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Tout cela très galuchard, très pontesque, tu vois ?

Le Sémillant alerte le garçon.

— Un café !

Puis, à miss Vance :

— Alors, mutine demoiselle, c’est donc à ce frais minois que nous devons toutes ces tracasseries ?

La « mutine demoiselle » renfrogne son frais minois.

— Je ne suis qu’un minuscule maillon de la chaîne, objecte-t-elle.

— Mais quel maillon ! égosille Achille. Jamais joaillier n’en cisela de plus remarquable. Bon, où en sommes-nous ?

Connie ouvre son sac-pochette en cuir bleu. Y prend une enveloppe blanche et me la tend.

— Voici le message que vous devrez lire au Président et à ses ministres.

Je saisis l’enveloppe. Elle est plate. Le texte ne doit figurer que sur un seul feuillet. Je la tâte du doigt sur toute sa superficie. Connie me regarde agir d’un air ironique.

— Il s’agit d’une simple enveloppe contenant une simple feuille, commissaire.

J’opine, mais mire cependant l’enveloppe en l’élevant en direction du tube de néon qui nous surplombe.

Par transparence, le papier n’étant pas très épais, j’aperçois les lignes d’un texte dactylographié.

— Vous ne l’ouvrirez qu’en présence de… ces messieurs, déclare Connie.

Je m’incline.

— C’est la moindre des choses, miss Vance.

Connie jette un calme regard autour d’elle.

— Je suppose que je devrai vous attendre ici ? remarque-t-elle.

— En effet, pourquoi supposez-vous si bien ?

— Pour qui me prenez-vous, mon cher ? Il est clair que tous les consommateurs ici présents sont des flics, mâles et femelles, rassemblés là pour s’assurer de moi ?

— Bravo pour votre perspicacité. Effectivement, il vous est déconseillé de vouloir quitter cette table. Même l’accès des toilettes vous est interdit, j’espère que vous avez pris vos précautions ?

Elle opine et boit quelques gorgées de café avec une grâce qui sent la bonne éducation.

— Soyez gentille, dis-je, allongez discrètement votre bras gauche sur vos genoux.

Elle obtempère. Moi, en artiste, j’extrais une paire de menottes de ma fouille. Clic à son mignon poignet, et clic après l’une des volutes de fonte du guéridon.

— Dans votre position, personne ne peut s’apercevoir de la chose, dis-je.

Achille bêle :

— Croyez bien que nous sommes navrés de devoir prendre ce genre de mesure avec une ravissante personne comme vous…

Connie le rassure :

— Je comprends parfaitement, ne vous excusez pas.

— Afin que nul malotru n’ait la tentation de venir vous importuner, ma chère, nous allons vous adjoindre un compagnon.

J’adresse un mouvement de menton à un vieux zig en train d’écluser un muscadet au rade. Celui-ci s’approche.

— L’officier de police César Pinaud, présenté-je. C’est un homme qui a de la conversation, vous verrez. Et maintenant, je pense qu’il est l’heure, monsieur le directeur.

Le Dabe et moi nous nous levons avec un ensemble parfait, comme on dit souvent.

Connie Vance m’adresse un petit salut de sa main libre.

— Bye bye, dit-elle, vous êtes en train de vivre un moment historique, commissaire.

Par-delà son sourire, on la devine très persuadée de la réalité de ce qu’elle énonce.

Un moment historique !

L’Elysée est à quatre-pas-d’ici-je-te-le-fais-savoir.

— Ne pensez-vous pas que nous devrions prendre connaissance du message, Patron ? murmuré-je en arpentant la cour d’honneur semée de petits graviers.

— Non, mon garçon, ce serait extrêmement incorrect, me bloque le Vioque. Vous vous imaginez, vous présentant devant lui avec une enveloppe ouverte ?

Il pouffe sobrement (oui : il y parvient) à une pareille évocation (sacerdotale).

