Выбрать главу

Son estomac risquait de finir dans le bol, elle ne put rien avaler.

Son briquet dansait entre ses doigts. Je peux m’en accorder une ce matin. Ouais, je peux. Je l’ai bien méritée… Trois minutes de répit où chaque seconde comptait. S’en mettre plein les poumons, ne pas en gâcher une miette. Jusqu’au filtre.

Après un brin de toilette, elle s’attela au ménage de la piaule. Un berlingot de Javel, une éponge, une crème à récurer. Cadeaux de l’administration. Tout fut décapé du sol au plafond.

Bon, elle revient quand Delbec ?

Le ménage était fini, les microbes éradiqués. Ça serait cool de pouvoir éliminer le manque à coup d’eau de Javel !

Elle entreprit ensuite de se laver les cheveux sous le robinet du lavabo. Manœuvre périlleuse. Nez écrasé sur la porcelaine, eau froide qui dégoulinait jusque dans son dos. De quoi choper la mort ! Furtive inspection devant le miroir ébréché. Yeux un peu cernés, teint carrément vieux papier. Coiffure façon hérisson qui se rebiffe. Un coup de peigne édenté, dommage que je n’aie pas de maquillage.

Dans le casier, elle contempla tristement la maigre pile de vêtements propres. Garde-robe impressionnante gracieusement offerte par l’Armée du Salut. De quoi hésiter longtemps devant la psyché imaginaire ! Elle opta pour un jean déchiré aux genoux, vachement tendance, un pull en coton beige. Les couleurs claires, ça sied parfaitement à mes cheveux noirs ! Le réveil lui rappela qu’il n’était même pas onze heures du matin. Elle retourna sur son lit, lorgnant au passage son paquet de fumer-tue devenu inoffensif. Tu vois, tu y arrives.

Qu’est-ce que je vais foutre jusqu’à quatorze heures ? Il reste un roman sur la table. Pas bien épais, mais ça devrait m’occuper l’esprit et les mains jusqu’à l’heure du rendez-vous. Rendez-vous… Rien qu’à prononcer ce mot du bout des lèvres, Marianne frissonna autant de plaisir que d’angoisse.

Si seulement je pouvais me calmer… Daniel me le paiera !

Je me serais bien fait une séance décollage vertical. Version Ariane 5, direction les étoiles. Ça m’aurait détendue.

Ça y est, les filles partent en promenade. Les portes s’ouvrent, le troupeau s’agglutine dans le couloir. La surveillante aboie comme le chien de berger après ses brebis. Et moi, je reste là. Tout ça parce que j’ai allumé une gardienne. Et une détenue, aussi. Et puis un flic et un vieux. Et une fliquette enceinte… Vrai que ça fait beaucoup si on additionne. Mais j’ai toujours détesté les maths.

Plus un bruit dans le couloir, l’étage pour elle toute seule.

Le paquet de cigarettes continuait de la narguer. Elle attrapa le livre, l’ouvrit sans même regarder le titre ou le nom de l’auteur. Concentre-toi ! Elle lut les premières lignes.

« 8 mai — Quelle journée admirable ! J’ai passé toute la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière… »

Il a de la chance celui-là ! Moi aussi, je m’étendrais bien sur l’herbe, à l’ombre d’un platane. Devant MA maison, en plus ! Je vais pas y arriver… Elle referma le livre. Le Horla, Guy de Maupassant. Un noble, comme moi ! Sauf que lui, il avait sa baraque, son platane. Et qu’il pouvait passer des heures étendu sur l’herbe. À glandouiller au milieu des jonquilles.

Elle plaça une chaise sous la fenêtre ouverte, grimpa dessus. À défaut de platane, elle voyait le toit du bâtiment d’en face, un morceau de clôture en barbelés. Le mirador et le surveillant armé d’un fusil d’assaut qui devait s’ennuyer autant qu’elle. Une légère brise polluée lui chatouilla les narines. Le brouhaha qui montait de la cour lui écorcha les oreilles. L’attente était interminable…

*

13 h 30 — Cellule 119

Delbec n’était pas revenue, bien sûr.

Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle m’a oubliée ou quoi ?

Marianne se jeta soudain sur son paquet de Camel, en alluma une sans hésiter. À cet instant, c’était primordial. Cas de force majeur. Sauf que c’était l’avant-dernière du paquet. Elle se força à rester assise, brasser de l’air aurait pu consumer la cigarette encore plus vite. À peine le mégot écrasé, elle fonça vers le lavabo, s’examina dans le miroir. Ses cheveux ne voulaient pas se calmer, eux non plus. Et puis elle aurait dû dormir, cette nuit. Pas jolie à regarder. Mais qu’est-ce qui me prend, bon sang ! Rien à foutre d’avoir la gueule à l’envers ! C’est pas le Prince Charmant qui va débouler au parloir ! Et même… Je l’emmerde ! Je sais pas encore qui, mais je l’emmerde !

Sur ces belles paroles, la serrure sonna l’alerte et Delbec se présenta, aussi essoufflée qu’un bœuf qui vient de labourer dix hectares.

— Dépêchez-vous mademoiselle, nous sommes en retard !

— VOUS êtes en retard ! rectifia Marianne avec humeur. Vous avez pu savoir qui vient me voir ?

— Je n’ai pas eu le temps, qu’est-ce que vous croyez !

Comment avait-elle pu même l’espérer ? Elle glissa au passage son paquet moribond dans sa poche. Delbec arma les menottes.

— C’est vraiment indispensable, surveillante ? demanda Marianne.

La gardienne la dévisagea avec un étonnement aussi large que ses hanches. Marianne leva les yeux au ciel et se retourna. Pas un brin de psychologie, la Monique !

— Vous auriez pu faire une exception ! bougonna-t-elle. Pour une fois que j’ai une visite ! Je vais pas vous sauter dessus…

Elles se mirent en marche. Delbec essuya son front avec un Kleenex déjà mouillé.

— Là n’est pas le problème, mademoiselle. Vous le savez aussi bien que moi, pas de sortie de cellule sans les menottes. Si vous n’aviez pas…

— Je sais ! coupa Marianne d’un ton excédé. Je ne dois m’en prendre qu’à moi-même ! Je connais la chanson !

— Alors, pas la peine que je vous la chante.

Marianne se rendait pour la première fois à l’étage des parloirs. Elle fut soumise à une fouille en règle, avec franchissement du portique détecteur de métaux qui, bien sûr, s’affola au passage des menottes. Vraiment idiote cette machine ! Enfin, elles arrivèrent devant la petite salle où attendait son mystérieux visiteur. Marianne inspira à fond, elle ne pouvait même pas se recoiffer, les poignets toujours attachés. Monique poussa la porte, Marianne passa devant.

Là, elle s’arrêta, face à trois hommes.

Delbec ôta les pinces à sa prisonnière qui fixait froidement les inconnus, puis s’éclipsa en rappelant tout de même le règlement.

— Vous avez une heure. Si quelque chose ne va pas, un de mes collègues est dans le couloir, n’hésitez pas à l’appeler. Vous avez l’interphone, là…

— Merci madame, répondit l’un des hommes avec un sourire poli. Tout ira bien.

La porte claqua dans le dos de Marianne qui n’avait pas remué un cil. Elle frottait juste machinalement son poignet douloureux tout en les regardant. Celui qui avait remercié Delbec prit la parole.

— Bonjour, Marianne.

— On se connaît ? répliqua-t-elle sèchement.

— Non ! Mais…

— Alors pourquoi vous permettez-vous de m’appeler par mon prénom ?

Coup de blizzard. Un des hommes toussa machinalement comme pour combler le silence glacé.

— Voulez-vous vous asseoir, mademoiselle ?

— Pour quoi faire ?

— Parler. C’est ce que nous sommes venus faire.

Marianne esquissa un sourire amer.

— Ça sent la flicaille, ici ! Pas vrai ?