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— Je te disais que par rapport à toi…

— Par rapport à moi, je t’aime, riposte-t-elle d’un ton d’engueulerie. Et alors tu te prends toutes tes objections, t’en fais un gros paquet et tu le flanques à la poubelle !

Ayant déclaré de la sorte, elle va s’asseoir sur le bord du lit qui dut servir à Badinguet au temps où il faisait ses études à Thoune.

Elle tire sur sa jupe. Tu croirais une grande pensionnaire d’institution religieuse, pendant que ses vieux discutent avec la Mère Supérieure.

Et mézigue, toujours planté près de la lourde qui n’est même pas refermée ! Les odeurs de cuisine se font de plus en plus insistantes et dominent l’odeur de l’enduit pour faire briller. Et ça renifle aussi la fleur fanée dans ma piaule. Comme du foin, tu comprends ? Et dans l’arbre du jardin, ils sont deux piafs à présent qui se lissent les ailes en beuglant des cui-cui à voix de stentor. Et je note que le papier de tapisserie est dans les jaunes décolorés, et que c’est probablement lui qui sent la fleur fanée. D’ailleurs son motif est à fleurs, tu vois !

Bon, faut continuer, je te dis. Trouver une nouvelle démarche, penser autrement, s’adapter à la situasse.

— Tu veux que je parle ? propose Marie-Marie.

J’opine volontiers. C’est du dévouement pur et simple de sa part.

— Bon, bien voilà. Je t’aime trop pour ne pas comprendre où tu en es exactement, côté gamberge. Tout ce qui se précipite dans ta tête, l’artiste. La trouille qui s’empare de toi, bien que tu n’aies pas peur de grand-chose. Je sais pourquoi tu m’as demandée en mariage à cet instant précis et pas à un autre. Il fallait, ça couvait, c’était écrit dans le ciel. Bon, tu as cédé, pas à moi, peut-être même pas à toi non plus, mais à une sorte de circonstance à évolution lente. Je ne te dis pas merci. C’est ainsi.

Elle suit le motif du couvre-lit d’un doigt évasif. Un sourire presque triste lui vient. Marie-Marie respire un grand coup, très copieux. Vaillamment, elle reprend :

— J’ai plusieurs choses graves à te dire. C’est maintenant qu’il faut en parler, l’artiste. Maintenant… Après, on ne pourrait sans doute plus. En tous les cas moins bien. Premièrement, tu m’épouseras quand tu voudras.

— Le plus vite possible, lancé-je.

Elle redresse sa figure heureuse.

— Alors là, je te dis merci, Antoine.

Gestes indécis de l’Antonio. Elle repart :

— Deuxièmement, quand ce sera fait, nous habiterons chez toi. T’es un vieux célibatoche, l’artiste, et plus une plante est grosse, plus elle est difficile à repiquer. Cela dit, ça ne me déplaît pas de crécher avec ta mère, ça fait un bout de temps que je la considère un peu comme la mienne, elle est tellement faite pour être la maman de tous ceux qui en ont besoin d’une !

Je voudrais lui parler, mais va te faire enfler ; je coince de toutes parts !

— Troisièmement…

Là, elle avale sa salive, je sens que ça va être duraille à passer. Certains mots ressemblent à des oursins.

— Troisièmement, répète-t-elle, je connais ta réputation, l’artiste… Je sais qu’il vaut mieux ne pas exiger de toi le… la fidélité ; ça te perturberait en te créant des problèmes moraux. Quand un beau cul passe à ta portée, on dirait que tu viens de choper la maladie de Parkingson…

— Y a pas de « g », je lui murmure, c’est Parkinson, ma poule.

Elle hoche la tête et balbutie :

— Excuse-moi.

Alors là, ce « excuse-moi » pour une connerie, à un instant aussi grave, c’est irrésistible et on éclate de rire.

Et puis, tout à coup, c’est comme s’il n’y avait rien eu, comme si je ne lui avais pas parlé et qu’on se soit retrouvés à Genève fortuitement, comme d’ailleurs c’est le cas. La grosse détente !

— Si on allait bouffer, ma poule ?

