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Merde, la voici pressée, moi qui escomptais lui refaire le coup du Petit Lulu à la Noce.

Manière de lui contrecarrer la décision, je lui exhibe (ou exhobe) le juste objet de mon ressentiment. Elle module un sifflement de félicitations ; mais ne se précipite pas sur le buffet pour autant.

— Cet après-midi, quand nous ferons tous la sieste ! promet-elle.

Je lui pousse une grimace :

— Tu sais, mignonne, ces choses-là, c’est comme la hausse de l’or : il vaut mieux ne pas trop attendre pour réaliser sa prise de bénéfice.

Elle remet la radio. Ça diffuse une chanson de Mouloudji qui raconte la manière de ramasser les feuilles mortes.

On l’écoute sans piper, vu qu’elle est très vagueuse d’âme, très nostalge…

Le loufiat d’étage se radine avec les petits déjeuners. Le café sent bon, les croissants également. Je lui refile une pièce de cinq francs car j’ai rien de plus petit sous la main, cette pièce étant le cadet de mes sous suisses. Le gars, un Portugais luron, enfouille avec moult remerciements en : anglais, français, allemand, espagnol, portugais, arabe.

Puis se retire à reculons.

On clappe. La nana jacte. Des conneries. Ses potes : Mathieu, Cécilia, Conrad. Des débiles, des oisifs. Jouisseurs, connards, bons à nibe.

Je la regarde causer. Démaquillée, fourbie, je me dis qu’en fait, elle est belle comme un cageot, la mère. Blancharde, je trouve. A peindre, quoi. A attifer. La silhouette de first classe, certes, mais la vitrine inexpressive. Je te raconte vite fait, par monosyllabes presque, mais ça suffit amplement. Le style télégraphique convient. A quoi bon s’étendre sur elle quand c’est pas pour la baiser ? Non, franchement, ça ne valait pas le coup de la débaptiser.

Quand j’ai achevé la briffe, je mobilise la salle de bains. Pendant ce temps, elle se mignarde à la coiffeuse.

Une demi-heure après, la v’là redevenue somptueuse, en technicolor, sapée princesse. Elle passe à son poignet un bracelet d’or représentant un serpent avec deux petits rubis pour figurer les yeux.

Serpent ! Je renifle.

— On y va, Grand Loup ? me demande cette grande niaise.

Serpent ! Je re-renifle. Signe de puissante cogitation chez l’admirable penseur que je suis susceptible de devenir à l’occasion. Pascal enfant !

Je descends cigler la taule. Pas donné ! Tu limerais seize fois au Pou Nerveux, dans le 18e, pour le même prix. D’accord, tu choperais des morpions, mais faut pas craindre ces petites bêtes affectueuses. Elles savent te tenir compagnie. Je les préconise pour les vieilles dames solitaires et glacées. Au lieu d’un chat qui chlingue à tout-va, offre-leur un morbac, qu’elles se sentent moins seulâbres, les pauvrettes.

Ma potesse descend au parkinge. Je dépose sa valdoche dans le coffiot.

— Et la tienne ? elle s’étonne en me voyant rabattre le couvercle de la malle arrière (comme on disait puis aux débuts de l’ère tomobilesque).

— Moi, je rétroque, je vais prendre un taxi, chérie.

Elle reste immobile, à pendre sur son épine dorsale comme un vieux slip d’homme qu’on met à sécher après la lessive. Ne pige pas. S’y refuse. Attend. Ses yeux forment comme deux trous de balle de poules qui s’entraîneraient à faire l’œuf côte à côte.

Je lui romps l’anxiété d’un baiser ravageur.

— Je n’ai pas voulu te carboniser ta joie, ma grande, mais il me faut regagner Paris illico. Une affaire de la plus hautaine importance. Si je t’avais annoncé la chose hier, elle aurait terni ton plaisir, ce qu’à Dieu ne plaise. Grâce à mon silence, nous pûmes vivre une nuit féerique, dont je conserverai un souvenir circonstancié, fiévreux et indélébile.

C’est là qu’elle explose, et l’immensité du parking répercute ses accents rageurs, les enfle, les emporte, les transmet à autrui, à autruite, aux truites.

