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— J’ai jamais dit qu’on vous adorait… Mais on a besoin de vous et vous avez besoin de nous…

— J’ai besoin de personne !

— Vraiment ? Rappelez-moi combien d’années il vous reste à tirer ?!

Là, elle plia les coudes et se pencha vers lui, la mine teigneuse.

— Si tu continues à me chercher, je vais pas tarder à m’énerver. On t’a pas expliqué ce qui se passe quand je m’énerve ? T’as dû sauter des pages dans mon dossier…

— Tu crois que tu nous impressionnes ? balança soudain le dénommé Laurent.

— Tiens ! Il parle, celui-là ?

— Calmez-vous, pria Franck. Je suis certain que notre proposition vous intéresse…

— Votre proposition, c’est du flan ! Un attrape-couillon ! Vous pensez que la taule m’a déglingué le cerveau ou quoi ?

— Non, il l’était déjà avant ! ricana Laurent en souriant.

Marianne soupira. La rage commençait à lui chatouiller les poings.

— Toi, t’as envie de repartir les pieds devant ! Je peux faire ça pour toi, si tu insistes…

— Hou ! Y a une petite gonzesse qui veut me sauter dessus, les gars ! Au secours !

— Ça suffit ! coupa Franck. On va laisser Marianne réfléchir…

— Vous perdez votre temps ! J’suis pas cinglée !

— Vous n’avez rien à perdre, conclut Franck en se levant. Vous avez même tout à y gagner… Nous reviendrons dans une semaine.

Il appuya sur l’interphone et, une minute après, un surveillant ouvrit la porte. Ils disparurent rapidement mais Marianne ne remonta pas en cellule. Il fallait encore subir la fouille réglementaire, encore plus dure qu’à l’aller. Supporter que la gardienne lui passe la main dans les cheveux, derrière et dans les oreilles. Se dévêtir, une fois encore. Être inspectée sous toutes les coutures, visitée de fond en comble. Marianne se contenait pour ne pas exploser. Enfin, la matonne la jugea vierge de tout soupçon et la ramena à l’étage.

Une fois seule, elle exprima sa rage sans retenue. Coups de pied dans les murs, la porte. Putains de flics !

Un peu apaisée, les doigts et les orteils douloureux, elle se laissa tomber sur son matelas, savoura une de ses prises de guerre. Et s’ils disaient vrai ? Si ce n’était pas un piège ? Si c’était ma chance ? Tu délires Marianne ! Ils se serviront de toi pour un truc bien dégueulasse et puis ils te ramèneront en taule… Ou alors ils te logeront une balle dans la tête. Tu as bien fait de ne pas les écouter, de ne pas sembler intéressée…

Le 15 h 16 s’aventura le long de la prison, elle ferma les yeux.

Jamais, tu ne sortiras d’ici. Jamais.

Pourquoi je les ai tués ?

Vendredi 20 mai — 17 h 00

Il imposait sa loi dans le moindre recoin de ses chairs. Avait anéanti jusqu’à sa volonté, rendu illusoire tout espoir de fuite.

Lui. Le manque.

Plus de cigarettes, pas de drogue.

Oui, elle aurait marché sur les mains pour en avoir. Oui, Daniel avait gagné, il lui suffisait de revenir demander n’importe quoi. Sauf qu’il n’était pas revenu.

Marianne se haïssait. Tu dépends de lui, tu n’es pas libre. Drôle de se reprocher ça derrière des barreaux ! Mais justement, cette liberté, l’ultime, celle que personne n’aurait dû pouvoir lui voler, elle l’avait perdue en essayant de s’évader. Elle payait le prix fort pour d’éphémères voyages. Elle dépendait d’un homme parce qu’elle était faible.

