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J’y dis mon appel à la police suisse. La fin de non-recevoir. Ordre de dégager le terrain fissa ! De me mettre en veilleuse !

Je lui cause de l’incendie volontaire. Ces paquets de serpents qui ont dû cramer à l’intérieur du caisson de métal. Bon débarras ! Que de morts humaines ainsi évitées. Il me félicite.

L’histoire du grand costume a retenu son attention. Il m’a posé cent questions là-dessus (en anglais : hundred questions). Approuve encore et sans réserve (ce n’est pas un Indien) l’initiative du bip-bip.

Maintenant qu’il a tout appris (ou presque) il en revient à ce qui nous tracasse : ma mission auprès du Président of the République.

— C’est insensé ! déclare-t-il. Ces gens voient grand. Voient immense.

Pour le coup, il se relève, repousse son fauteuil Louis-Merde d’un coup de cul et arpente la serre qui lui tient lieu de salon.

Je le laisse trémousser à sa guise, Napoléon de la Rousse en état de vache perplexité. Vieux Napoléon, certes, Napoléon chauve. Napoléon quand même, bien qu’il ne soit pas même corse.

— Je vais appeler le Président de la Confédération sur le téléphone violet ! décide-t-il.

Il a parlé sans profonde ni intime conviction ; il s’agit presque d’une question.

Je fais la moue.

— Ne craignez-vous pas, Patron, que ce soit une perte de temps ? Le Président va convoquer les autres Conseillers Fédéraux, lesquels chargeront quelqu’un d’une enquête. Or, le temps urge. Si demain, je n’ai pas obtenu cet illustre rendez-vous, il se passera des choses terribles, ce Konopoulos m’en a averti. N’est-il pas plus simple, dans un premier temps, d’obéir aux impératifs et de prendre connaissance des exigences de cette Organisation ?

— Exactement ce que je pense ! affirme l’impudent. Attendez-moi ici, j’appelle le ministre.

Il s’évacue. Peu ensuite, un vieux valet de chambre se pointe, saboulé comme pour une grande réception, qui me sert une vodka-citron très frappée dans un grand verre ventru.

Faire relever un larbin pour verser trois centilitres de tord-tripes dans un godet, y a plus que chez le Vieux qu’on voit ça.

Du temps passe.

Verre en main, j’allonge mes jambes fourbues. Je pense à Marie-Marie. L’inquiétude me travaille au plexus. La reverrai-je seulement un jour, ma gentille fiancée ? Des années qu’on attendait le grand moment, elle et moi. Elle avec ferveur, moi sans trop y croire. Mais c’est sa volonté de fillette qui a prévalu. Je me dis que je l’aime. J’envisagerais bien la vie avec elle et Maman. Tous les hommes rêvent de cette union sacrée de leur mère et de leur femme. Et ça fout tant de ménages par terre, un tel égoïsme !

Je suis certain que M’man sera la première à ne pas vouloir de cette cohabitation. Elle sait tout, Félicie. Elle sent tout !

Un glissement feutré s’opère. Je tourne la tête et avise une femme tout ce qu’il y a de pas mal, dans un déshabillé rose praline gansé de cygne.

Une légère quarantaine, blonde, grande, belle. Le regard très sombre, la bouche on ne peut plus sensuelle ; l’expression intelligente.

Je me lève d’une détente de ce sacré fauteuil trop bas. Un peu de vodka éclabousse mon grimpant. Je me fige dans une attitude gourmée, gourmande et virolée[11].

— Madame !

Elle s’avance de son pas glissé dans des mules de fourrure blanche.

— Commissaire San-Antonio, récité-je.

Elle soupire d’une voix rauque qui te va immédiatement au fond des bourses :

— Oh ! c’est donc vous ! Achille me parle tout le temps de vos exploits.

Elle ne se présente pas, mais sa familiarité pour parler du boss exprime tout sur la nature (d’élite) de leurs relations.

— Asseyez-vous, je vous prie. Que se passe-t-il donc de tellement important ?