Elle se dresse, sans tiquer sur le « ma poule », et sans doute ne l’a-t-elle point entendu.

— Bonne idée, les demandes en mariage, ça creuse. Tu veux que je défasse ta valise avant d’aller grailler ?

— D’accord.

Je la regarde s’activer. Pour voir. Me faire une petite préfiguration de ce que sera la vie après. C’est ma foi charmant. Elle agit d’un air appliqué, déballe mes hardes avec onction, les dispose sur les méchants cintres de l’hôtel en veillant aux faux plis.

On toque à la porte ouverte, c’est la femme de chambre antédiluvienne qui se pointe, toute pendouillante, le râtelier en décarrade, ses bandes à varices un peu lâches, comme les molletières des bons vieux chasseurs alpins.

— Monsieur, glapatouille-t-elle, en faisant avec sa bouche le bruit qu’une autre dame fait avec sa main quand elle s’ablutionne le trésor sur un pur-sang de chez Jacob-Delafon, vous voulez bien descendre : une dame vous demande !

J’écarquille des vasistas.

— Moi !

Que dis-je : mouhaâ ! fais-je plutôt.

— Vous êtes bien le commissaire Satono ?

— Presque.

— Alors, vous !

Mon éberluement n’a d’égal que ma profonde stupeur, comme l’écrivait bellement François Coppée (rative) dans un de ses poèmes les moins dégueulasses.

— C’est ça, la gloire, remarque avec ironie Marie-Marie.

— Quoi, la gloire ?

— On t’a reconnu et vu entrer ici, t’as une autre explication, toi, grand flic malin ?

J’hoche la tronche et dévale l’escadrin. Un jappement fluet et teigneux m’accueille. J’ai la surprise de découvrir, dans un superbe fauteuil d’osier fanfrelucheux, la vieillasse en zibeline qui attendait ses bagages hier soir, son yorkshire blotti entre les deux escalopes qui ont remplacé ses nichons de jadis. Sa membrane à poils me vocifère contre en trémoussant un petit collier à grelots.

Je m’avance vers la personne. Peinte en guerre, ce morninge, Mistress la Dame. Plus de zibeline : de l’extra-con, comme dit Bérurier (mon futur oncle par alliance). Elle s’est maquillée à tâtons car son rose à joues lui descend jusque dans les poils de la barbe. Y a du tremblé dans le rouge à lèvres comme sur les gravures coloriées au pochoir d’autrefois. Néanmoins, ma visiteuse continue de « faire bourgeoise ». Elle me sourit, me présente la main…

Je lui prends trois cent cinquante grammes environ d’os, osselets et cartilages recouverts de peau froide, me penche dessus pour un simulacre de baise-pogne, et virgule à la bisaïeule une souriée de fête.

— Vous ne me connaissez pas… commence-t-elle.

— Je n’ai pas cet honneur, mais si je ne vous connais pas, madame, du moins vous reconnais-je. J’ai eu le privilège de voyager avec vous hier à bord d’un avion Swiss-Air.

Elle a un petit départ de minauderie.

— Quel physionomiste ! Il est vrai que vous êtes policier !

Je me dépose sans me fêler dans le siège voisin. Ce qu’il y a de bien avec les sièges d’osier, c’est qu’ils soulignent tes moindres mouvements. Tu croises les jambes et ça fait comme si tu sciais trois stères de bois sur un chevalet.

— J’ai beau être policier, madame, je reste perplexe quant à votre visite. D’où me connaissez-vous ? Et comment sûtes-vous que j’étais en cet hôtel ?

Elle agite son index ganté, mais bagué par-dessus le chevreau d’un rubis sur canapé de brillants ; style « Ah, je vous ai bien eu, petit polisson ! »

— Un concours de circonstances, annonce-t-elle. Purement fortuites…

— La fortuité est le paprika de la vie, si tant est que l’humour en soit le sel, réponds-je n’importe comment, car c’est pas les paroles, mais la musique qui importe quand tu jactes avec une vieille rombiasse enfourrurée et armée d’un yorkshire à crinière.

Elle gloussaille. Se dégargane en présentant son beau gant droit devant sa bouche en forme de cachet postal.