les romans pas très chers, comme les miens, tu sais ? Je t’en ai déjà causé.)
Pas contrariant, il me lance :
— En attendant, tout de bon, hein ?
Tout de bon ! Aimable formule suisse pour prendre congé.
Je porte la main à ma poitrine où il y a ce corps dur, lourd et froid, qui tient ma vie à dispose sous ses rouages maléfiques.
Tout de bon !
Tu parles !
NU (COMME UN VER)
Son salon, tu croirais la serre d’un horticulteur sorti premier de la Faculté de plantes grasses de l’Haÿ-les-Roses.
Il l’a drôlement verduré, le Dabe, depuis ma dernière visite qui remonte aux temps mérovingiens. Le bruit court (galope même) qu’il s’est mis avec une dame, ce pauvre veuf qui viole un bluff. Une nouvelle, plus jeune que lui, bien rutilante, et qui raffole des végétaux en pot, en bac, en caisson, en vert et contre tout.
Furax, il reste planté devant moi, après m’avoir désigné d’autor un siège tellement bas que j’ai l’impression de piloter un kart. Il porte une épastrouillante robe de chambre dans les tons bleu roi, à parements argentés, dont la lourde ceinture, plus brochée que ce livre (la langue française pourrait être plus riche, bordel !), est terminée par deux glands qui nous ressemblent à ton frère et à toi.
Mal réveillé, parce qu’en sursaut, la paupière pesante, le cil adhésif, il me darde de son regard des mauvais jours, plus exactement des mauvaises nuits.
— Je suppose, San-Antonio, que vous avez un motif bien grave pour débarquer chez moi, à bientôt minuit !
Minuit ! Je ne puis m’empêcher de penser que dans très exactement vingt-quatre plombes, la bombe explosera si…
Un jour complet ! Deux tours de cadran, et puis le crash ! Il y a des moments bizarres dans l’existence. Des moments qui vous font regretter de la vivre.
— On ne dérange pas un homme tel que vous, si la sûreté de l’Etat n’est pas en cause, monsieur le directeur, je réponds noblement, le menton pointé vers les Vosges, l’œil en major de Saint-Cyr.
Ça le calme instantanément. Pour lors, il cesse de me surplomber et pose son soubassement sur du Louis XV frileux.
— La sûreté de l’Etat ? il redit, gargariseur tout plein. Oh ! là ! Oh ! Oh ! Comme vous y allez !
L’instant est venu de lui cracher le morcif. Mais je décide de ne pas signaler le gag de la bombinette collée à ma peau. Pas qu’il croie, le Vénéré, que je me démène pour ma carcasse. Et puis il serait chiche d’exiger que j’aille me faire déminer avant toute chose, comme on envoie les clodos se faire démorpionner avant de les admettre à l’hosto.
Bon, je plonge… Raconte en gros… Tout ce que tu sais déjà et que je te vas épargner par une savante ellipse de romancier rompu à toutes les astuces de l’écrivain chevronné. Il m’écoute.
Les serpents ! Il tressaute. Il sait, a lu les baveux. Ces gens de l’O.P.E.P. agressés de cette curieuse manière. Mode d’exécution absolument nouveau. Le terrorisme par reptiles. La grande panique à Genève, qui grimpe, fait hurler les dames dès qu’on tente de leur couler une paluche au valseur ; qu’elles se croient tout de suite attaquées par des vipères lubriques, les pauvrettes. Un bout de ficelle à terre, et les gens se sauvent. Tout un chacun regarde où il met la main, les pieds, la bite, les fesses, son fric. C’est terrorisant, une invasion de ce genre.
Te dire, dès lors, l’à quel point je le passionne, Achille. Franc éveillé, à présent. L’œil rincé par l’intérêt, la paupière sèche, la bouche aussi. Sanglé dans sa robe de chambre, comme une patate, avec un je ne sais quoi, curieusement, de militaire dans ce vêtement d’intérieur ; probable biscotte les brandebourgs incrustés. Général Dourakine ! Et moi, pauvre Blaise ! Pauvre Con ! Feinté, bité, presque buté !