Impossible de trouver le sommeil ou même le repos. Marianne tournait en rond dans son micro-territoire, pliant sous les assauts d’un adversaire invisible. Son corps n’était plus qu’un tremblement pathétique ; son cerveau, une boule en fusion. Ses tripes, un nœud coulant. Ses muscles refusaient de se relâcher, la douleur percutait son ventre comme si quelque chose voulait s’échapper de l’intérieur. Elle allait imploser. À sec de codéine. De toute façon, ça ne pouvait leurrer le démon que quelques heures, pas plus.

« Cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres… »

Non, je ne suis pas dingue, moi ! Je ne vois pas le Horla rôder autour de moi. Parce que le manque était déjà dans la forteresse, la dévorant de l’intérieur.

Pendant la promenade, elle avait couru jusqu’à en perdre haleine. Une heure à s’épuiser, à tenter de l’épuiser, lui, ce mal insidieux. En vain. Elle, qui s’était crue si forte, capable de résister à tout, n’avait même pas réalisé qu’elle plongeait tête la première dans l’affreuse dépendance.

Je suis forte. Je peux résister. Je dois résister.

Elle stoppa soudain son errance et s’écroula au beau milieu de la cellule, heurtant le béton sans aucun amorti. D’abord à genoux, puis face contre terre. D’un coup, plus la force de tenir debout, d’être une personne digne de ce nom. Des appels au secours murmurés, puis hurlés. Les mains qui se crispent sur un corps en furie. La voix qui s’étrangle de solitude…

*

Les murs et le plafond de l’infirmerie, encore. Une douce sensation de bien-être dans ses veines. Tel un bateau sur une mer tranquille, son cerveau flottait dans du coton moelleux. Mais la réalité la rattrapa bien vite. Poignet gauche entravé, corps comme meurtri par les coups, tripes à l’envers.

Justine entra dans le box protégé de rideaux blancs. Visiblement inquiète.

— C’est toi qui m’as trouvée ?

— Oui… Et je te ramène en cellule, maintenant.

— Rentrer chez moi… Dans « ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière… ». Tu crois que je vais devenir cinglée, comme Maupassant ?

— Maupassant était cinglé ?

— Il croyait qu’un monstre rôdait autour de lui la nuit… Il lui a même donné un nom…

— Désolée, je ne suis pas au courant ! J’ai pas trop le temps de lire, tu sais.

— Je te filerai le bouquin, tu verras, c’est génial…

— D’accord… Allez, Marianne, lève-toi maintenant.

— On peut aller en promenade ? J’ai besoin de prendre l’air…

— Arrête, tu sais bien que ce n’est pas l’heure. Tu ouvriras ta fenêtre, voilà tout !

— Mais il y a les barreaux !

— Les barreaux n’empêchent pas l’air de rentrer que je sache ! Allez, dépêche-toi, je te ramène et je rentre chez moi. Enfin ! Dure journée…

— Toi au moins, t’as pas de barreaux aux fenêtres !

— Si. J’habite au rez-de-chaussée…

Les barreaux n’empêchent pas la nuit d’entrer, non plus. Elle qui vient se marier à la solitude pour procréer l’abominable progéniture des cauchemars sans fin… Mais il y avait le train, celui de 23 h 30. Un TGV-couchettes qui montait vers la Belgique. Au travers des tiges métalliques, Marianne aperçut les carrés de lumière fonçant dans la nuit compacte. Une apparition, un fantôme de liberté. Heureux ceux qui dormaient ou rêvassaient à son bord. Elle descendit de la chaise, s’allongea sur son matelas exténué. Elle l’entendait encore, au loin, se concentrait pour prolonger l’instant fugace. Fermer les yeux, attendre que les images s’imposent d’elles-mêmes. Bonnes ou… Mauvaise pioche, ce soir…

… Le tribunal, chambre froide de boucher. La mascarade des robes noires et rouges, les mots qui jonglent avec le mensonge et la vérité, avec son avenir. Pièce de théâtre de mauvais goût.

Entendre son existence étalée dans les détails les plus intimes. Se faire salir en place publique.