— Nous vivons des temps très nourris en péripéties dramatiques, madame.

Elle a un beau, un délicat sourire.

J’en reprends plein la poche-kangourou.

Sans doute aimerait-elle que je l’informe ; mais ce n’est pas parce qu’une dame pompe ton dirluche et se laisse emplâtrer par lui que tu dois venir au rapport (à moins que celui-ci ne soit sexuel, après tout).

Voilà pourquoi je demeure à peu près muet. Que tout juste je lui demande pardon de cette visite tardive et impromptue et lui déclare que ce salon bourré de verdures en tout genre est une merveille.

Elle m’écoute sans lâcher mon regard. Il y a chez cette femme une grâce infinie qui te trouble d’emblée et fortement. Tu donnerais n’importe quoi pour lui faire n’importe quoi de physique.

Quelque part, une sonnerie de téléphone retentit. A peine, car on décroche illico.

Et les minutes s’écoulent une à une, mais je ne suis plus pressé.

— Je ne voudrais pas empiéter sur votre sommeil, madame, galantiné-je ; ne vous croyez pas obligée de me tenir compagnie, encore que celle-ci me comble.

Poum ! Tu crois que c’est exagéré, toi ? Oui, hein ? J’y vais trop au culot. Si elle rapine à Achille, il va y avoir de la brimade dans l’air. Cela dit, quand tu as une bombe rivée au sternum, c’est le genre de considérations qui ne t’empêche pas de finir ton glass de vodka-citron.

Au contraire, pour moi, ça devient une espèce de jeu grisant. Le tourbillon de la mort !

Un pied dans la tombe, j’en fais avec l’autre à la nana du big one.

— Achille ne revient pas, constate-t-elle.

— Malgré la profonde et respectueuse admiration que je lui porte, je ne parviens pas à le regretter, fais-je hardiment. Ah ! Madame, quel fabuleux moment de détente. Aux prises avec des sujets terriblement angoissants, voici qu’en pleine nuit, la Providence m’accorde une plage de véritable félicité ; un instant et un état de grâce auxquels je ne m’attendais pas.

Un peu débordée par ma faconde, l’égérie. Troublée ? Je n’en jurerais pas, mais amusée, là, compte-z-y.

— On a l’impression que vous vous pastichez, commissaire, me dit-elle.

— C’est-à-dire ?

— Votre réputation ne vous suffit pas : vous voulez la précéder, pour ainsi dire ; comme Lucky Luke qui tire plus vite que son ombre, vous, vous tentez de séduire avant qu’on ne vous connaisse. Cela correspond à quel besoin profond ? Un vieux complexe à liquider ? Que non, j’espère ? Une gageure constante que vous vous imposez ? Un parti pris ?

Elle continue de me regarder.

Alors, moi…

Vraiment, c’est pas raisonnable, contraire à tout.

— Je vais vous offrir un secret, madame, lui débité-je, afin de marquer notre rencontre. Un secret que môssieur le directeur ignore…

Je déboutonne deux boutons du haut de ma limace et en écarte les bords sous le col.

— Blessé ? demande la dame en amorçant une grimace de compassion répugnancée.

— Bombé ! On m’a affublé d’une bombe qui explosera demain, ou plus exactement, ce soir à minuit, puisqu’il est zéro heure vingt. Impossible de me l’ôter. Vous voyez ce fil qui m’entoure le cou ? Qu’on y touche et je saute.

Elle est très bien. Garde son calme et me contemple ardemment.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas dit à Achille ?

— Parce que, si je veux conserver une petite chance d’être délivré de cet engin, il ne doit pas le savoir.

— Et pourquoi me le dites-vous à moi ?

— Parce que vous êtes belle et que je vous désire, et que ne pouvant vous faire l’amour, je vous emporte avec moi dans un secret. C’est subtil, non ? Un peu extravagant, un peu pathétique, mais je l’ai senti comme cela…

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11

Essaie, c’est plus facile qu’on ne le croit.

San-A.