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Aussi me gardé-je bien d’approcher le coffre de la Rolls. Simplement, je regarde le dénommé Jacob dégager la samsonite et faire jouer son fermoir. Le couvercle soulevé révèle un assemblage de flacons multiformes et multicolores, à gros bouchons taillés, dont il est clair qu’ils contiennent des parfums, lotions ou autres illusions liquides destinées à la toilette.

J’opine, confus. Dans le fignedé, mon Tonio ! Très very profondly ! Mon renifloir m’a joué un vilain tour. Ma gamberge en fusion m’a mal induit. Cela aussi s’appelle une bavure !

Honteux comme Jules Renard qu’une moule aurait pris, portant bas l’oreille, je regagne mon taxi.

Le conducteur est ronchonnatique à souhait.

— Moi, c’est des mic et des mac que je déteste, me déclare-t-il. Je ne suis pas bonnard pour ce genre de choses. J’aime que tout soit tip-top !

Je m’installe sans répondre. Il cherche une route transversale pour opérer un cent quatre-vingts degrés.

Et tu sais pas ?

Faut que je te fasse rigoler. Du moins j’espère. Au lieu de prostrer dans les amertumes de ce coup fourré, ne voilà-t-il pas que je phosphore à nouveau ? Mais dans une tout autre direction.

Il s’agit de la compagne de M. Konopoulos. De près, elle m’a rappelé quelqu’un, cette greluse. Je suis certain, avec le recul, de l’avoir vue quelque part, ou bien sa photo. Faut que je cherche dans le milieu spectacle… Je ferme les châsses… Sur l’écran de mes souvenirs, des formes indécises tourniquent.

Il me semble voir une rampe lumineuse, et derrière cette barrière de projos…

— Vous comprenez, poursuit le taxi-driver, avec les Français, on n’a que des inconvénients.

C’est des gens qui se croivent tout permis. Comme, je vous prends, de mettre G’nève dans le Guide Michelin de la France ! Enfin, quoi, c’est une ville française, G’nève ? Ce culot, quand même ! A qui ils ont demandé la permission ? Et si vous les aviez vus, en 68 ! Ils arrivaient à Cointrin avec des petites valises qu’on pouvait pas décoller de par terre tellement qu’elles étaient pleines de lingots ! J’ai attrapé des tours de reins, moi, à c’t’époque, et pourtant je vous jure que j’étais plus jeune qu’aujourd’hui !

— Belle de Mai ! hurlé-je.

Il prend presque peur et règle son réflecteur pour mieux m’observer.

— Comment ?

Je lui virgule un sourire soulagé. Voilà, j’ai retrouvé le nom de la personne qui escorte M. Konopoulos : il s’agit de « Belle de Mai », le roi des travelos, pensionnaire vedette du Big Ram-Dam, la boîte de tantes en vogue. Tins, M. Konopoulos ne serait donc pas grec pour rien ! comme dit l’autre.

— Où c’que je vous reconduis ? demande le conducteur.

— Aéroport !

Il paraît soulagé, le lacustre. Depuis que ses aïeux ont fendu la gueule à Charles le Téméraire après l’avoir rebroussé-chemin[2], il préfère raccompagner les étrangers plutôt que de les accueillir.

Dix minutes plus tard, me voici à Cointrin. Premier étage, section Départ. Je carme mon partenaire de maléquipée et vais me renseigner à propos des prochains vols.

C’est alors que le destin entre en gare sans crier piste. Ou en piste sans crier gare ; à toi de choisir, après tout, ce bouquin t’appartient, tu l’as payé assez cher pour ce qu’il vaut !

GAMMA

Je viens de dire « destin ». Et je le répète.

Destin !

Hasard, Dieu, fortuité… Des rencontres brutales.

Télescopages d’êtres. « Tiens ! Vous z’ici ! » Et puis un curieux démarrage s’opère, tu franchis un porche mystérieux, auquel tu ne t’attendais pas, que tu n’avais ni prévu ni aperçu.