Rien de plus quinchard[1] qu’une voix de péteuse en renaud. Ce foin, ma pauvre dame ! Cette vitupérance ! Et comme quoi je me fous de sa gueule ! Qu’elle n’a pas largué Mathieu, Albin, Tiburce, Léonora, toute sa bande infecte de pégreleux superflus, drogués, buveurs, tripoteurs-de-sexes-juste-pour-dire, ricaneurs de rien, gausseurs patentés, baveurs sans muqueuses, invertébrés, écervelés, déburnés, patates bosselées, fentes sanieuses, putrescences, pré-cadavres, éclaboussures de bordel, tritons de marécages, fausses couches remuantes, débiles sans fond et encore beaucoup plus, par tas hauts commaks, ces cons inaboutis, ces mollusques avariés dont le jour de glaire est arrivé ! Honte de l’humanité. Epaves bien fringuées. Bouffe-caviar. Sangsues pour globules blancs. Apothéose d’incohérence. Sous-merderie ambulante ! Et que j’ai encore envie de poursuivre, d’en remettre grand comme l’Himalaya. Les ensevelir dans son mépris, ces ratés, ces loupés, ces épanchements visqueux. Mais la fière pouliche caracole et fume des naseaux. Moi, flic à la manque, baiseur de bal musette, tombeur pour bonniches portugaises salpingitées jusqu’au trognon ; moi, flambard de mes deux, virgule avec rien derrière, je viens lui jouer Casanova, je la déplace, lui fais paumer une nuit de Valpurgis ou de Va-te-purger avec des minets bien sublimes : Mathieu, Agénor, Léocadie, Narcisse, Paméla (pâmée, là ; pas méli ; pas mélo) Gaëtan et les autres crêpes. Elle se farcit Megève-Genève, la très sainte fille. Et pour quoi ? Un coup de bite de garde-barrière quand le train déjà siffle trois fois aux horizons et qu’il faut vite en terminer avec bobonne pour baisser le pont-levis. Merde ! Archimerde ! Archimède !

Pour qui la prends-je, cette fleur de sofa ? Tubéreuse de chez Régine et autres lieux de mes fesses pour noctancons ; qui s’affalent dans les assourdissantes pénombres, là que triomphe le vacarme à haute tension. Insoutenable. Les Stukas de pendant la guerre, qui fonçaient en piqué, étaient de mélodieux flûtiaux, à comparer aux hystéries du disque-jockey. Endurer cette barbarie, s’y complaire, c’est un signe, non ? Le signe de la décadence (du ventre). Plus du tout celui de Saint-Saëns, le pauvre. Et que ça te brûle le tympan jusqu’aux couilles, ces déferlances férocistiques. La fournaise sonore ! Mais comment ils tiennent des heures, ces dégénérés, des nuits, les malheureux, dans la monstrueuse outrance sonore. Et ensuite, après de telles séances, c’est quoi, pour eux, les bruits, les vrais ; ceux de la vie ; ceux qui disent l’homme, l’amour, la nature ? C’est quoi, un clapotis de vague ? Une brise dans un feuillage ? Un oiseau du matin ? Avec leurs pauvres oreilles mutilées, leurs trompes concassées ? C’est quoi la vraie musique ? Et un sifflet de gonzier partant au charbon sur son vélo ? C’est quoi ? Dites ? Je voudrais qu’on m’explique à quoi correspond cette vautrade abjecte dans les tonitruements qui font craquer les décibels. Pourquoi ils en ont besoin, réponds ? L’alcool, la chnouf, la sodomie, j’admets, je crois comprendre. Mais ça ? Cette macération au creux d’un volcan sonore ? Cette titubance dans la cacophonie ? Hein ? Hmmm ? Et ils ne sourcillent pas. Non, non, en extase, tu les trouves. Béats de fracas, à se goinfrer de vacarme, se repaître d’Apocalypse sonore. Répétition de fin de monde. La planète qui s’écroule dans le cosmos, comme une vieille dame sur son chiotte branlant ; vlaoufff !

Ça devient insauvable, tout ça, à force d’accumulance. On ne peut plus les préserver, ni se préserver d’eux. Le Bon Dieu y renonce. Ils l’ont bité à bloc, le doux Seigneur. Qu’à force de se laisser manger la laine sur le dos, tout le mouton y est passé ! Miséricorde (à nœuds !).

Moi je dis, moi je pense. Et beaucoup d’autres choses encore qu’à quoi bon les exprimer toutes ? On n’en finirait pas et ça fait chier tout le monde et les autres.

Elle grimpe dans sa guinde à la volée. Je lui claque la portière, elle la rouvre et la referme elle-même, pour ne rien me devoir ; parfaitement me marquer son profond mépris, tu vois ? Démarre dans un gros crachat d’échappement pollueur, âcre et bleuté.

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1

Cherche pas, c’est un mot de famille ; je l’ai sorti avant de le jeter à tout jamais, l’user une ultime fois, telle une allumette.