Un huissier enchaîné, qu’on se demande bien pourquoi, nous accueille. Nous drive dans l’auguste Palais jusqu’à un bureau où nous sommes pris en main par un personnage jeune et grave, mis avec recherche (des recherches qui auraient abouti). Ce dernier me jauge d’une œillée enveloppante, l’air de se dire « Tiens, c’est lui, le fameux Santantonio, il ne casse pas trois pattes à un canard. » Puis il nous prend en charge pour un nouveau cheminement en ces lieux qui ne sont pas d’élection, mais de résultat d’élections.

Une antichambre encore. On se regarde, Achille et moi, impressionnés.

— Ne soyez pas ému, mon garçon, bredouille le Dirlo, du bout de son râtelier en désarrimage. Que diantre, c’est un homme comme vous et moi, après tout !

Mais son timbre est fêlé et ses jambes sont molles, et l’on entend à peine ses paroles.

Dehors, dans le grand parc solitaire et glacé, deux cèdres sont tout à l’heure plantés.

Notre attente est brève. Le secrétaire revient, toujours attentif et silencieux. Il nous fait signe de venir.

Et nous venons.

Côte à côte, vaillamment. Fraternellement unis par la solennité de l’instant.

On passe la porte, on débouche, on les voit.

Lui, avec sa grande taille, son regard qui va directement au plus profond. Vêtu de gris, chemise gris très pâle, cravate vert foncé. Flanqué de son Premier ministre, de ses ministres de l’Intérieur et de l’Injustice, et même d’un autre, mal répertorié, pas très beau, mais c’est pas pour le conserver longtemps.

Le Vieux se détache, avance vers ce groupe prestigieux, le menton en ganache, la tête à ressort, tout flexible soudain, tout onctueux dans sa roideur native. Bizarre de courtisanerie. Interloquant, je trouve. Changé, quoi.

Des mains se tendent. Des formules s’échangent. Le Président me salue avec une courtoisie un peu froide. Il se distancie toujours, le Président. Fossé de Vincennes autour de son augusterie. Par principe. No man’s land nécessaire. Si trop spontané, trop ouvert, investi, tu piges ? Rempart indispensable. Juste des créneaux, tout là-haut, mais l’huile bouillante à dispose. Il n’aime pas les échelles, le Président, les échelles de la familiarité. Il a besoin de donjonner tout seul, sa flamme au bout du mât.

Bon, les Russes vont arriver, mais il restera dans sa tour, dans son chagrin, comme le grand Gaulle.

Y a que les hommes hauts de taille qui peuvent. Les petits se démènent, gesticulent. Napoléon chialait dans le giron britiche après Ouaterlo. Les hommes hauts dédaignent. Ils ont la taille pour assumer leur destin. Bravo. Autour de lui, c’est fretaille et valetin. Ça fait des bulles au lieu de causer.

Lui, impénétrable, protégé par ses centimètres supplémentaires et sa fonction suprême. Il est suprême. Un suprême peut se permettre d’emmerder le reste. Tout lui est tourbière. Il règne.

— Monsieur le commissaire, dit-il, si j’ai pris au sérieux votre demande d’audience, c’est parce que nos services de renseignements m’ont signalé certaines anomalies au plus haut niveau de la politique helvétique.

Un léger temps.

— Vous détenez ce fameux message ?

Je le sors de ma poche.

— Le voici, monsieur le président.

Il s’empare du pli. Tout autre que lui exigerait qu’on le lui décachette. Mais il s’en charge personnellement.

De l’enveloppe éventrée, il tire un feuillet plié en deux. Les deux bords sont maintenus par un morceau de scotch. Deux lignes tapées à la machine sont tracées sur chacune des faces. Le Président lit à mi-voix.

— Attention ! Nous exigeons que ce message soit lu par le commissaire San-Antonio.

Le Chef de l’Etat fait la moue et me rend le feuillet scotché.

— Eh bien, puisque ces gens l’exigent, commissaire.

Je reprends donc la feuille et décolle le morceau de sparadrap qui la maintient pliée en deux. Le texte s’offre enfin à moi.