Voilà, ça s’opère de la manière ci-dessous…

Je traverse le hall de Cointrin. Un balayeur armé d’une pattemouille large comme un drap de lit, et qu’il actionne à l’aide d’une espèce de râteau sans dents, me coupe la route. Je le laisse passer, ma valise à la main. Je continue à me sentir « tout chose ». Ça remonte à ce matin. Une sensation de porte-à-faux. Je pense à côté de mon cerveau, marche à côté de mes lattes, agis à côté de mes projets. Comme si je ne parvenais plus à contrôler ma personne. Note qu’on ne la contrôle jamais vraiment ; on croit, on tente, mais le tenter c’est le vouloir. J’ai une espèce de vagabondage du subconscient. Comme s’il m’avait, non pas quitté, mais délié de cette association occulte grâce à laquelle un homme agit différemment d’un chien. Un sentiment d’orphelinage m’habite, tu comprends ? Non ? Tant pis. Et le balayeur passe en poussant son immense chiftir. Il sifflote « O Sole mio » par le trou de ses dents manquantes.

Qu’alors, au cours de mon temps d’arrêt, un bras se coule sous le mien, tandis qu’une jolie menotte surgit sur mon horizon. Je la reconnais. L’aurais reconnue sans la bague qu’elle porte au petit doigt, et que j’ai achetée à Rio de Janeiro, un jour. C’est une petite topaze (j’adore Pagnol) finement montée sur un anneau d’or très jaune.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? je demande sans me retourner.

— Tu m’avais vue ?

— Non.

— Et tu restes de marbre !

— Un bon flic doit savoir dominer ses réactions, n’importe leur intensité.

Je la regarde enfin, ne pouvant davantage prolonger cette taquinerie idiote. Et j’en prends plein la poire. Dedieu de Dieu, ce qu’elle est belle, Marie-Marie !

Au moins six mois que je ne l’ai vue ! Le temps s’occupe en priorité des jeunes filles, espère ! Il met le paquet avec ces gentilles donzelles ! Leur fait des fleurs, et des très chouettes, alors qu’il se contente de nous râper, nous autres, méthodiquement et de nous taillader la frime à légers coups de canif.

Elle a fait raccourcir ses cheveux, elle porte un tailleur dans les tons parme et tient un imperméable noir, doublé de fourrure, sur le bras. Léger maquillage, juste pour souligner les évidences. Ses yeux rayonnent, ses lèvres brillent, une radiation prodigieuse émane de tout son être.

On s’entre-contemple un moment, désarçonnés par nos retrouvailles.

— Dire qu’il faut s’en remettre au hasard, soupire-t-elle.

J’acquiesce doucement. Il me semble que je viens d’avaler un jeu de dominos sans boire pour faire glisser.

— En somme, tu me fuis ? dit-elle.

— En somme, oui.

— Pourquoi ?

— Parce que si je te voyais souvent je finirais par ne plus te quitter.

— Et cette perspective t’effraie ?

— Beaucoup.

— A cause ?

— Autodéfense, ma poule ! Je redoute les chaînes, et celles du cœur plus que toute autre.

— Parce que ce serait des chaînes, notre union ?

— Fatalement. Le terrible, c’est qu’elles me plairaient, comprends-tu ? J’en raffolerais. Je me les entortillerais autour du cœur et je deviendrais, délibérément, une espèce de momie d’amour.

Elle a un mignon sourire, un peu triste, comme toujours, les fêlures.

— Dans le fond, tu n’es qu’un grand lâche ; comment puis-je être amoureuse de toi, l’artiste ?

— Ça ne t’a pas encore passé ?

— Non. Persiste et signe. Une drôle d’obstinée, hein ? Faut du tempérament pour aimer un grand connard de ton espèce, l’aimer sans espoir. Aux Etats-Unis, on va se faire psychanalyser pour moins que ça !

Et la voici qui éclate de rire.

Tout ça au Cointrin airport, je te le rappelle. Dans le hall du premier, devant l’escalator conduisant à la zone internationale et aux boutiques.

— Qu’est-ce que tu fiches à Genève, ma poule ?

Elle tape du pied.

— Ça y est, le seul mot gentil qui te vienne : ta poule ! T’as jamais réussi à trouver autre chose, toi qui passes pour un champion du verbe. Ce que ça fait glandu, alors ! Ça a un côté vieux tonton !

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2

Laisse-moi exprimer comme je l’entends.